samedi 25 avril 2020

Coronavirus : en Espagne, la tragédie des maisons de retraite

Analyse 

Un mois après les découvertes par des militaires de personnes abandonnées, voire trouvées mortes dans leur chambre à l’intérieur de ces établissements, la justice a pris à bras-le-corps le dossier.

Pas moins de 86 enquêtes sont ouvertes pour négligence après la mort de milliers de personnes âgées dans leurs maisons de retraite.


Coronavirus : en Espagne, la tragédie des maisons de retraite
Il s’agit pour la justice et la société de comprendre comment plus de 12 000 personnes âgées ont pu mourir dans les établissements espagnols équivalents aux EHPAD depuis le début de la crise pandémique.
Le drame a éclaté au grand jour le mois dernier, précisément le 23 mars, quelques jours à peine après le début du confinement. Appelés en renfort pour désinfecter plusieurs Ehpad, les militaires espagnols font des découvertes macabres. « L’armée a pu voir des personnes âgées absolument abandonnées, si ce n’est mortes, dans leurs lits », assure alors la ministre espagnole de la Défense, Margarita Robles.

Il n’existe toujours pas de décompte officiel fiable

La difficulté d’obtenir un décompte officiel et fiable après plusieurs semaines interpelle. Le gouvernement l’a promis, mais l’Espagne attend toujours. Certes, chaque jour, avant midi, le ministère de la santé divulgue les chiffres des 24 heures précédentes, les nouveaux cas, les décès enregistrés - en tout, l’Espagne déplore 22 902 décès et 223 000 cas de contamination samedi 25 avril, un léger rebond par rapport à la veille -, mais il ne distingue jamais ceux qui se sont produits à l’hôpital ou dans des résidences. Le gouvernement prend en compte aussi uniquement les décès avec des tests sur le Covid-19.
Les régions sont allées plus loin. Peu à peu, chacune a commencé à dévoiler ses propres chiffres, macabres et inquiétants. Après plusieurs semaines, la région de Madrid, l’une des plus touchées par ailleurs, a ainsi comptabilisé 4 275 personnes décédées en plus, en résidence ou à domicile, par rapport au décompte officiel du gouvernement.
Toutes les régions ou presque sont touchées. En Estrémadure, dans l’ouest, 89 % du total des victimes sont des décès intervenus dans les résidences pour personnes âgées. Cinq enquêtes ont été ouvertes par le parquet. Jeudi 23 avril, une employée d’une maison de retraite était appelée à témoigner. Sur les réseaux sociaux, elle assurait avoir travaillé durant un mois en étant contagieuse sans le savoir, puisqu’elle ne présentait aucun symptôme.

+ 40 % de mortalité chez les personnes âgées depuis la mi-mars

Selon les données du registre civil, la mortalité des personnes âgées en Espagne aurait augmenté de 40 % depuis le 17 mars. Antonio Cabrera, secrétaire général de la Fédération de Santé et des secteurs sociosanitaires du syndicat Commissions Ouvrières, déplore « ce manque de clarté sur les chiffres de décès en maisons de retraite et à domicile, autant en Espagne qu’en Europe ». Il résume cette tragédie par ce qu’il qualifie de « cocktail explosif » : « ces maisons de retraite n’étaient pas médicalisées, il manquait du personnel et aussi du matériel de protection sans compter le plus grand facteur, l’âge des pensionnaires ».
Ce syndicaliste pointe du doigt la place trop importante du privé dans le secteur : selon les statistiques, plus de 70 % des quelque 373 000 places offertes le sont dans des résidences privées où de grands groupes d’origine française, tels DomusVi et Orpea, occupent le marché. « Nous demandons au gouvernement que le secteur privé ne soit pas aussi prédominant, et qu’un plan soit élaboré pour coordonner ces centres et le système de santé. Et nous réclamons aussi d’avoir plus d’informations sur ce qui se passe dans ces résidences privées », insiste Antonio Cabrera.
Au début du mois d’avril, la région de Madrid a pris le contrôle de treize de ces centres privés qui se trouvaient « dans une situation critique », envoyant des fonctionnaires pour les gérer temporairement.
La situation s’est quelque peu améliorée dans le pays depuis un mois. Mais de manière asymétrique selon le syndicaliste : « dans la région de la Navarre, tous les employés et pensionnaires ont été testés, à Murcie ils viennent de commencer, mais ailleurs seuls les personnes avec symptômes sont testées. Quid des asymptomatiques ? », s’interroge-t-il.

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