dimanche 12 avril 2020

Nicolas Grimaldi. Dans la solitude d’un monde sans humains

Mis en ligne le 09/04/2020





Empreintes de pieds dans le sable © Felipe Correia/Unsplash
Empreintes de pieds dans le sable, à Lauro de Freitas (Brésil) © Felipe Correia/Unsplash

Pour Nicolas Grimaldi, la vie au temps du confinement n’est pas une vie. À 86 ans, du haut de sa maison face à l’océan, le philosophe auteur du “Traité des solitudes” défend plus que jamais la valeur de la mutualité des émotions. Une méditation pleine de mélancolie et de tendresse.

Vous habitez l’ancien sémaphore de Socoa sur la côte basque, face à l’océan. Cela peut ressembler au lieu idéal pour un confinement ! Comment le vivez-vous ?
Nicolas Grimaldi : Eh bien, comme tout le monde, je survis ! Il est cependant vrai que mes conditions d’existence ne sont pas très changées. Je vis généralement seul, je me nourris peu, je lis beaucoup, et ma vie continue comme si elle n’était pas si menacée.

“D’un côté, on vit normalement, mais, d’un autre côté, on a presque cessé de vivre”

Nicolas Grimaldi

Mais ne sommes-nous pas contraints de penser nos vies menacées ? 
Nous le savons mais nous ne le sentons pas, c’est pourquoi nous n’y pensons pas vraiment. C’est, me semble-t-il, le paradoxe. De même que le diabète est une maladie qui ne fait pas souffrir, de même ce virus est un danger que l’on ne sent pas. Nous sommes donc obligés de faire comme si : comme si nous vivions sous la menace d’un péril auquel nous ne serions pas vraiment assujettis. La situation étrange que nous partageons me frappe par son caractère extrêmement banal et totalement exceptionnel. Rien n’est plus banal, puisque les conditions biologiques et spirituelles de notre existence sont assurées sans difficulté : nous dormons, nous mangeons, j’entends les nouvelles à la radio, je lis La Débâcle de Zola, j’écoute les quatuors de Haydn… Mais par ailleurs, rien n’est plus exceptionnel, puisque les conditions sociales de notre existence sont empêchées. D’un côté, on vit normalement, mais, d’un autre côté, on a presque cessé de vivre. Par une conséquence du confinement, toute relation, toute activité, tout travail, tout rythme sont suspendus. Du même coup, nous ne pourvoyons plus à l’existence des autres. Et cependant les autres pourvoient à la nôtre, puisque les médecins et infirmières nous soignent et que nous allons de temps en temps dans une grande surface où nous trouvons l’indispensable. Quoique l’échange se perpétue, la société n’existe pas. Comment peut-il y avoir une société sans échange ou un échange sans société ? C’est pourtant ce que nous vivons. On se donne l’illusion d’entretenir l’état de société, mais nous sommes comme dans un monde où notre existence ne serait plus assurée que par des distributeurs automatiques et des liens immatériels. Est-ce que le message informatique que je reçois peut tenir lieu d’une main qui tiendrait la mienne si je suis malade ? Évidemment que non. 

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