samedi 4 juillet 2020

États-Unis.La définition même du racisme est en train de changer

THE ATLANTIC - WASHINGTON  Publié le 
Jamaal Bowman (à gauche), candidat démocrate à la Chambre des représentants, serre la main de l’un de ses partisans, après un discours à New York, le 9 septembre 2019. Photo José Alvaro / Redux / REALe Merriam-Webster, dictionnaire de référence américain, a annoncé qu’il allait élargir sa définition du mot “racisme”. The Atlantic se félicite de ce “réveil des consciences lexicographiques”.
Les éditeurs du dictionnaire Merriam-Webster planchent sur une nouvelle définition du mot “racisme”. Le grand réveil des consciences serait-il donc massif au point de changer le dictionnaire ?
En réalité, cela fait longtemps que les dynamiques sociales et politiques affectent l’usage d’un terme au-delà de la définition qu’en donne le dictionnaire. Et il est grand temps que ces ouvrages en tiennent compte.
Comme d’autres, le Merriam-Webster nous donnait jusqu’à présent ce qu’on pourrait appeler la définition 1.0 du racisme : “la croyance que la race est le principal déterminant des caractéristiques et capacités humaines et que les différences raciales sont à l’origine d’une supériorité inhérente à une certaine race”.

Racisme sociétal

Mais depuis les années 1960, le terme “racisme” est souvent utilisé comme un raccourci pour désigner le racisme sociétal et institutionnel lié aux structures d’une société qui désavantage les représentants d’une race non dominante en raison de l’effet cumulé d’attitudes sectaires.
On peut par exemple dire que le racisme sociétal est une cause de la déliquescence de certains quartiers qui ont été délaissés par les Blancs et ont mécaniquement vu leurs ressources fiscales diminuer.
Ce racisme sociétal et institutionnel est souvent désigné par le seul terme de “racisme”, si bien que le terme s’est enrichi d’une seconde acception, que le Merriam-Webster définit en ces termes : “un système politique ou social fondé sur le racisme”.

Définition 3.0

Kennedy Mitchum, jeune diplômée de 22 ans, a écrit aux éditeurs du dictionnaire pour leur demander d’étendre leur définition à un usage qui dépasse même cette version 2.0 du racisme sociétal et institutionnel. Pour elle, le racisme est “un système de privilèges fondé sur la couleur de peau”.
Dans cette définition 3.0, l’accent porte moins sur les attitudes des individus que sur des résultats observables : les inégalités sociales entre Blancs et non-Blancs sont elles-mêmes qualifiées de “racistes” au sens où elles sont le produit d’attitudes racistes.
Cette définition trouve aujourd’hui un tel écho dans la société que, pour l’universitaire Ibram X. Kendi, toutes les inégalités sociales liées à la race relèvent d’une forme de racisme qu’il s’agit de combattre.
C’est une acception du terme que l’on découvre généralement à l’université en sciences sociales, et c’est un élément fondamental dans les débats actuels autour des races et du racisme.
C’est cette définition qui est utilisée lorsque l’on dit par exemple que les tests standardisés d’évaluation des élèves sont racistes : les différences de résultats entre la moyenne des étudiants noirs et la moyenne des étudiants blancs révèlent que ces tests désavantagent les étudiants noirs.

Un temps de retard

Kennedy Mitchum en avait assez de s’entendre dire que sa définition était fausse puisqu’elle ne correspondait pas à “ce qui était dans le dictionnaire”. Sa colère était justifiée. Elle n’inventait pas une définition nouvelle du terme, elle en avait un usage spécifique mais partagé par une multitude de gens.
Les dictionnaires ont souvent un temps de retard par rapport aux développements de la société, et l’idée qu’un mot signifie infailliblement ce qu’en dit le dictionnaire est tout simplement incorrecte. Le sens des mots évolue constamment et inévitablement, pas seulement en argot.
ll n’est pas rare qu’un terme voie sa définition évoluer, celle-ci désignant d’abord un trait individuel avant de décrire une caractéristique sociétale. Le passage du racisme 1.0 au racisme 2.0 suit une progression courante observée déjà dans la Grèce antique, où les philosophes considéraient les sociétés comme des macrocosmes d’individus.
Conceptuellement, le parallèle entre un individu sain et une société saine est assez intuitif. C’est le même mouvement qui permet de passer du racisme individuel au racisme sociétal.
Toutefois cette correspondance ne se conçoit facilement que dans la mesure où les deux notions tournent autour de l’idée de discrimination en tant qu’essence du racisme.

Retour sur le passé

Le passage du racisme 2.0 au racisme 3.0 est plus rare au plan de la langue. Dans cette nouvelle définition, on peut légitimement dire que les disparités raciales sont “racistes” lorsqu’elles sont incontestablement le produit de freins et de limitations racistes.
Exemple : nombre de gens disent que les Noirs sont de manière générale en moins bonne santé que les Blancs en raison d’un manque d’accès aux soins médicaux et à des supermarchés où ils peuvent s’approvisionner en nourriture saine et abordable. L’adjectif “raciste” peut être utilisé pour décrire une telle situation quand bien même la discrimination contre les Noirs n’est pas ou plus la cause directement visible de ces disparités.
C’est une notion clé dans les sciences sociales, mais sa diffusion à l’ensemble de la société semblait a priori particulièrement ardue. Car elle remet notamment en question l’idée – généralement acceptée – que certaines de ces discriminations (fondées sur les racismes 1.0 et 2.0) appartiennent au passé et n’ont plus cours aujourd’hui.
Nombreux sont ceux qui s’insurgeront devant une définition du racisme englobant les actes et comportements de gens ayant depuis longtemps disparu.

Eveil des consciences

Le terme “raciste” était à l’origine potentiellement sujet à différentes interprétations. Le raciste était-il un individu convaincu de l’existence d’une certaine race ? le défenseur de représentants d’autres races ? quelqu’un désireux d’attirer l’attention sur l’existence de différentes races ? “Raciste” est-il un adjectif s’appliquant à une politique ? C’est cette acception qui est aujourd’hui validée.
Il n’a jamais existé de langue parfaite. La langue est comme l’histoire et les gens, complexe. Mais quoi qu’il en soit, si les dictionnaires ont pour but de refléter l’usage des mots, ils doivent prendre en compte ces paramètres. C’est pourquoi nous devons saluer le réveil des consciences lexicographiques sur la question du racisme.



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