vendredi 22 mai 2020

« La loi et l’éthique, deux boussoles primordiales en période de crise sanitaire » : mise en garde de deux juristes sur les médicaments et le Covid

PUBLIÉ LE 22/05/2020

« Les conditions dans lesquelles certaines études menées sur l’hydroxychloroquine ont été présentées et utilisées, posent question d’un point de vue éthique ». Deux experts d'un cabinet d'avocats estiment que le contexte de crise sanitaire actuel ne dispense de prudence, ni les initiateurs d'études, ni les médecins qui pourraient être tentés par des prescriptions hors AMM. M e Alexandre Regniault et le Dr Alain Rimailho rappellent ici les risques d'une médiatisation excessive en la matière.
Crédit photo : Phanie

CONTRIBUTION - Sans entrer dans un débat scientifique ou méthodologique de fond, il est impératif pour l’initiateur d’une étude, au surplus si celui-ci fait le choix d’utiliser une grande visibilité médiatique pour en présenter les résultats en s’appuyant sur les réseaux sociaux et la presse, d’une part, de soumettre préalablement ses travaux à l’appréciation de ses pairs (qui pourraient faire une lecture en extrême urgence comme on l’observe chaque semaine avec les grandes revues médicales internationales) et, d’autre part, de faire preuve de prudence dans la communication de ses résultats.

En l’espèce, alors qu’il n’existe actuellement aucun traitement reconnu pour le Covid-19, mais que de nombreux essais cliniques ont été engagés, les investigateurs font face à un refus assez fréquent des patients ou de leur famille de participer à un essai, ceux-ci préférant bénéficier d’une molécule dont l’intérêt a été vanté et présentée comme une solution thérapeutique immédiate dans une large population.       
Alors que les traitements proposés dans le cadre des essais cliniques en cours, s’ils n’ont pas encore fait la preuve de leur rapport bénéfice/risque favorable, sont utilisés sur la base d’un protocole validé par les autorités, dans des conditions réduisant au maximum les risques pour les patients et sur des populations susceptibles d’en percevoir un bénéfice, le patient improprement informé, orienté vers un traitement dont il croit que l’efficacité a été démontrée, est alors détourné d’un tel essai clinique validé et se voit privé de pouvoir bénéficier d’un traitement qui pourrait s’avérer efficace.
Une situation pandémique d’urgence ne constitue nullement un motif d’exonération de ces exigences méthodologiques et réglementaires fondamentales, ni une quelconque justification pour capitaliser sur une notoriété et pousser des conclusions hâtives, que celles-ci se trouvent secondairement validées ou non.
Le « hors AMM » doit pouvoir être justifié
S’agissant de la prescription d’un médicament en dehors de son indication autorisée (que ce médicament fasse par ailleurs, ou non, l’objet d’un essai clinique en cours) : le médecin dispose, en droit français, d’une liberté de prescription, « dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science ». En l’absence d’un autre cadre juridique, le médicament ne peut être prescrit « hors AMM » « qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. » Dans ce cadre, la loi impose alors au médecin prescripteur des exigences particulièrement précises et détaillées quant à l’information du patient. 
En cette période de crise, il appartient plus que jamais au médecin qui prescrirait « hors AMM », pour sa propre protection contre le risque de mise en cause future de sa responsabilité (par un patient, ou par une famille endeuillée), de respecter l’ensemble de ces conditions légales. En cas de contentieux, le médecin devra se préparer à expliquer, devant un confrère expert judiciaire désigné, puis devant le tribunal, pourquoi il a jugé cette prescription indispensable « au regard des données acquises de la science » (sur ce point, il faudra bien constater que dans les premiers mois de 2020, aucun traitement n’était autorisé ni n’avait une efficacité démontrée pour le traitement de Covid-19), et « pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient » (question sans doute plus délicate si l’on envisage une prescription « hors AMM » à des patients qui ne souffriraient que de symptômes modérés). S’agissant des conditions tenant à l’information du patient, l’on ne saurait que trop recommander au médecin prescripteur de documenter soigneusement l’information fournie à son patient, dans toute la mesure du possible.
S’agissant de l’hydroxychloroquine et de l’association lopinavir/ritonavir, un décret pris sur le fondement des nouvelles dispositions légales sur l’état d’urgence sanitaire autorise son utilisation dans des conditions dérogatoires, propres à ces médicaments et à cette affection du covid-19, et qui permet le remboursement par l’assurance-maladie. Pour tout autre médicament, une prescription « hors AMM » devra obéir aux conditions de droit commun.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
Alexandre Regniault, avocat, responsable du secteur Santé et sciences de la vie, Simmons & Simmons et Dr Alain Rimailho, consultant médico-scientifique, Simmons & Simmons

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