vendredi 27 mars 2020

« Hygiène des mains et masques : oser le dégradé ? » Les conseils d'une ophtalmologiste à ses confrères



En temps de pénurie, le mieux est parfois l'ennemi du bien… Le Dr Isabelle Cochereau fait le point sur les moyens de protection à disposition des soignants, des plus efficaces ( masques FFP2 et SHA), aux plus inédits : réutilisation, stérilisation, repassage des masques, ou masques en tissus…
Crédit photo : GARO/PHANIE
Lors d’une épidémie infectieuse, la protection des personnels soignants est une priorité absolue pour assurer la continuité des soins urgents des patients infectés mais aussi celle des soins urgents habituels, ce qui démultiplie les besoins en personnel soignant, en lits, et en matériel.
Par ailleurs, en stade 3, tout contact interhumain doit être suspect puisque le micro-organisme circule dans toute la population et qu’il existe des porteurs sains disséminateurs. Les surfaces touchées par les personnes infectées sont également à risque, surtout si elles sont en plastique ou en métal (1).

Il est primordial de protéger les soignants, les acteurs de la logistique médicale et les patients. Dans un deuxième temps, si l’épidémie perdure, il faut y adjoindre la protection des personnels du service public (transports, électricité, eau, gaz, voirie, égouts…) et des services indispensables (agroalimentaire, pharmacies,...).
Ainsi, très rapidement les volumes d’équipements de protection nécessaires deviennent astronomiques, sans commune mesure avec les besoins habituels. Les stocks du temps « de paix » fondent, s’avèrent rapidement insuffisants avec un approvisionnement qui prendra du temps à s’adapter, et la pénurie s’installe.
Cela est vrai pour tous les pays touchés par l’épidémie de COVID qui sévit dans le monde depuis décembre 2019, y compris les USA où le numéro de JAMA on line du mercredi 20 mars 2019, en accès libre, fait le point sur l’épidémie et ne cache pas les pénuries de matériel de protection pour les soignants américains (2). Ceci en sachant qu’un rapport (3) établissait les stocks de matériel à prévoir en cas d’épidémie, et soulevait le problème des masques réutilisables et non plus à usage unique.
En situation de pénurie, nous ne sommes plus dans le meilleur des mondes et sa sécurité. Il reste primordial de respecter les recommandations ministérielles parce que ce n’est qu’en faisant face collectivement et avec discipline que nous nous en sortirons, mais nous devons aussi faire face au désarroi, au risque d’exposition, à la peur, et à l’épuisement professionnel physique et psychique des soignants (4, 5).
Le COVID est transmis par les mains et par les gouttelettes nasopharyngées. Hygiène des mains et protection antigouttelettes sont au premier plan.
L’hygiène des mains
Les gestes barrières contre la contamination manuportée sont essentiels :
- Le moins de contacts possible pour diminuer le risque de croiser le chemin d’un porteur COVID + et de toucher après lui toutes les surfaces qu’il peut avoir contaminées
- Respecter la distanciation sociale, même avec ses proches
- Toucher au minimum les poignées de porte, les portiques et les barres de soutien des transports, les rambardes d’escalier ou des couloirs d’hôpital,
- Se laver les mains avec du savon régulièrement et après tout geste ou situation à risque
- Utiliser la friction au SHA si le lavage n’est pas possible et avant tout geste médical ou paramédical
- Ne PAS SE TOUCHER LE VISAGE puisqu’au final c’est en touchant son visage qu’on amène avec les mains le virus jusqu’aux portes d’entrée dans l’organisme que sont la bouche, le nez et les conjonctives.
- Nettoyer à la lingette les LAF, appareils et surfaces entre chaque patient.
Ces gestes sont essentiels et possibles à appliquer, il suffit d’y penser et de s’exercer. Dans le meilleur des mondes, le SHA est la meilleure solution au point de vue efficacité et facilité. Dans un contexte de pénurie, le SHA doit être économisé et réservé à l’exercice professionnel où une décontamination antimicrobienne efficace est nécessaire. Le lavage des mains attentif au savon est indiqué dans les autres situations.
Les masques
Le tri des patients symptomatiques ou pas avant leur entrée dans la structure de soins est impérative. Pour les patients symptomatiques, le port du masque chirurgical est obligatoire pour le patient et pour le médecin. Pour les patients asymptomatiques, l’Académie Française d’Ophtalmologie a considéré que le critère ministériel du port du masque chirurgical « en cas de contact inférieur à 1 m pendant plus de 15 minutes » s’applique à l’examen ophtalmologique puisqu’habituellement on reste à 30 cm de la bouche, du nez et des yeux des patients pendant quelques minutes, avec éventuellement en plus un contact tactile des paupières ou de la tête du patient. L’Académie a donc recommandé le port permanent du masque pour l’ophtalmologiste, l’orthoptiste et les secrétaires d’accueil (6).
Dans le meilleur des mondes, si le patient est COVID + confirmé, le masque de l’ophtalmologiste est un FFP2 bien ajusté ; si le patient est COVID indéterminé, le masque chirurgical est suffisant. Le FFP2 (Filtrant Facial Piece) est le plus protecteur. C’est un masque utilisé en cas de haute contagiosité aérienne ou par gouttelettes, efficace s’il est bien porté c’est-à-dire bien jointif sur le visage, étanche avec un test d’étanchéité positif, auquel cas il est difficile à supporter longtemps parce qu’étouffant. C’est la raison pour laquelle il est réservé aux professionnels formés, pour des gestes avec projections comme l’intubation, l’aspiration bronchique ou face à des patients COVID + confirmés.
Il est navrant de voir des passants dans la rue « gâcher » en nombre des FFP2 injustifiés et mal ajustés. Surtout que ces masques sont alors une fausse sécurité parce que le porteur est peu motivé, ignorant, non habitué, mal à l’aise avec une tendance à les toucher, ce qui facilite la fixation du virus sur le masque et sa pénétration par les zones de non-étanchéité du FFP2.
Le masque chirurgical est considéré comme aussi efficace en pratique dans un exercice professionnel au long cours sur des patients COVID- et des patients COVID possibles parce qu’il est bien supporté, facile à porter, non suffocant, et qu’on y est habitué. On ne doit pas le toucher pendant son port. Deux études ont montré que lors d’épidémies de grippe, la contamination du personnel soignant était identique avec un FFP2 qu’avec un masque chirurgical (7,8).
Dans un contexte de pénurie en cours d’épidémie, comme c’est actuellement, le cas avec COVID au niveau planétaire, les soignants exposés mal protégés de tous les pays sont forcés d’envisager d’autres solutions comme en témoigne l’éditorial du JAMA du vendredi 20 Mars 2020 (9), où il est fait un appel à propositions, idées, suggestions pour faire face à la pénurie de masques.
Cette initiative est intéressante parce qu’elle montre que tous les soignants du monde, y compris aux USA, ont les mêmes problèmes, qu’il vaut mieux en faire état et en discuter de façon pragmatique (« à l’américaine »), et ceci forcément en dehors des recommandations officielles qui ne peuvent être qu’argumentées scientifiquement et robustes (5, 7). Or il est n’est plus possible dans l’urgence d’attendre des études randomisées sur le sujet. Certaines de ces solutions ont déjà été utilisées en Asie avec une certaine expérience des coronavirus et des pénuries.
Pour conserver un sens critique, gardez en tête que le virus SARS-Cov-2 survit sur les surfaces en cuivre 8h, en carton 24h, en acier 48h, en plastique 72h (1). Le SARS est inactivé en 4 jours à 37 °C, mais entre 30 et 90 minutes à 56 °C (10). Les masques jetables doivent être changés toutes les 4 heures parce qu’ils deviennent humides avec la respiration et parce que des virus peuvent être déposés sur leur face externe. Il est à craindre également qu’une utilisation trop longue abime le système de pores protecteurs du tissu.
Pour vous donner une idée, voici un florilège des solutions dégradées suggérées, reposant majoritairement sur le bon sens, basées sur des masques exotiques, ou sur la réutilisation des masques jetables :
- Les masques en tissu artisanaux qui protègent moins bien que les masques chirurgicaux, mais qui font mieux que rien (11).
- Le doublage des masques chirurgicaux par des portions de manche découpées dans des vêtements, dans lesquelles on glisse le masque, on change le manchon quand on est à la maison et on lave et repasse chaque jour les manchons (méthode asiatique).
- Les masques utilisés dans l’industrie, en particulier chimique, souvent FFP2.
- Le masque facial complet utilisé pour voir les fonds sous-marins depuis la surface, en plastique, très protecteur et réutilisable après nettoyage, plutôt pour les réanimateurs car impossible de regarder dans nos oculaires avec.
- La réutilisation de masques jetables après :
o Stérilisation aux UV des masques stockés dans un sac au nom du porteur
o Désinfection par l’oxyde d’éthylène
o Séchage au sec et au chaud dans des sacs en papier pendant plusieurs jours, en faisant un pool tournant sur une semaine
o Repassage des masques, la température des semelles de fer à repasser pouvant aller jusqu’à 200°.
o Passage au miro-ondes avec de l’eau pour faire vapeur (en l’absence de parties métalliques)
À cette lecture du JAMA (8), on croit rêver de voir toutes ces propositions risibles en temps normal ! Mais nous ne sommes plus en temps normal et ce sont juste des solutions de soignants démunis face au risque d’exposition dans un cauchemar sanitaire où on risque de devoir passer à des procédures dégradées.
Donc lavez-vous les mains, frictionnez-les au SHA à bon escient, utilisez vos masques jetables correctement et à bon escient, tant qu’il y en a. Ne les jetez pas, gardez les datés dans des sacs en papier, au sec et au chaud, pendant 5 à 7 jours, en espérant ne pas avoir à vous en resservir… Mais qui sait ce que nous réservent les semaines à venir ? Mieux vaut « Espérer le meilleur et se préparer au pire » (12).
Remerciements pour leur aide technique à Pr Laurent Gutmann, Pr Bernard Régnier, Dr Cédric Lamirel.
1. van Doremalen N, Bushmaker T, Morris DH, et al. Aerosol and Surface Stability of SARS-CoV-2 as Compared with SARS-CoV-1. N Engl J Med. 2020 Mar 17. doi: 10.1056/NEJMc2004973. [Epub ahead of print]
2. JAMA Forum (page consultée le 24 mars 2020). DJ Mason & CR Frise. Protecting healthcare workers against COVID-19 and being prepared for future pandemics [en ligne]. 19 mars 2020. https://jamanetwork.com/channels/health-forum/fullarticle/2763478
3. National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. 2019. Reusable elastomeric respirators in health care: Considerations for routine and surge use. Washington, DC: The National Academies Press. doi: https://doi.org/10.17226/25275 
4. Centers for Disease Control and Prevention (page consultée le 24 mars 2020). Strategies for optimizing the supply of N95 respirators [en ligne]. 20 février 2020. https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/hcp/respirators-strategy/inde…
5. Centers for Disease Control and Prevention (page consultée le 24 mars 2020). Recommended guidance for extended use and limited reuse of N95 filtering facepiece respirators in healthcare settings [en ligne]. https://www.cdc.gov/niosh/topics/hcwcontrols/recommendedguidanceextuse…
6. Académie Française d’Ophtalmologie (page consultée le 25 mars 2020). Recommandations COVID pour les ophtalmologistes [en ligne] 15 Mars 2020. https://www.sfo-online.fr/sites/www.sfo-online.fr/files/medias/document…
7. Loeb M, Dafoe N, Mahony, et al. Surgical Mask vs N95 Respirator for Preventing Influenza Among Health Care Workers. A Randomized Trial. JAMA. 2009;302(17):1865-1871
8. Radonovich Jr LJ, simberkoff MS, Bessesen MT et al. N95 Respirators
Dr Isabelle Cochereau, Ophtalmologiste, Paris

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