mardi 10 mars 2020

Près de 70 % des enfants autistes n’ont pas de déficience intellectuelle grave

De nouvelles données ont été publiées par Santé publique France, mardi 10 mars. Dans certains cas, diagnostics et interventions plus précoces peuvent réduire la gravité des troubles.
Par  Publié le 10 mars 2020
Cours de lecture donné par une enseignante spécialisée dans le suivi des collégiens autistes, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en octobre 2019.
Cours de lecture donné par une enseignante spécialisée dans le suivi des collégiens autistes, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en octobre 2019. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Pas simple d’avoir une photographie précise du nombre de personnes touchées par l’autisme. Le manque de données était une critique récurrente faite par le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2016, piloté par Claire Compagnon, aujourd’hui déléguée interministérielle chargée de la mise en œuvre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement, lancée par le gouvernement en avril 2018. Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) se caractérisent par des difficultés à communiquer, à avoir des interactions sociales, ainsi que par des comportements ou des intérêts restreints et répétitifs.

Accès insuffisant au diagnostic

Un pas a été fait pour mieux cerner leur prévalence, avec la publication de chiffres, mardi 10 mars, dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de Santé publique France (SPF). « La France se met enfin en mouvement et ce afin de mieux comprendre les déterminants de l’autisme », indique la professeure Amaria Baghdadli, responsable du Centre d’excellence sur l’autisme et les troubles du neurodéveloppement (CEAND du CHU de Montpellier), qui vient d’être lancé, et auteure de l’un des articles du BEH.
Les données soulignent « une augmentation considérable de la prévalence au cours des quinze dernières années ».
Les registres des handicaps de l’enfant, qui couvrent les départements de la Haute-Garonne (RHE31), de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie (RHEOP), recensent une prévalence de 8 à 10/1 000 pour des enfants de 8 ans, nés entre 1995 et 2010 et ayant reçu un diagnostic de TSA au plus tard entre 2003 et 2018. Des prévalences en deçà de celles couramment admises. Pour cette génération ciblée par le registre, il y a probablement une tendance à n’identifier que les cas évidents. Cela illustre aussi l’accès insuffisant au diagnostic. Ces données soulignent toutefois « une augmentation considérable de la prévalence au cours des quinze dernières années ».
Tout comme celles collectées à partir du système national des données de santé (SNDS), qui recense 119 260 personnes souffrant de troubles envahissants du développement. La prévalence aurait doublé, passant de 9,3/1 000 en 2010 à 18,1/1 000 en 2017. Des chiffres qui, de l’avis des auteurs, comportent des limites. En effet, ces données sont extrapolées sur la base de l’attribution à des patients d’une ALD (affection longue durée donnant lieu à une prise en charge à 100 % par l’Assurance-maladie). Or, les enfants, notamment les plus jeunes, ne se voient pas toujours attribuer d’ALD.

Hétérogénéité dans la gravité

La prévalence de l’autisme en France est en réalité proche de 1 % dans la population générale, comme à l’échelle mondiale – aux Etats-Unis, le niveau record de 1 sur 60 fait débat. L’augmentation au niveau mondial s’explique notamment par l’évolution des critères diagnostiques. Pour autant, « en France, de nombreuses personnes avec un TSA ne sont actuellement pas identifiées, en particulier les adultes autistes », indique Claire Compagnon, dans l’éditorial du BEH.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés, notamment à partir de la cohorte Elena. Créée en 2013, elle compte 900 enfants autistes de 2 ans à 16 ans issus de 13 centres de neuf régions, recrutés entre janvier 2013 et fin décembre 2019. Elle révèle la très grande hétérogénéité dans la gravité des TSA. « 69,9 % des enfants ont une déficience intellectuelle légère, voire n’ont pas de déficience », indique le BEH. Alors que c’était l’inverse il y a dix ans. Des interventions plus précoces peuvent expliquer en partie cette évolution. En revanche, « il reste beaucoup de formes graves, qui mobilisent toute l’énergie de la famille, du personnel soignant », constate Amaria Baghdadli, première auteure de l’article du BEH.
Au total, « le nombre d’enfants autistes présentant des comorbidités reste élevé », poursuit Claire Compagnon : trouble de déficit de l’attention et hyperactivité (TDAH), des « dys », des troubles du développement intellectuel, mais parfois aussi des maladies neurologiques (épilepsies sévères) ou psychiatriques (troubles anxieux…).

Facteurs environnementaux

Pour les enfants de la cohorte suivis au moins trois ans, « on observe des trajectoires de développement très variables et positives pour un grand nombre d’entre eux », explique Amaria Baghdadli. Autre élément, « le rôle des familles dans l’évolution de leur enfant et la nécessité de les soutenir, comme le rôle très important des troubles de l’intégration neurosensorielle », indique l’étude. Enfin, la cohorte suit aussi de près les facteurs environnementaux, en particulier le rôle de la pollution de l’air et des pesticides d’usage agricole. « Notre hypothèse est que nous trouverons une association entre exposition des enfants autistes en période prénatale et lors de la première année de vie et la sévérité de leurs comportements autistiques », explique Amaria Baghdadli. Des recherches sont en cours sur des souris.
En conclusion, « ces chiffres doivent certes être interprétés avec précaution, mais donnent une représentation de l’autisme en France alors qu’on en était jusqu’ici complètement dépourvu. Cela montre une vraie volonté affichée d’aller de l’avant dans l’épidémiologie », souligne Richard Delorme, chef du service de psychiatrie à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP).
« Il est nécessaire d’avoir des données pour mieux élaborer les politiques publiques dans ces domaines. Mieux comprendre les troubles du neurodéveloppement et leurs évolutions nous aidera », indique Claire Compagnon. Prévu par le quatrième plan, un financement a été octroyé pour constituer une autre cohorte d’ampleur au niveau national.

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