mercredi 6 mai 2020

Covid-19 : nouvelles du front des fous

Par Eric Favereau — 
A l'hôpital psychiatrique du Clos-Bénard à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 12 février.
A l'hôpital psychiatrique du Clos-Bénard à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 12 février. Photo Christophe Archambault. AFP

L'hôpital psychiatrique a bien tenu le coup, en dépit de moyens dérisoires. Les malades longue durée n'ont pas craqué avec le confinement. En revanche, les urgences ont vu affluer des patients inconnus jusque-là, avec des bouffées délirantes inédites.

C’est la bonne surprise, inattendue et réconfortante. Alors que bon nombre de psychiatres redoutaient ces dernières semaines les conséquences du confinement pour leurs patients, les choses se sont plutôt bien passées. «Dans nos unités d’hospitalisations, nos patients longue durée en particulier, n’ont pas craqué», rapporte le Dr Laurent Vassal qui dirige la Commission médicale d’établissement de l’hôpital Ville-Evrard à Neuilly-sur-Marne, en charge entre autres de l’est et du nord de Paris, une des parties les plus défavorisées de l’Ile-de-France. «Le confinement ils connaissent», poursuit la Dr Françoise Linard. «Certains patients n’ont pas vu de grande différence. Ce qui est très lourd, ce sont les angoisses sans objet. Là, il y avait un objet.»
De fait, cette bonne surprise se retrouve un peu partout, aussi bien dans les hôpitaux psychiatriques autour de Paris, que ceux du Havre, de Bayonne ou de Strasbourg. «Nos patients que l’on voyait en ambulatoire, s’en sont également bien sortis. On a continué à les suivre avec les téléconsultations. Cela a bien fonctionné. Et quand on n’avait pas de nouvelles, on allait les voir», détaille le Dr Laurent Vassal. «On a beau être fou, on a des ressources», rappelle Tim Greacen, chercheur à Maison-Blanche et proche des associations de malades. «C’est sur ces ressources propres à chacun qu’il faut s’appuyer pour les accompagner. Et non pas les abrutir ou les enfermer», souligne-t-il.

La psychiatrie, parent pauvre du Covid-19

A côté de cette bonne surprise, il y a le contexte. Cette crise sanitaire n’a fait que confirmer que la psychiatrie publique reste le parent pauvre de notre système de santé. «Nous n’avons rien obtenu. Zéro de chez zéro», raconte le Dr Laurent Vassal. Et cela n’a pas été sans conséquence. A Ville-Evrard, certaines unités de soins ont vu leur personnel ravagé par le Covid-19. «Dans l’une d’entre elles, détaille le médecin, près de 80 % des soignants étaient absents, la plupart parce qu’ils étaient infectés. On n’avait pas de masques. Rien. On a même monté des ateliers pour fabriquer des tenues de protection avec des sacs-poubelles.»
Ce médecin et plusieurs autres psychiatres de Ville-Evrard se sont retrouvés, eux aussi, infectés. «C’était le dénuement total. A nous de nous débrouiller. Mais, ce que j’ai trouvé insupportable, c’est d’avoir infecté ma compagne.» Pour autant, une solidarité inédite s’est construite. «Entre médecins, entre hôpitaux, on s’est entraidés, poursuit le Dr Vassal. Des hôpitaux de Clermont-Ferrand et d’ailleurs, avec qui on avait des liens, nous ont envoyé des infirmières, des médecins. L’ONG Aviation sans frontières a assuré leur transport en avion. Une aide magnifique. Mais c’est nous, médecins, qui avons tout monté.» Et quid des autorités sanitaires ? «Zéro. A part des recommandations qui ne servaient à rien, cela a été la république autonome de la psychiatrie», lâche Laurent Vassal. «Au niveau de la direction de l’hôpital, ils ont fait tout ce qu’ils ont pu», tempère une chef de pôle de Ville-Evrard.

Ceux qui perdent la tête

Le coronavirus a fait affluer vers des hôpitaux des patients inconnus jusque-là du monde de la santé mentale : des personnes qui craquent après de semaines de confinement à leur domicile. Ils délirent. Se prennent pour le virus, ou se lancent dans des diatribes messianiques. D’autres évoquent encore leur responsabilité coupable dans cette épidémie.
La Dr Marie-Christine Beaucousin, cheffe de secteur de psychiatrie à l’hôpital Ville-Evrard en a vu et entendu beaucoup. Avec quelques autres psychiatres, elle s’est démenée depuis deux mois pour construire une sorte de veille commune sur le nord de l’Ile-de-France et apporter ainsi une réponse commune face à des urgences en psychiatrie. Elle raconte : «Au début, l’activité s’était effondrée. Et depuis quelques semaines, nous voyons arriver des jeunes, sans antécédent. Ils présentent des bouffées délirantes aiguës. Aussi bien des garçons que des filles. On a regardé s’il y en avait plus qu’avant. C’était bien le cas. Et on ne s’y attendait pas du tout», lâche la Dr Beaucousin.
Comment peut-on l’expliquer ? «Les éléments déclenchants ? Bien sûr il y a le climat très anxiogène de ce confinement, analyse Marie Christine Beaucousin. Et nous sommes dans un des départements les plus pauvres avec des conditions de logement parfois très difficiles. Le confinement pouvait être très tendu. Mais ce n’est pas très clair. On s’attendait à voir nos malades habituels, et bien non. Certains de mes collègues ont mis en avant des hypothèses sur l’usage de toxiques [médicaments notamment, ndlr], des abus de drogues ou des drogues nouvelles. On va essayer de comprendre. Peut-être ? Mais on n’a pas de réponses.»
En tout cas, ces bouffées délirantes se soignent assez vite, même si elles peuvent présager d’une entrée dans une maladie mentale…

Et si les antipsychotiques se révélaient anti-coronavirus ?

Dans la course aux traitements contre le Covid-19, voilà que ces jours-ci sont apparus les molécules antipsychotiques, et en particulier le largactil, une molécule très largement prescrite en psychiatrie.
Selon des chercheurs de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, les services de soins en psychiatrie ont constaté un faible nombre de formes symptomatiques et sévères du Covid-19 chez les patients atteints de troubles psychiques.
Pourtant, les populations concernées présentent des tableaux cliniques (surpoids, troubles cardio-vasculaires) les plaçant a priori dans les catégories à risque», notent ces chercheurs. Or, dans le XVarrondissement de Paris et au sein de l’hôpital, «alors qu’en moyenne 19 % du personnel médico-soignant avait contracté le Covid-19, seuls 3 % des patients hospitalisés ont été dépistés positifs. C’est peu. Des retours similaires ont été rapportés de Chine, d’Italie, d’Espagne et d’autres hôpitaux de l’Hexagone».
Coincidence ou lien de causalité. Ces médecins-chercheurs, en partenariat avec l’Institut-Pasteur, ont lancé le projet reCoVery : avec le repositionnement de la chlorpromazine (le largactil) dans le traitement du Covid-19. «Il s’agit de la première étude mondiale sur le sujet.» Non sans raison, ils ajoutent : «Dans la course à la recherche sur le Covid-19, ce sont les stratégies de repositionnement de molécules connues qui priment, compte tenu de l’urgence à développer des thérapeuties. La chlorpromazine pourrait agir comme un inhibiteur de l’entrée du virus dans les cellules, ou endocytose.» Une hypothèse qui reste évidemment à vérifier. Ce médicament est aujourd’hui peu prescrit.

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