dimanche 28 juin 2020

FREUD, L’INCONSCIENT COLLECTÉ

Par Virginie Bloch-Lainé — 

Sous forme de galerie de portraits, Michel Gribinski et Thomas Lepoutre recensent les personnalités que le père de la psychanalyse admirait et ses liens avec son entourage.

Sigmund Freud et sa fille, Anna, à La Haye en 1920.
Sigmund Freud et sa fille, Anna, à La Haye en 1920. Photo akg-images. Imagno. k.A.

Qui sont les héros de Personnages en quête de psychanalyse, ce livre dont le beau titre évoque Pirandello ? Une ribambelle d’abandonnés ? C’est le cas pour certains d’entre eux. Les deux auteurs, Michel Gribinski, psychanalyste, et Thomas Lepoutre, psychiatre, définissent dans leur avant-propos ce que ce texte n’est pas : «On ne trouvera pas ici un répertoire des auteurs auxquels Freud se réfère ou des personnes à qui il s’adresse.» C’est plutôt une galerie de portraits, classés par ordre alphabétique, de femmes et d’hommes, contemporains ou non de Freud, qui appartenaient à son entourage au sens large du terme : des écrivains qu’il aimait - Adelbert von Chamisso, Zweig, Zola - sa famille, ses disciples, ses mentors. Mais le livre n’est en rien un catalogue, un «Freud et son temps» supplémentaire, tellement Gribinski et Lepoutre, à travers leurs commentaires et ce qu’ils retiennent de cet entourage, sont piquants, subjectifs et spirituels.

Aphorisme

Freud n’a pas rencontré tous ceux convoqués ici. A Mussolini, par exemple, il n’a fait qu’adresser une dédicace. C’est déjà beaucoup, et c’est une découverte «à nos yeux incongrue et désagréable», écrivent Gribinski et Lepoutre. En 1933, Freud offre son Pourquoi la guerre ? au Duce, avec ces mots : «A Benito Mussolini, avec le salut respectueux d’un vieil homme qui reconnaît en la personne du dirigeant un héros de la culture.» Le fondateur du fascisme vient de lancer un important programme de fouilles archéologiques. Comment s’explique cette initiative ? Freud répondait peut-être à la demande du père d’une patiente. Mais «c’est le contraire d’une bonne raison». Certains personnages n’ont droit qu’à une petite entrée, d’une taille sans rapport avec leur notoriété : c’est que Gribinski et Lepoutre se concentrent sur ce qui reliait ces êtres à Freud et ne déroulent pas leur biographie par le menu. D’autres livres s’en chargent. Nietzsche tient en dix lignes. Y figure un merveilleux aphorisme de Par-delà le bien et le mal : «Oui j’ai fait cela, dit ma mémoire. Il est impossible que je l’aie fait, dit mon orgueil, et il demeure intraitable. Finalement… c’est la mémoire qui cède.»

Rumeur

Célèbre critique danois, Georg Brandes (1842-1927) occupe un petit paragraphe lui aussi. Il éprouvait pour Freud une admiration partagée. En 1925, les deux hommes se rencontrent. Brandes : «Il y a une chose qu’il faut que je vous dise ; je n’ai jamais eu de sentiments sexuels pour ma mère.» Freud : «Il n’est pas du tout nécessaire que vous l’ayez su ! Ce sont en effet pour l’adulte des processus inconscients.» Soulagé, Brandes serre la main de Freud.

La famille de Freud occupe plusieurs pages. Elle compte des cas qui font jaser depuis longtemps. Anna, la fille, est la figure la plus discutée. Sur les photos elle n’est «ni enfant, ni adulte», écrivent Gribinski et Lepoutre, qui citent ensuite le psychanalyste Adam Phillips : «A la différence de l’enfant, l’adulte n’a nulle part où aller, aucune place prédéterminée, il lui faut aller quelque part.» Lire Personnages en quête de psychanalyse, c’est ouvrir des portes qui s’ouvrent sur d’autres lieux encore.
La belle-sœur de Freud fit couler beaucoup d’encre également. Minna Bernays (1865-1941), la sœur de Martha, vécut quarante-deux ans avec le couple. Gribinski et Lepoutre font un sort à la rumeur selon laquelle Freud et elle couchaient ensemble. Beaucoup d’avis circulent sur le sujet. «Et nous ? Nous, c’est très simple. Nous sommes toujours étonnés d’apprendre qu’un homme et une femme ont eu des relations sexuelles.»
Personnages en quête de psychanalyse - Michel Gribinski - Petite ...
Virginie Bloch-Lainé 
Michel Gribinski et Thomas Lepoutre Personnages en quête de psychanalyse PUF, «Petite bibliothèque de psychanalyse», 208 pp.,


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