samedi 9 mai 2020

COVID-19 : Des données non validées par des revues scientifiques sont diffusées par les médias

Univadis

Hervé Maisonneuve, Éditorial  4 mai 2020


Il fut un temps où les revues scientifiques ne considéraient pas les manuscrits dont les données avaient été communiquées au public

En 1969, John F Ingelfinger, rédacteur en chef de la revue New England Journal of Medicine, a proposé une politique qui a été rapidement adoptée par la plupart des revues scientifiques quel que soit leur domaine. Cette règle, revisitée en 1991 à l’occasion de l’épidémie du SIDA, donnait satisfaction à la communauté scientifique. L’engagement des revues était de ne pas considérer, ni publier des manuscrits dont les résultats avaient été présentés aux médias, ou déjà publiés, hormis lors des congrès. Cette règle a été longtemps respectée ; elle était basée sur le principe que les revues, par leur processus d’évaluation par les pairs (peer-review) et de contrôle qualité (mise en forme,..) assuraient la validité des données divulguées. Des détracteurs ont pensé qu’il s’agissait plutôt de protéger un modèle économique.


La COVID-19 a été un accélérateur important des préprints

Avec l’arrivée des archives ouvertes de préprints, la règle d’Ingelfinger n’est plus respectée. Le ‘manuscrit auteur’ est la version initiale du compte rendu de recherche, avant soumission à une revue. Cette version qui précède l’évaluation par un comité de rédaction est appelée ’prépublication, préprint ou preprint’. Elle ne comprend ni les modifications que fera l’auteur après le peer-review, ni les corrections et la mise en page de l’éditeur. Les plateformes de préprints ont commencé avec arXiv en 1991 pour les physiciens qui les ont rapidement adoptées. Il a fallu attendre fin 2013 pour que les biologistes adoptent les préprints avec bioRxiv, puis le deuxième semestre 2019 pour que la communauté médicale découvre les préprints avec medRxiv.

En avril 2020, les préprints sont utilisés sans réserve pour les recherches autour du SARS-CoV-2, alors que les médecins étaient réservés sur ces archives. Des différences existent entre préprints et articles publiés dans une revue scientifique et la prudence s’impose. Toute archive ouverte de préprints a un avertissement « Les préprints sont des rapports préliminaires de travaux qui n'ont pas été certifiés par un examen par les pairs. Ils ne doivent pas servir à orienter la pratique clinique ou les comportements liés à la santé et ne doivent pas être présentés dans les médias comme des informations établies ».

Les médias ne vérifient pas assez leurs sources, et ne prennent pas de précautions avant de divulguer des résultats de la recherche

Les médias, le public, les politiques, voire les professionnels de santé discutent les préprints dès leur mise en ligne, oubliant souvent que ces manuscrits n’ont fait l’objet d’aucune évaluation scientifique, d’aucune validation par un comité de lecture. Certains préprints sont trompeurs, voire ne respectent pas les bonnes pratiques scientifiques, ou les bases de l’intégrité scientifique. En principe, l’archive ouverte vérifie que le manuscrit mis en ligne est sous forme de compte rendu de recherche, et ne contient pas de propos sexistes, confessionnels, insultants, etc...  Le volume de préprints soumis en période de pandémie est d’environ 60 par jour.

Trop de discussions ont été alimentées par des préprints, sans émettre les réserves préalables dues à ce type de diffusion de données. Parfois des résultats apparaissent sur les réseaux sociaux avant qu’un manuscrit ne soit disponible.

Le pire a été observé avec les propos tenus par le Pr Luc Montagnier sur l’origine du SARS-CoV-2 qui aurait été créé par l’homme. Ces propos étaient basés sur un article publié par une très obscure revue indienne : ‘International Journal of Research – Granthaalaya’. Il s’agit d’une revue trompeuse ou prédatrice, sans évaluation par les pairs, avec un comité de rédaction fantoche et des experts de nombreuses disciplines (dont ingénieur, agronome, architecte, dentiste, économiste,…). L’article est mal écrit, pas clair, proche d’une fake news. L’auteur est un mathématicien de 72 ans qui fut un pionnier de la neuro-informatique dans les années 1980, c'est-à-dire de l'intelligence artificielle. Depuis trente ans, selon ses dires, il poursuit des travaux sur la structure numérique de l'ADN sous l'œil intéressé de Luc Montagnier. Il n’est ni biologiste, ni généticien, ni virologue…. La consultation de l’article permet à tout journaliste ou citoyen averti de voir que c’est de très mauvaise qualité…  Mais les girouettes médiatiques ne vérifient pas leurs sources.

La règle d’Ingelfinger est obsolète, alors qu’elle avait un rationnel utile, et permettait de ne diffuser que des données validées, même si les défauts du peer-review ont été largement discutés. Les réseaux sociaux ne valident pas l’information.

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