samedi 2 mai 2020

« Confinés ou déconfinés, les enfants victimes invisibles de la pandémie »



Les conséquences psychiques et sociales du Covid-19 sur l’enfance nécessitent un suivi et une coordination des politiques sanitaires, médico-sociales et de protection sociale, soulignent, dans une tribune au « Monde », onze pédiatres et spécialistes de santé publique.
Publié le 2 mai 2020

Tribune. La pandémie semble a priori épargner les enfants. Lorsqu’ils sont atteints, ils restent le plus souvent asymptomatiques, les formes graves sont rares et les décès heureusement exceptionnels. Cette relative protection risque de se retourner contre eux. S’ils n’ont pas encombré les services d’urgence, ils sont pourtant touchés, et peut-être durablement, par l’ensemble des effets indirects de la pandémie.
Ces conséquences pourraient passer inaperçues au regard de l’ampleur inédite de la crise que nous vivons. La perspective d’un déconfinement et de la réouverture des écoles doit inciter à préparer la suite et à en limiter les effets sur leur santé.

Pendant la période de confinement, des soins, parfois même urgents, ont été reportés. L’idée que les enfants font moins de formes graves et qu’il ne fallait pas encombrer des professionnels de santé et des urgences hospitalières surchargées, et que le personnel comme les structures sanitaires doivent rester mobilisés sur le seul Covid-19, a pu être renforcée par la crainte de contaminations dans les hôpitaux ou les structures sanitaires ambulatoires.
Une recrudescence d’accidents domestiques, à craindre du fait de l’enfermement, a été observée dans certains services d’urgence. Il faut se préparer à rattraper le fait que des enfants atteints de maladies chroniques aient été moins bien suivis et traités. Il faut aussi veiller à ce que les actes de prévention, les vaccinations, les dépistages, notamment pendant la période néonatale, soient vérifiés et mis à jour. Le confinement ne peut pas être et avoir été une pause dans les soins.

Impact économique

Avec la fin du confinement ne vont pas cesser les comportements acquis et les effets sur la santé mentale. On sait qu’en dehors des périodes scolaires les enfants sont physiquement moins actifs, ont des habitudes nutritionnelles moins favorables, avec prise de poids et une moins bonne condition physique. Qu’il soit récréationnel ou éducatif dans le cadre de la continuité éducative, l’usage des écrans représente une des rares occupations quand sortir de la maison n’est plus possible.
Il pourrait conduire à une surexposition qui entraîne des perturbations du sommeil et de l’alimentation. Le stress prolongé occasionné par la peur de l’infection, l’ennui, l’absence de relations avec des amis, le manque d’espace à la maison et parfois les tensions familiales peut être à l’origine de dépression, d’anxiété, de mal-être, éventuellement exprimé par la violence, voire de stress post-traumatique.
La recrudescence de plaintes pour violences faites à des femmes témoigne de ce climat de tensions intrafamiliales qui menace les enfants. A la sortie du confinement, la santé mentale des enfants peut être affectée durablement à la suite d’une période que les enfants ont pu vivre difficilement, de deuils intrafamiliaux ou, au contraire, d’un retour difficile en milieu scolaire, parfois après une période qui a pu mettre à l’abri de difficultés d’insertion. La rupture avec des comportements acquis pendant le confinement nécessite d’être accompagnée. Tous ces aspects méritent une mobilisation qui ne se limite pas aux seuls aspects scolaires ou infectieux.
L’impact économique de la pandémie menace d’être considérable. Les conséquences sur le marché du travail vont toucher en premier lieu les travailleuses et travailleurs précaires. Pour les enfants, il accroît le risque de vivre dans une famille pauvre. Rappelons que 20 % des enfants vivent déjà en France sous le seuil de pauvreté. Nombre d’enfants subissent des conditions socialement et économiquement fragiles que la mise au chômage partiel, les fermetures d’entreprises ou les licenciements peuvent aggraver de façon dramatique.

Effets lors de la période fœtale

Les effets à moyen et long termes des expositions psychologiques, sociales et environnementales lors de la période fœtale et des premières années de vie sur la santé et les inégalités sociales de santé sont aujourd’hui bien documentés dans la littérature scientifique. Ces travaux montrent à quel point les enjeux d’une aggravation de la pauvreté des enfants sont majeurs pour leur santé actuelle et celle des adultes qu’ils seront demain. Un programme massif d’aide aux familles est nécessaire pour éviter une silencieuse catastrophe sanitaire secondaire.
Pour que les enfants ne soient pas victimes de l’attention portée à d’autres urgences, il est urgent de mettre en place un suivi et une coordination des politiques sanitaires, médico-sociales et de protection sociale. Cette coordination doit permettre de préparer au mieux la reprise de la vie post-pandémie.
Son pilotage interministériel est indispensable, dès lors que le logement, les politiques familiales ou le travail impactent la santé des enfants. Confinés ou déconfinés, ils risqueraient de rester, en l’absence d’une attention explicite, les victimes invisibles d’une pandémie qui a semblé les épargner tout en les frappant durement.

Les signataires de cette tribune sont Thierry Lang, professeur de santé publique, université de Toulouse, membre du Haut Conseil de la santé publique, soutenu par (ordre alphabétique) : Yannick Aujard, professeur de pédiatrie ; Agathe Billette de Villemeur, médecin de santé publique ; Isabelle Claudet, professeure de pédiatrie ; Laure Com-Ruelle, médecin de santé publique ; Emmanuel Damville, professeur de pédo-psychiatrie ; Emmanuel Debost, médecin généraliste ; Pascale Duché, chercheuse ; Agnès Gindt-Ducros, médecin de santé publique ; Michelle Kelly-Irving, chercheuse ; Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles, chercheuse.


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