mardi 31 mars 2020

COVID-19 : premières leçons internationales

Univadis

Serge Cannasse   26 mars 2020

Vis-à-vis de la lutte contre l’épidémie de COVID-19, le recul est à présent suffisant pour commencer à savoir ce qui marche ou pas et plus généralement, pour identifier les forces et les faiblesses des systèmes de santé, voire des systèmes sociaux.
1) CE QUI MARCHE
1-1) La meilleure stratégie est de tester tôt, souvent et largement.
C’est la première et la plus importante leçon que tirent Max Fisher et Amanda Taub, journalistes au New-York Times, de leur revue internationale. Tôt, cela signifie tester dès que la maladie apparaît quelque part. Le petit nombre apparent de personnes symptomatiques cache le grand nombre des porteurs et, du fait de la latence d’apparition de la maladie, l’augmentation extrêmement rapide des cas.
L’exemple de la Corée du Sud prouve amplement ce point. Les autorités de santé ont pu identifier et isoler rapidement non seulement les individus infectés mais aussi les groupes populationnels particulièrement touchés. Cela a également permis de suivre la progression épidémique avec un maximum de précision. De même, les autorités taïwanaises « ont repéré et confiné très rapidement les personnes ayant voyagé dans des zones à risque et celles ayant un risque élevé face au virus », explique Angèle Malâtre-Lansac, Directrice déléguée à la santé de l’Institut Montaigne.

Elle fait remarquer que « les bases de données de l’Assurance maladie nous permettent d’identifier avec précision qui sont les personnes les plus susceptibles d’être gravement touchées par le virus et hospitalisées. Ces personnes sont connues, la plupart ont un médecin traitant. Les contacter, les cibler de façon personnalisée, les dépister régulièrement, les équiper de masques et les suivre dans le temps constitue une priorité . »
Le CNGE (Collège national des généralistes enseignants) souligne lui aussi le rôle crucial des généralistes. Il estime qu’il faudrait identifier les cas avérés (et les isoler), les cas contacts, les formes paucisymptomatiques et « les porteurs sains contagieux, largement sous-estimés dans la tranche 20-29 ans. » Il rappelle que cette stratégie avait déjà fait ses preuves en Asie lors de l’épidémie de SRAS en 2003.
Jean-François Delfraissy, qui préside le Comité scientifique sur le coronavirus, chargé de conseiller le gouvernement, est d’accord : « C’est cela qu’il faut faire », a-t-il déclaré au journal La Croix. Mais il ajoute : « Toute la question est de savoir si cela est faisable en France aujourd’hui. La réponse est non. Aujourd’hui, nous avons la capacité de faire passer 5.000 à 8.000 tests par jour, mais pas davantage. Nous ne pouvons pas faire passer plusieurs dizaines de milliers de tests par jour. Pour faire ces tests, il faut en effet disposer d’un certain nombre de produits dont une partie nous vient de Chine et des États-Unis. Or, ces produits n’arrivent plus en nombre suffisant. » C’est pour cela, renchérit Angèle Malâtre-Lansac, qu’il faut « concentrer les moyens sur les populations qui en ont le plus besoin. »
1-2) Isoler rapidement les cas confirmés.
La stratégie chinoise a relativement peu compté sur l’isolement de villes (comme Wuhan) ou de régions. Elle a massivement privilégié l’isolement des individus diagnostiqués, sachant qu’au moins les trois quarts des clusters identifiés étaient familiaux, ainsi que des mesures de prévention comme la fermeture des écoles, des restaurants et des salles de spectacles, sans le plus souvent aller jusqu’au confinement total. Ceci couplé à d’intenses campagnes de pédagogie et à un recours massif aux tests, y compris sur les routes.
1-3) Tracer les contacts des cas confirmés.
À Singapour, les professionnels de santé mènent une véritable enquête pour repérer les personnes ayant été en contact avec le patient diagnostiqué, puis les mettre en quarantaine. « Vous devez courir devant le virus, pas derrière », explique le ministre de la santé de la Cité-État. De plus, quand un cas est isolé dans un groupe, celui-ci en est averti, par exemple par sms sur les smartphones. Cela pose évidemment d’importants problèmes éthiques, mais en Asie du sud-est, comme l’explique Gilles Babinet, « la prise en compte d’une forme d’intérêt collectif, supérieur aux contraintes individuelles momentanées, permet d’accepter de tels dispositifs. » Et d’ajouter : « C’est un débat qu’il est difficile de tenir en France. »
1-4) Le confinement, un pis-aller indispensable
Pour Jean-François Delfraissy, « ça n’est pas la bonne stratégie, c’est la moins mauvaise des stratégies qui était possible en France. » Le confinement a pour but essentiel d’étaler au maximum l’arrivée des patients en services d’urgence afin que les capacités hospitalières ne soient pas débordées. C’est une stratégie qui a été contestée par ses deux bouts. Il y a ceux qui sont pour un confinement strict, avec des autorisations de sortie extrêmement limitées. À l’inverse, le gouvernement britannique a défendu, avant de faire marche arrière, l’absence de confinement pour laisser s’installer une immunité collective (au prix d’environ 250.000 morts, ont fait remarquer les experts).
1-5) Les masques, pour tous
En France, la situation impose de réserver les masques aux personnels de santé directement en contact avec les personnes infectées ou susceptibles de l’être. Il a également été recommandé d’étendre leur utilisation à toutes les personnes en contact avec le public, en particulier aux professionnels des services à la personne, notamment ceux s’occupant des plus fragiles. Pour une mise au point sur le sujet, voir sur Univadis.
2) AVANTAGES ET FAIBLESSES DES SYSTÈMES SOCIAUX ET DE SANTÉ
La pandémie est également un excellent révélateur des forces et faiblesses des systèmes sociaux et de santé des pays.
2-1) Les inégalités sociales sont nocives pour tout le monde.
Les populations défavorisées se soignent moins et moins bien. De très nombreux travaux ont montré que cela impacte les populations favorisées, notamment en ce qui concerne les maladies infectieuses, dont beaucoup connaissent peu les barrières sociales. En France, la question se focalise actuellement sur les « sans domicile fixe » (notamment sur les problèmes d’hébergement et de sanitaires), mais il est permis de s’interroger aussi sur les trois millions d’enfants pauvres que compte le pays.
2-2) La gratuité des soins, un atout considérable.
Cela vaut la peine d’être rappelé : le système de protection sociale français assure une couverture santé gratuite à l’ensemble de la population, ce qui autorise potentiellement le traitement de tous les malades. C’est un atout considérable, que n’ont pas des pays comme les États-Unis, malgré leur développement technologique, et a fortiori nombre de pays où la population pauvre est importante et le système de santé défaillant.
2-3) Le rôle crucial de la médecine de ville
Comme l’écrit Angèle Malâtre-Lansac, « la médecine de premiers recours constitue un atout essentiel pour effectuer un premier triage, permettre la continuité des soins et empêcher l’engorgement des hôpitaux. Les médecins généralistes français n’ont pas été informés de façon claire et rapide sur leur rôle et la conduite à tenir, ils n’ont pas été équipés de protections de base et notamment de masques pour faire face à l’épidémie. Ces difficultés révèlent une vraie faiblesse de notre système de santé publique qui se concentre essentiellement sur l’hôpital. » Hélas !, cette problématique n’est pas du tout nouvelle et reste susceptible de longs développements… L’auteure souligne également l’importance de la télémédecine, qui permet le suivi des patients contaminés, mais aussi des personnes confinées, tout en protégeant les soignants. Elle rappelle qu’en France, « à peine 2.000 médecins pratiquaient la télémédecine fin 2019. »
2-4) Des services de réanimation bien équipés avec un nombre de lits suffisants
Une des raisons invoquées pour expliquer la faiblesse du nombre de décès dus au Coronavirus en Allemagne par rapport aux autres pays européens est que ce pays dispose de « 28.000 lits de soins intensifs, soit 6 pour 1.000 habitants, ce qui la classe au 3e rang mondial derrière le Japon et la Corée du Sud, très loin devant la France (3,1 pour 1.000, 19e rang) ou l’Italie (2,6 pour 1.000, 24e), » rappelle Thomas Wieder, correspondant du Monde à Berlin. Le nombre de respirateurs artificiels est également crucial. Il est très vraisemblable que le COVID-19 relancera les accusations contre la gestion de l’hôpital public par les pouvoirs publics depuis une trentaine d’années.
2-5) Le recours massif à la technologie
En Corée et à Taïwan, elle « est aussi bien employée pour centraliser la donnée et disposer de données précises sur l’évolution, canton par canton, que pour effectuer le suivi efficace des patients suspects ou contaminés, » explique Gilles Babinet. On songe évidemment aux relations ville-hôpital, mais aussi, ajoute l’auteur, à la possibilité de « donner un retour d’information aux patients sur l’évolution de leurs symptômes et de diffuser les bonnes pratiques. »
2-6) Une gouvernance centralisée et transparente
La transparence est un élément essentiel de confiance de la population dans les pouvoirs publics, donc d’approbation et de suivi des recommandations des autorités de santé. Le contre-exemple iranien l’illustre jusqu’à la caricature. Les polémiques politiciennes sont également contre-productives, en deça des questions légitimes posées par la gestion de la crise sanitaire.
Gilles Babinet soulève également un problème français, qui dans la situation actuelle apparaît plus théorique qu’effectif : la multiplication des acteurs de santé publics (HAS, ANSM, CNAM, Ministère, ARS, etc). Inversement, on peut soutenir que la pénurie de masques est due pour une part à la disparition de l’EPRUS (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires), dissout dans Santé publique France. Les pays centralisés semblent avoir un avantage net par rapport aux pays fédérés, comme l’illustre encore une fois les pays asiatiques, en premier chef la Chine, et a contrario l’Italie, où la mise en route des dispositifs de lutte a été extrêmement disparate selon les provinces, voire les villes.
Mais surtout, fait remarquer Gilles Babiner, notre système de santé souffre d’au moins deux lacunes : le peu de recours aux scientifiques dans l’élaboration des politiques de santé et « l’imperméabilité » du système de santé aux « initiatives de la société civile . »

 

CONCLUSION
L’épidémie de COVID-19 finira bien un jour. Nous servira-t-elle de leçon pour améliorer notre système de santé, voire notre capacité à vivre ensemble ? Nous incitera-t-elle à un examen de nos certitudes et de nos pratiques ? Les bons résultats obtenus en Asie du sud-est tiennent en grande part à l’expérience acquise dans ces pays par la première épidémie de SRAS et par celle à H5N1. Il est possible qu’inversement notre expérience des épidémies de H1N1 et de "la vache folle", bien moins graves que prévu, ait incité nos gouvernants et nous-mêmes à trop de prudence : « Une partie de l’opinion et des médecins ont cru que l’épidémie ne nous toucherait pas », a avoué Jérôme Salomon. En tout cas, les pays d’Asie du sud-est donnent une belle leçon de modestie aux pays occidentaux. Ça ne sera vraisemblablement pas la dernière.

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