samedi 6 juin 2020

« Non, l'hôpital n'est pas une entreprise ! » : la revalorisation des métiers hospitaliers vue par un médecin député



« Oui, les applaudissements à 20 heures leur font chaud au cœur. Évidemment, une prime sera bienvenue. Mais, dans la durée, la gratification, la considération et la reconnaissance doivent être d’une tout autre ampleur, » plaide le Pr Jean-Louis Touraine, député LREM, alors que professionnels de santé et gouvernement continuent leur discussion à l'occasion du « Ségur de la santé ».

Crédit photo : PHANIE
CONTRIBUTION - Chaque jour davantage, depuis le début de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19, il apparaît clairement à tous que le fonctionnement de l’hôpital ne peut pas être confondu avec celui d’une entreprise.
Certes, un hôpital doit évidemment être bien géré, sur le plan des ressources humaines comme sur le plan budgétaire. Bien sûr, il est des entreprises où le personnel est animé du désir de perfection dans le travail quotidien, où il est motivé et même dévoué. La solidarité entre salariés, encadrement et direction peut bien sûr être exemplaire, le sens de la mission commune, l’objectif de progression et de réussite peuvent exister, l’ambiance peut s’apparenter à celle que l’on retrouve dans une famille moderne, sans que quiconque ne soit oublié mais aussi sans paternalisme susceptible de blesser la fierté de certains.
Cependant, dans quelle entreprise (même parmi celles qui se consacrent à des activités sociales et solidaires) trouve-t-on l’équivalent de ce que nous observons tous les jours dans tous les hôpitaux de France ?
Une mobilisation spontanée et généreuse
Alors qu’il existait d’importants conflits sociaux, des revendications, des manifestations dans plusieurs catégories de personnels hospitaliers, mécontents de leurs conditions de travail et de leur trop faible reconnaissance, une mobilisation spontanée, généreuse et efficace s’est développée de façon générale dans tous les services dès que la nécessité exceptionnelle de soins décuplés est apparue. Tous, de l’aide-soignante au directeur, en passant par le médecin et l’infirmière, tous ont été sur le pont au premier coup de clairon. Ils ont démontré plus que du dévouement, une abnégation, un oubli de soi pour une mission supérieure : soigner au mieux des possibilités les nombreux nouveaux malades qui affluaient à l’hôpital dans un état d’inquiétude et de grande détresse.
Insuffisamment outillés et protégés, ils ont inventé les meilleures conditions de prise en charge des patients qui leur étaient confiés. En quelques jours, de nouveaux services de réanimation ont été créés ; les soignants ont travaillé parfois jusqu’à l’épuisement, en s’exposant à des risques qui se sont avérés mortels pour plusieurs d’entre eux. Lorsque les nouveaux services ont, eux-mêmes, été saturés par l’afflux de malades, ils ont organisé des transports sanitaires vers des régions où leurs collègues étaient un peu moins débordés, voire vers d’autres pays voisins.
Toutes ces activités n’ont pas représenté un « travail » mais un service absolu au bénéfice des souffrants, des patients fragilisés et inquiets, parfois des mourants.
Jamais n’a été oublié le soutien, le geste, la parole ou le traitement qui apaise et réconforte. Jamais, non plus, n’a été négligé l’effort de réflexion, d’innovation et de recherche pour faire progresser au plus vite la qualité de la réponse soignante à ce mal nouveau.
Ces qualités d’exception existaient avant le Covid-19, chez tous ces acteurs de l’hôpital. Elles s’exprimaient dans les diverses spécialités, en dépit des difficultés rencontrées et de la non-visibilité du dévouement de chacun. Il importe aujourd’hui de prévoir comment chacun, dans chaque métier de l’hôpital, peut – et doit – être mieux reconnu.
Reconnaissance légitime au niveau humain, avec davantage de considération, tout au long de la carrière hospitalière. Reconnaissance salariale aussi, évidemment, quand on réalise que ces personnes qui sauvent nos vies, parfois au péril de la leur, sont parmi les moins bien payées dans notre société. Oui, les applaudissements à 20 heures leur font chaud au cœur. Évidemment, une prime sera bienvenue. Mais dans la durée, la gratification, la considération et la reconnaissance doivent être d’une tout autre ampleur.
Le président de la République et le gouvernement ont pris la décision d’un « Ségur de la santé », faisant naître des espoirs dans des professions qui se sentaient de plus en plus négligées. Il est très important que, cette fois, les importantes et rapides modifications soient décidées en commun avec les représentants de tous les multiples métiers de l’hôpital. Ceux-ci devront tous être réévalués à l’aune de leurs performances et de leur engagement quotidien.
Co-construire l'hôpital de demain
L’écoute des représentants des diverses activités et de leurs organisations doit déboucher sur une co-construction de l’hôpital de demain, dépassant les habituelles corrections mineures, pour déboucher sur une refondation des métiers et de l’organisation de l’hôpital. L’objectif en est une meilleure prise en compte de la dimension humaine, une réduction significative de la lourdeur bureaucratique, et un recentrage essentiel sur les soins et l’accompagnement du malade. Ce renouveau aura, certes, un coût mais c’est à ce prix que notre pays retrouvera des hôpitaux d’une qualité enviable. Lorsque les soignants sont bien traités, les malades en sont bénéficiaires et la santé publique de l’ensemble de la population s’améliore.
Avec tous les acteurs de l’hôpital, il conviendra donc d’organiser l’amélioration des conditions de l’activité professionnelle et la revalorisation appropriée des salaires. Il en résultera une attractivité accrue pour ces métiers. Les postes vacants (30 % dans certains secteurs) seront alors pourvus par des titulaires plutôt que des remplaçants ou des intérimaires.
En parallèle, les agences régionales de santé, qui représentent aujourd’hui une déconcentration de l’État, pourront évoluer vers davantage de régionalisation, ce qui apportera plus de souplesse et une meilleure utilisation des crédits.
Dans les hôpitaux publics comme dans les cliniques, il importera de poursuivre la réduction significative de la part de financement à l’activité, génératrice d’inflation des actes. Rappelons que plus d’un quart des actes ne sont pas pertinents, pas bénéfiques pour les malades et parfois même dommageables ! Il importera de ne plus rembourser ces activités superflues et néfastes pour mieux prendre en charge ce qui est opportun, sur le plan technique et de façon renforcée sur le plan humain, en faveur des patients.
Alors, et alors seulement, chacun pourra pleinement retrouver le plaisir sans équivalent qu’est celui du travail à l’hôpital, au sein d’une équipe hospitalière.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.

Jean-Louis Touraine, professeur émérite de néphrologie et immunologie, député LREM de Lyon et vice-président de la Fédération hospitalière de France.

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