jeudi 11 juin 2020

« Ségur de la santé » : « Les directions hospitalières ont exercé des pressions sur les soignants qui s’apparentent à une forme de maltraitance institutionnelle »

Qu’attend le personnel soignant du « Ségur de la santé » ? François Salachas, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, et membre du Collectif inter-hôpitaux (CIH), a répondu à vos questions.
Publié le 27 mai 2020


Manifestation du personnel soignant devant l’hôpital de La Timone, à Marseille, le 26 mai.

Deux jours après l’ouverture, lundi 25 mai, d’une concertation avec le gouvernement visant à « refonder » le système de soins françaisFrançois Salachas, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, et membre du Collectif inter-hôpitaux (CIH), a répondu à vos questions lors de notre direct du 27 mai. Il avait interpellé Emmanuel Macron le 27 février, alors que ce dernier visitait l’hôpital.

Un soutient de l’hôpital : Le gouvernement avait déjà annoncé un grand plan pour l’hôpital à l’automne dernier, qu’attendre de plus avec ce « Ségur de la santé » ?

François Salachas : Il faut en attendre que les actes soient à la hauteur des promesses ! Le président a affirmé avoir sous-estimé le problème de l’hôpital public et être conscient de l’urgence d’intervenir, notamment sur les salaires les plus bas des personnels hospitaliers.

TCHAT : Si vous deviez n’en garder qu’une, quelle serait la revendication du Collectif inter-hôpitaux ?

Il y a deux revendications équivalentes en importance : la revalorisation salariale et des carrières ET le moratoire sur les suppressions de lits programmées, tant qu’il n’y a pas eu de réévaluation des besoins en termes de santé publique.

Vive les infirmiers : Comment expliquer le retard de salaire des infirmières et aides-soignantes en France par rapport aux autres pays de l’OCDE ?

Cela s’explique essentiellement en raison du sous-investissement dans l’hôpital public depuis dix ans, et peut-être aussi en raison d’un diagnostic des gouvernements successifs tablant sur le dévouement et l’abnégation des personnels leur permettant de faire l’économie d’une revalorisation : constat cynique et inadapté.

Argent : Est-ce qu’une revalorisation des salaires des soignants permettrait vraiment d’ouvrir des lits d’hôpitaux ?

Sans aucun doute. A ce stade, nous n’avons aucune garantie de pouvoir retrouver la capacité d’hospitalisation « pré-Covid » : il faut embaucher massivement des personnels qui auront été attirés à l’hôpital public par des revenus dignement réévalués et la garantie d’être en effectif suffisant pour pouvoir soigner dans de bonnes conditions.

A Marseille, le 26 mai.

Orion : A combien se chiffre le budget annuel de l’Etat consacré à l’hôpital public et quelle hausse les professionnels de la santé espèrent-ils ?

L’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam) se situe autour de 85 milliards d’euros, et la différence entre le pourcentage d’augmentation accordé cette année (2,3 %) et le « tendanciel des charges » (4 %) impose de nouvelles économies à l’hôpital et majore sa dette… Donc un minimum serait de coller aux 4 % d’augmentation. Tout cela, c’est « hors dépenses Covid ».

Un usager comme les autres : Le premier ministre a encore parlé du temps de travail à l’hôpital. Cela permettra-t-il réellement une meilleure rémunération du personnel soignant ?

Il s’agit d’un écran de fumée : ce type de communication accrédite l’idée qu’il faut se libérer du carcan des 35 heures, source de la paupérisation des soignants… En fait, il faut d’abord augmenter le salaire horaire et permettre à ceux qui veulent faire des heures supplémentaires de le faire… sans contrainte de leur hiérarchie. Sinon, c’est la vieille antienne du « travailler plus pour gagner plus ».

Fang : Comment nous, usagers de l’hôpital public, pouvons-nous soutenir le mouvement des soignants du Collectif inter-hôpitaux ?

Votre soutien est crucial et doit aller au-delà des applaudissements, qui ont fait beaucoup de bien. Il faut signer la pétition de soutien sur Change.org, répondre aux travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE), contacter vos élus présents et à venir en leur demandant de se positionner sur la question de la rémunération mais aussi de la capacité en lits et de la gouvernance, qui doit être plurielle. Les différentes composantes d’une gouvernance de qualité doivent être les suivantes : médecins, personnels non médicaux et usagers. Il faudra également descendre dans la rue quand ce sera possible : c’est toujours nécessaire.

Florent : Les mesures qui vont être prises semblent porter essentiellement sur les carrières. Un autre problème est le changement dans la façon de travailler : logique comptable, méthodes managériales. Ce point de vue sera-t-il pris en compte lors des discussions ?

C’est notre souhait le plus cher, une fois le socle des revendications accepté. Ce sont les effets combinés du concept de l’« hôpital-entreprise », faisant de l’équilibre budgétaire l’élément de pilotage de l’hôpital et du soin de qualité la variable d’ajustement, qui sont en cause dans le péril actuel.
Pour ce faire, les directions hospitalières ont exercé des pressions sur les soignants qui s’apparentent à une forme de maltraitance institutionnelle : ce système doit disparaître. Ce n’est pas un mauvais management avec des règles de gouvernance adaptées (comme l’a évoqué le premier ministre à l’ouverture du « Ségur de la santé ») mais bien une refonte des modalités de gouvernance qu’il faut envisager.

Gregoire : On ne parle jamais du secteur libéral ou privé, qui ne semble pas vraiment concerné par la crise. Est-il raisonnable de dire qu’il bénéficie de cette crise de l’hôpital public, ce qui explique son silence ?

Le concept de l’« hôpital-entreprise » appliqué au secteur public met de fait en concurrence le public, les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic) et les cliniques privées. Nos directions hospitalières n’hésitent pas à parler de « parts de marché ». La concurrence n’est pas loyale et le débauchage est de plus en plus la règle, soit grâce à une attractivité salariale, soit – et c’est plus grave – en raison de la déception des soignants qui n’acceptent plus la « double peine » liée à la dégradation des conditions de travail et des niveaux de rémunération…
La perte de sens, c’est-à-dire l’impossibilité de continuer à exercer un métier de soin dans des conditions compatibles avec les valeurs qui sont à l’origine de leur « vocation », conduit ces soignants dépités à quitter l’hôpital public.

Devant l’hôpital Robert-Debré, à Paris, le 21 mai.

#CIH : Pensez-vous que la réévaluation éventuelle des salaires sera globale, sans distinction, ou plutôt graduelle et se concentrant sur les bas échelons et débuts de carrière ? Quel est l’impact attendu sur les échelons des praticiens hospitaliers ?

C’est difficile à anticiper : il faut un geste global suffisant pour instaurer un climat de confiance et travailler sur un profil de carrière attractif en fonction de ce que chacun développe. Le risque est de tout contractualiser, car cela reviendrait à un paiement à l’acte inflationniste et « obligeant » à ne plus prendre en charge les actes ou les patients aux terrains complexes car non rentables.

Doc76 : Je suis médecin urgentiste et effaré de la dépense publique accrue et le temps perdu parce que les systèmes informatiques en lien avec la santé sont disparates et non communicants entre eux. Ne pensez-vous pas que cela soit un des thèmes important de cette mise à plat de notre système ?

C’est un domaine où les systèmes sont vite frappés de péremption. Il y a cependant beaucoup de progrès à faire pour améliorer les compatibilités et il faut être conscient du risque de glissement de tâches qui pèsent de plus en plus sur les soignants qui sont de plus en plus postés devant leurs écrans au détriment du contact physique, qui est la base des métiers du soin. A cet égard, la téléconsultation, très utile dans certains cas, devrait être utilisée avec discernement.

Romain : Est-il possible de comparer les systèmes français et allemand ?

Cette comparaison est souvent spécieuse : les Allemands dépensent plus que les Français en dollars par habitant mais moins en pourcentage du PIB (qui est supérieur à celui de la France). Le nombre de lits doit être analysé Land par Land, et il y a une structure hospitalière particulière, avec une part plus importante du privé et des hôpitaux communautaires. Leur meilleure gestion de la crise sanitaire s’explique par leur politique de tests massive et non par un nombre de lits de réanimation supérieur.

Pimppipi : Dans une émission télévisée, a été donné l’exemple du Quebec, qui a réévalué le métier d’infirmière grâce à un questionnaire standardisé produit conjointement par le gouvernement et les syndicats. Peut-on imaginer un tel mécanisme en France ?

C’est une piste possible : obtenir un consensus sur les métiers « vitaux » pour lesquels le pays est prêt à dégager des financements supérieurs, mais on touche là à des questions de choix et de politique générale qui dépassent l’objectif de ce tchat.
Il y a certainement une majorité de Français qui sont favorables à une revalorisation substantielle des salaires des soignants. La balle est dans le camp du gouvernement, mais le soutien actif des usagers, notamment par l’intermédiaire de la saisie des assemblées par le Conseil économique social et environnemental (CESE) qui est en cours, sera crucial.

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