jeudi 9 avril 2020

Covid-19 : l’occasion de reconsidérer la fin de vie dans la dignité ?

Départ d’un TGV réquisitionné pour les patients atteints du Covid-19, en gare d’Austerlitz, le 1er avril.
Départ d’un TGV réquisitionné pour les patients atteints du Covid-19, en gare d’Austerlitz, le 1er avril. Photo Thomas Samson. Pool via AP


Le Rivotril, dont la délivrance vient d’être autorisée en pharmacie, évite aux personnes agonisant en ville et dans les Ehpad de mourir dans les souffrances de l’asphyxie. La précipitation dans laquelle cette autorisation a été accordée serait-elle le signe que la pandémie amène enfin à reconsidérer les problèmes de la maladie et de la souffrance à la fin de l’existence ?

Tribune. L’infection au Covid-19 n’aura pas fini de mettre en lumière nos erreurs et nos manques de réflexion en matière sanitaire. Cette politique de l’autruche ne date pas d’aujourd’hui, ni même d’hier, mais d’avant-hier. Trop longtemps nous avons fait confiance aux technocrates et aux idéologues libéraux de la santé.
Après le manque de soignants par le blocage du numerus clausus (1971), après la diminution drastique des lits d’hospitalisation au nom d’une vision mercantile (moins de 40 % de lits en cinquante ans), nous découvrons
le manque possible de médicaments du fait de la course au profit maximum des entreprises pharmaceutiques qui ont délocalisé leur production.

Aujourd’hui, nous faisons également mine de découvrir les problèmes posés par la fin de vie. Notre société n’a jamais voulu réellement aborder les insuffisances de la loi française, dite Claeys-Leonetti, qui, pour limiter le recours à la «sédation profonde et continue», impose l’hospitalisation et refuse aux médecins généralistes la possibilité de se procurer en ville les produits nécessaires à cette sédation (en novembre, l’un d’entre eux a été suspendu pour avoir aidé des malades à mourir à leur domicile en utilisant du midazolam que son épouse hospitalière lui avait procuré). Cette loi n’avait pas prévu non plus l’impossibilité d’hospitaliser des malades âgés par manque de lits d’hospitalisation.

Le décret que vient d’émettre le Premier ministre, le 28 mars, autorisant la vente en pharmacie du Rivotril intraveineux, a pour objectif d’éviter aux personnes agonisant en ville et dans les Ehpad de mourir dans les souffrances cruelles de l’asphyxie. Même si ce décret limite dans le temps l’autorisation de l’emploi du Rivotril intraveineux, il est une reconnaissance officielle de l’aide médicale à mourir. Ce que beaucoup réclament depuis des années. Il est temps de reconnaître la valeur éthique et humaine des médecins qui ont le courage d’éviter à leur patient une agonie inutile et douloureuse.
Toutefois, par la précipitation dans lequel il a été élaboré, ce texte ministériel pose trois problèmes de fond. Tout d’abord, où est la collégialité nécessaire à une telle décision ? La loi Claeys-Leonetti n’a rien précisé sur ce point essentiel. Comment la faire vivre quand on exerce seul au fin fond de la Lozère ou de la campagne bretonne ? En Belgique, aux Pays-Bas, la loi est claire : l’avis de deux médecins est nécessaire avant d’envisager une aide médicale à mourir.
Ensuite, la limitation du décret dans le temps. Pourquoi ce qui est considéré comme une solution humaine un jour ne le serait pas demain ? Voilà longtemps que la population, dans sa très grande majorité (près de 90 %), réclame un changement de la loi qui l’autoriserait à bénéficier d’une mort choisie et sereine. Une demande qui se heurte à la surdité des autorités politiques, religieuses, et parfois même médicales.
Enfin, il manque dans ce décret l’élément essentiel : le choix du malade ou l’avis de la personne de confiance. Pourquoi refuse-t-on que «les directives anticipées» soient un véritable testament, laissant à chacun la liberté de choisir sa fin de vie ? Pourquoi les législateurs ont-ils limité la validité des directives anticipées au cadre restrictif d’une loi incomplète ?
Une fois éloignée, la pandémie au Covid-19 va-t-elle nous amener à reconsidérer autrement les problèmes de la maladie, de la souffrance, de la fin de vie ? Nos hommes politiques vont-ils enfin ouvrir les yeux sur ces erreurs et ces manquements que nous avons été nombreux à dénoncer depuis longtemps ? Va-t-on enfin prendre conscience que ce problème particulièrement aigu du «tri des patients», qui choque tant de gens aujourd’hui, existait chez nous de façon chronique, du fait de la diminution du nombre drastique de lits d’hospitalisation ? Qu’un tri médical totalement inhumain, existe également depuis longtemps entre pays riches et pays pauvres, sans que cela ne brutalise les bonnes consciences ? Sans parler des millions de réfugiés dont beaucoup vont être livrés à une mort certaine. Y aurait-il dans la défense de l’éthique médicale deux poids, deux mesures ?
Espérons que dans six mois, quand la pandémie commencera à se lasser de notre Terre, nous n’oublierons pas nos erreurs passées et que nous mettrons fin à une politique hypocrite et mercantile de la santé. Une politique qui va nous coûter cher.

Martin Winckler est l'auteur de :  la Maladie de Sachs, (P.O.L, 1998) ; les Brutes en blanc (Flammarion, 2016), 

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