mardi 30 juin 2020

Moi JEune : «J’ai enfin trouvé, je suis une fille, je suis transgenre»

Par ZEP Zone d'expression prioritaire — 



Dessin James Albon

A l’occasion du mois des fiertés, cinq jeunes de 14 à 25 ans témoignent de leur vie en France en tant que LGBT +.

En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur La-zep.fr, dressent un panorama inédit et bien vivant des jeunesses de France. Retrouvez nos précédentes publications sur Libération.fr.

«En France, je vais pouvoir trouver l’amour et le vivre»

Amir, 16 ans, en formation, Paris
«Porter des mini-shorts et des talons, mettre des bagues ou me faire un make-up… Depuis que je suis arrivé le 28 janvier 2020 en France, je ne suis plus obligé de jouer le rôle de l’homosexuel discret. Au Maroc, je n’étais pas libre d’être moi-même. Ici, je peux aller à des soirées avec mes amis homosexuels, sortir librement avec mes sex-friends ou mon boyfriend. Tous les week-ends, je vais dans le Marais. Il y a tous les LGBT de Paris, je me sens à ma place. Personne ne me regarde mal ou ne me dit des choses déplacées. Il y a des homophobes en France mais ici, la loi me protège. Avant d’arriver, j’avais cherché sur Internet les pays européens qui protègent le plus les homosexuels.

«Depuis que je suis petit, ce sont les mecs que je regarde. Au collège, ceux de ma classe se moquaient de mon style, de ma façon de parler, de mon caractère doux, gentil et affectueux : "Regardez cet efféminé, il ressemble à une fille." Ils me frappaient, m’insultaient. Ils venaient derrière moi pour me toucher avant de s’enfuir. En 2017, ma sœur m’a poussé à m’inscrire dans une association de cultures japonaise et coréenne pour que j’arrête de passer mon temps seul chez moi. Il y avait d’autres personnes LGBT. J’y ai même rencontré le mec avec lequel j’ai fait ma première fois. Quand j’ai commencé à pratiquer la danse avec eux, ma famille m’a rejeté : "Si on te trouve avec ce groupe, tu vas être puni." Un jour, mon grand frère a pris mon téléphone, lu mes conversations et vu toutes mes photos efféminées. Ça a été l’enfer. Il était sauvage, m’a frappé, rasé les cheveux. Après un an et demi de tortures, de malédictions, de punitions, de privations et de sévères passages à tabac, j’ai pu ressortir avec mes amis. Mais ce sont les gens dans la rue qui ont commencé à m’agresser, parce que ça se voyait à mon style que j’étais homosexuel. Au Maroc, l’homosexualité peut être punie de trois ans de prison. Ma mère et mes amis m’ont conseillé de quitter le territoire. Ici, je vais pouvoir trouver le vrai amour mais surtout, je vais pouvoir le vivre.»

«Vais-je prendre des hormones ?»

Mina, 16 ans, lycéen·ne,  Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin) 
«Je ne sais pas si je vais écrire ce texte au féminin ou au masculin. Je suis transgenre, même si je n’en ai pas toujours eu conscience. Pour moi, être une femme, c’est me lever à 6 heures pour épiler mes jambes, ma barbe, ma moustache et mettre une jupe en espérant qu’on me parle au féminin. Depuis la maternelle, je m’identifie à des personnages féminins. Lorsque je jouais seule, le personnage que j’inventais était féminin. Je me déguisais parfois en princesse. Ce n’est que depuis la première que je parle de moi au féminin, mais au fond, je sais depuis toute petite que je suis une fille. C’est en CE1 que j’ai eu un déclic, grâce à une fille que tout le monde, même les adultes, appelait «un vrai garçon manqué». Pour moi, c’était évident, j’étais une «fille manquée». Je l’ai dit à quelqu’un au centre de loisirs, tout le monde s’est retourné. Grand silence. «Ça n’existe pas», a lâché une voix. A ce moment-là, j’ai relégué cette idée dans un coin de ma tête.
«En quatrième, j’ai découvert que j’aimais les garçons, et que ce n’était pas vu comme «normal». Pendant les vacances d’été avant la seconde, je suis sorti avec un garçon rencontré sur Internet. C’était la première fois. J’en ai parlé à ma mère à la mi-août. Elle m’a demandé de lâcher mon ordinateur. Je me suis énervé : «Quand est-ce que tu vas comprendre que c’est mon mec ?» Elle était surtout inquiète parce qu’il était plus âgé, très loin, et que je l’avais rencontré sur Internet. Le fait qu’il s’agisse d’un garçon était secondaire.
«Quand j’en ai parlé à mon père, j’étais en début de seconde, il était surpris. Mais ne m’a pas rejeté. C’est cette année-là que j’ai découvert le concept de “genderfluid». Une personne genderfluid peut, en fonction du moment, se sentir fille ou garçon. J’ai alors pensé que j’étais concerné. L’idée m’a fait réfléchir. Pendant mon année de première, j’ai utilisé l’excuse du carnaval pour porter une jupe au lycée. Je me suis dit que si ça se passait mal, je pourrais l’utiliser comme prétexte. Ça a fonctionné. J’ai à nouveau porté cette jupe deux fois cette année-là. La première fois, les gens de ma classe ont compris et accepté. La seconde, j’ai reçu des insultes d’inconnus dans une supérette.
«L’été suivant, après plusieurs semaines de questionnement, j’ai enfin trouvé mon genre : je suis une fille. Je suis transgenre. Pour moi, demain est fait de choix et d’incertitudes. Vais-je prendre des hormones ? Avoir recours à la chirurgie ? Quand le dire à mes parents ? Vais-je me cacher à nouveau ou prendre le risque d’être rejetée ? Il y a une chose dont je suis sûre aujourd’hui : il faut en parler. Pour que ceux qui pensent être seuls sachent qu’ils ne le sont pas.»

«Ils pensent que ma sexualité me définit»

Alicia, 14 ans, collégienne, Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) 
«Je suis bi, enfin, je crois. Je me suis collé cette étiquette car la société me demande de me définir, mais comment en être sûre ? J’ai beaucoup de proches de la communauté LGBT + qui pensent qu’on peut être amoureux d’une personne et non d’un genre, et je les rejoins sur ce point de vue. Je crois que notre sexualité est évolutive, alors comment trouver sa place lorsque aucune étiquette ne nous convient ?
«J’ai commencé à me poser des questions sur ma sexualité lorsque j’ai remarqué que je ne regardais pas les filles comme mes amies. Des amis, qui sont maladroits et qui ne comprennent pas ma difficulté, me disent parfois "Je suis sûr que t’es lesbienne" ou "Tu es hétéro, c’est sûr". Ils essaient de me définir alors que moi-même je ne sais pas. Ils pensent que ma sexualité me définit. J’ai fait des recherches sur Internet, regardé des youtubeurs (comme Shannon Beveridge) qui parlaient de leurs expériences… La représentation m’a énormément aidée lorsque je me posais des questions et maintenant, je me sens moins seule. Même si parfois certaines œuvres colportent encore des stéréotypes, des séries comme Euphoria ou le classique The L World aident beaucoup. Mais dans ma tête, c’est encore une guerre et une question qui tourne en boucle : "Qui suis-je ?"
«Les réseaux sociaux aident aussi beaucoup lorsqu’on ne connaît personne de la communauté LGBT +. Cela permet d’en parler librement. Cela m’a aussi permis de rencontrer des gens qui en font partie, qui ont les mêmes questions que moi, et des expériences à partager. Parfois, mes proches me demandent si ce n’est pas juste une phase de l’adolescence. Alors que c’est complètement faux ! On peut découvrir qu’on est gay, lesbienne, trans à n’importe quel âge, qu’on ait 10 ou 75 ans. Actuellement, je suis pleine d’espoir. La société change, j’ai la chance d’être née à la bonne époque, d’être bien entourée, de connaître des gens de la communauté qui me soutiennent. Je voudrais finir sur une citation de Morgan Freeman trouvée sur une story Instagram, qui m’a énormément touchée : "Arrêtons de parler d’homophobie, les gens n’ont pas de phobie des gays ou lesbiennes… Ils n’ont pas peur, c’est simplement des connards."»

«Nous collons des post-it en forme de cœur»

Manon, 16 ans, lycéenne, Paris 
«Le safe space est un endroit où l’on peut être soi-même, parler de n’importe quel sujet ou aborder n’importe quel problème sans être jugé·e. Avec des ami·es, on a créé notre propre safe space : notre groupe. Nous sommes cinq. Loan est transgenre "FTM" [female to male], Mélanie est transgenre "MTF" [male to female], Sam est transgenre non-binaire (iel [pronom non genré] est genderfluid et se définit différemment selon les jours), Anaël est transgenre non binaire (iel ne se définit pas grâce à un genre), et il y a moi, je suis une femme queer. Nous nous sommes rencontré·es en militant pour des actions LGBT +.
«Chacun·e, nous nous aidons en parlant, en nous hébergeant si besoin, ou en étant tout simplement bienveillant·es les un·es envers les autres. Parce que vivre avec une étiquette imposée n’est pas facile. A notre naissance, on nous assigne un genre et on nous dit : "Tu seras comme ça et tu aimeras telle chose." C’est impossible de jouer un rôle toute notre vie. Alors, comment sommes-nous censés faire lorsque nos proches ne nous acceptent pas tel·les que nous sommes ? Continuer de jouer un rôle ? Jusqu’à quand ?
«Mon ami transgenre, Loan, a très peu confiance en lui et a du mal à s’accepter tel qu’il est. La dernière fois que je suis allée chez lui, ses parents l’appelaient avec insistance par son dead name et le genraient systématiquement mal. Le dead name, c’est le prénom de naissance, souvent changé par les personnes transgenres. Ce safe space est donc très important pour lui. De mon côté, en tant que femme queer, mes ami·es m’aident à me confier. Sans elleux [pronom inclusif pluriel], je ne ferais pas toutes ces manifestations ou tous ces gestes pour militer.
«Avec Sam, nous collons des Post-it en forme de cœur, avec des messages d’amour, sur des stickers prônant la haine dans Paris. Jamais je n’aurais osé les mettre sur ceux de la Manif pour tous sans mes ami·es, j’aurais eu peur de me faire agresser. Lorsqu’on se fait insulter et que nous sommes tou·tes les cinq, nous le prenons avec beaucoup d’humour. C’est ça être un·e allié·e, c’est aider ses ami·es, sa famille ou n’importe qui à se sentir bien dans sa peau et à s’accepter tel·le qu’iel est. Parfois, on peut aider en faisant des choses concrètes : les accompagner quelque part (même les raccompagner chez eux), les soutenir durant leur transition, ou même simplement dire : "Je suis là pour toi, je te comprends et je t’accepte tel.le que tu es."»

«Ma mère m’a dit : “Tu me fais honte”»

Manon, 25 ans, volontaire en service civique, Toulouse 
«"C’est une honte, qu’est-ce qu’on va faire de toi ? Salope !" Je n’y peux rien, cette fille me plaît. Elle a un joli visage, une peau de bébé, il y a une putain d’attraction. Des sentiments aussi purs et innocents que l’amour, qu’est-ce qu’il peut y avoir de mal à ça ? En 2011, j’ai rencontré Jennifer après des mois de tchat sur Internet. Elle a traversé la France pour moi. On avait décidé de garder notre relation secrète. Je sentais que ça ne passerait pas auprès de ma famille. Sauf qu’ils l’ont su et l’enfer a commencé. M’empêcher de la voir, de sortir, me rabaisser, m’insulter… C’était parti pour des années de souffrance.
«Chaque matin, j’attendais impatiemment la fin de journée. Chaque soir, je ressentais les mêmes peurs jusqu’à m’endormir. Il m’a fallu presque dix ans pour comprendre que les parents peuvent être nocifs pour l’épanouissement de l’enfant. Il n’y a pas eu de dispute précise, c’était tous des moments cassure… "Mais qu’est-ce qu’on va penser de nous ?" disait ma mère. Quand on était en société : "Ce n’est qu’une passade." Quand on faisait les magasins avec ma copine : "Ne vous tenez pas la main." Et quand on était en intimité : "C’est dégueulasse, qu’est-ce que vous pouvez faire entre filles ? Un homme c’est tellement mieux."
«Jennifer et les suivantes, elle les a présentées comme des "amies" à son entourage, et m’empêchait chaque geste tendre… C’est à 20 ans que j’ai réalisé à quel point leur attitude n’était pas normale. Le moment qui m’a le plus marquée, c’est quand une fois, dans le jardin, contente mais méfiante que mon entourage ait accepté facilement ma moitié, j’ai décidé de m’approcher de ma copine et de l’embrasser. J’ai senti une main dans mes cheveux me tirer violemment en arrière. C’était ma mère : "Tu me fais honte." L’humiliation. L’incompréhension. Depuis, je me tiens le plus possible éloignée d’eux. Parce que le problème, ce n’est pas moi. C’est eux.»

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