jeudi 2 juillet 2020

Fixer le prix d’un traitement, « un exercice difficile en pleine pandémie de coronavirus »

CHRONIQUE

L’américain Gilead est le premier à fixer un prix : trop haut, c’est être accusé de profiter de la misère du monde, trop bas, c’est perdre de l’argent, observe Jean-Michel Bezat, journaliste au « Monde ».
Publié le 30 juin 2020

A l’entrée du siège de Gilead, à Foster City, en Californie, le 29 avril.
Pertes & profits. Les malades, les assurances-santé et les gouvernements sont en embuscade, et les laboratoires pharmaceutiques savent qu’ils marchent sur une périlleuse ligne de crête quand ils fixent un prix à leurs traitements – surtout en période de pandémie : trop haut, et c’est être accusé de profiter de la misère du monde ; trop bas, et c’est perdre de l’argent, ce qui est difficilement concevable, que la société soit cotée ou non.
L’américain Gilead Sciences est un des premiers à se plier à ce difficile exercice en pleine crise mondiale liée à la pandémie de Covid-19. Il a annoncé, lundi 29 juin, qu’il proposera un traitement de cinq jours au remdesivir à un prix de 2 340 dollars (2 083 euros) dans les pays développés. Et quatre fois moins dans les 127 pays pauvres ou émergents, où les laboratoires pourront le produire sous forme de générique. Comme le Brésil, durement touché par la crise sanitaire. « Nous sommes en territoire inconnu avec le prix d’un nouveau médicament dans une pandémie », admet le PDG du laboratoire californien, qui assure vouloir que « tous les patients en bénéficient dans le monde ».
Daniel O’Day fait valoir que le remdesivir réduit de quatre jours la durée moyenne d’hospitalisation des patients (onze jours). Soit, dit-il, une économie de 12 000 dollars aux Etats-Unis, où les factures d’hospitalisation sont exorbitantes. Certains analystes estiment que Gilead aurait pu doubler son prix (4 500-5 000 dollars). L’Institute for Clinical and Economic Review, une organisation à but non lucratif qui évalue le rapport prix/efficacité des médicaments, juge le prix retenu conforme à ses évaluations. D’autres estiment au contraire son juste prix à 320 dollars. D’autant qu’il n’a pas apporté la preuve qu’il réduisait la mortalité.

Indignation

Sans attendre le déploiement du remdesivir à partir de juillet, ce prix suscite déjà l’indignation d’associations de consommateurs. Elles le jugent « scandaleux » compte tenu des aides du gouvernement américain et de ses faibles coûts de fabrication. « Un dollar par injection », préconise donc Public Citizen. « Irréaliste », rétorque Daniel O’Day. Sa société devrait tirer profit de cette molécule, une des rares à avoir prouvé une efficacité contre le Covid-19, qui a déjà infecté 10 millions de personnes et en a tué plus de 500 000.
Il n’est pas sûr, pour autant, que ce soit une machine à cash : de nombreux laboratoires déploient de gros moyens pour mettre au point d’autres traitements et des vaccins qui pourraient remiser le remdesivir au fond de l’armoire à pharmacie. La relative retenue de Gilead est un signal envoyé aux autres laboratoires, tentés de profiter outre mesure de la pandémie pour gonfler leurs prix. S’il n’y a pas de prix parfait pour les médicaments, ceux-ci doivent aussi refléter les efforts de recherche et développement, avec leur lot d’échecs souvent coûteux. Même si l’on a tendance à considérer que tout traitement est un bien public mondial à exclure des lois du marché.

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