vendredi 20 mars 2020

Confinement : « On peut être plus souple avec les enfants… les journées sont longues ! »

La pédopsychiatre au CHU Saint-Eloi de Montpellier Nathalie Franc a répondu à vos questions dans un tchat du « Monde » à propos de la gestion des enfants et adolescents en cette période de confinement.
Publié le 19 mars 2020
Xavier Ménard aide son fils, Marceau, 6 ans, à faire ses devoirs, à Mulhouse, le 17 mars.
Xavier Ménard aide son fils, Marceau, 6 ans, à faire ses devoirs, à Mulhouse, le 17 mars. SEBASTIEN BOZON / AFP
Depuis mardi 17 mars, tous les habitants de France sont confinés chez eux. Nathalie Franc, pédopsychiatre au CHU Saint-Eloi de Montpellier, a répondu, dans un tchat du Monde, à vos questions à propos de la gestion des enfants et des adolescents en cette période de confinement.
« Nous sommes face à une situation inédite et presque irréaliste, nous n’avons pas les clés ou l’expérience dans notre pays. Ce qui semble le plus important à ce stade est que les parents puissent prendre soin d’eux, gérer leur propre stress et ne pas se mettre trop de pression sur la dimension éducative habituelle, afin de préserver aussi leur énergie et leur moral. »

FX : Conseillez-vous de garder pour les enfants les mêmes horaires qu’a l’école, ou de les adapter ?

Je pense que l’on peut faire preuve de plus de souplesse que d’habitude, inutile de les lever aussi tôt ou de les réveiller, et mieux vaut pour le coup s’adapter à leur rythme, donc on adapte ! On sait qu’habituellement les enfants avec le rythme de l’école, ou du collège, se réveillent trop tôt et sont souvent en manque de sommeil, donc on peut être plus souple à ce niveau-là, c’est important pour eux… et les journées sont longues !

Sardine (en boîte) : Varier les contenus (jeux éducatifs, documentaires animaliers, musique, etc.) peut-il réduire les effets indésirables des écrans sur un enfant de 3 ans ?

Il faut en effet veiller à trouver des contenus adaptés à l’âge de l’enfant, mais là aussi je crois qu’il faut s’adapter à la situation et surtout qu’il ne faut pas culpabiliser à avoir recours aux écrans pendant cette période très spéciale. Bien sûr, pour les plus jeunes, il faut diversifier les activités, mais cela dépendra beaucoup de l’âge, et on ne peut pas se mettre les mêmes contraintes éducatives qu’en période habituelle.
Ce sont des choses que les enfants même petits peuvent comprendre ; les règles ne sont pas les mêmes car il faut s’adapter, mais quand on reviendra à la normale on reprendra les mêmes exigences.

Amande : Ma fille est enfant unique. Quel impact cela pourrait-il avoir sur elle de ne pas voir d’autres enfants pendant quinze à quarante-cinq jours ?

Cela dépend de son âge ! Pour les plus de 12 ans, ce ne sera pas vraiment un problème car ils sont reliés par les réseaux sociaux, c’est d’ailleurs souvent leur principal moyen de communication. C’est aussi pourquoi il ne faudra pas les priver d’écran pendant cette période, cela les aide aussi à gérer leur anxiété, à partager leurs émotions, mieux souvent qu’avec leurs parents, en tout cas différemment.
Pour les enfants de l’école primaire, je pense qu’il peut être éventuellement intéressant d’organiser des Skype espacés, mais ce support ne conviendra pas à tous, surtout s’ils sont petits. Il faut simplement leur expliquer que leurs copains vivent la même chose.
Deuxième jour de confinement dû au coronavirus, à Montpellier.
Deuxième jour de confinement dû au coronavirus, à Montpellier. JULIEN GOLDSTEIN POUR "LE MONDE"

MêmeauPortugal : Comment peut-on faire pour qu’ils dépensent leur énergie physique sans sortir ? A part des petits exercices de sport ? Les enfants tournent comme des lions en cage en fin de journée.

Oui, c’est la vraie question des enfants en appartement ! Il y a des applis d’exercices que l’on peut télécharger plutôt pour adultes mais pour le coup à appliquer aux enfants, deux fois vingt minutes c’est déjà un objectif.
Le professeur Richard Delorme, pédopsychiatre, a conseillé hier une application canadienne d’idées pour le confinement, Activeforlife.com, mais c’est en anglais avec des idées de sport ludiques adaptées au confinement.

Laetitia : Mon fils a (presque) 2 ans, comment lui expliquer ce qu’il se passe, surtout papa et maman à la maison tout le temps, mais qui doivent travailler. Quels mots utiliser ? Que peut-il comprendre à cet âge ?

Déjà, il faut comprendre que l’anxiété des enfants dépend de celle des parents, donc l’essentiel est déjà de prendre soin de soi et éviter les supports d’informations anxiogènes, voire les informations tout court (en tout cas les limiter). Vous pouvez expliquer les choses simplement, comme vous les comprenez, avec vos mots, mais sans donner de détail ; pour les enfants si petits le confinement va être plutôt perçu positivement car ils sont moins sensibles à leurs relations sociales. Dites-vous qu’avec les enfants jeunes en général ce ne sont pas tant les mots qui comptent que l’ambiance émotionnelle, donc prenez soin de vous pour vivre les choses sereinement.

VB : Que proposeriez-vous pour mitiger les effets négatifs psychologiques de l’isolement pour un enfant unique ? Mon fils a 5 ans.

Même enfant unique, il n’est pas isolé puisqu’il est avec vous ! Ce n’est pas grave de ne pas interagir avec d’autres enfants pendant une période limitée. Vous pouvez continuer à lui parler de ses copains, et à travers les histoires que vous lui lisez, les dessins animés, etc., il est question de lien et d’interaction.

Lisa : J’ai deux adolescents, et ils se battent beaucoup. Que puis-je faire ? Et comment réduire les grignotages ?

Avec les ados on peut imaginer une forme de conseil de famille (s’ils n’ont pas de problème particulier). On pose le problème : les conflits, les grignotages et chacun peut exposer des solutions à tour de rôle. Que l’on essaie de mettre en place. Il faut les responsabiliser aussi. Peut-être que les conflits sont utiles pour eux et leur permettent d’interagir mais toute la maison ne doit pas en souffrir, donc on pose cela en famille. Avec des plannings qui leur permettent de ne pas être désœuvrés.

NS : Mon enfant de 12 ans se couche vers minuit, que dois-je faire ?

C’est un cas fréquent pour les ados ! Il faut comprendre que souvent c’est justement le soir, quand la maison est calme, que les ados vont passer plus de temps sur leurs écrans, mais que cela est important pour eux car c’est le moment où ils sont reliés avec leurs amis. Cela les aide à faire face au stress et donc c’est utile pour eux. Si c’est un jeune qui dort habituellement à 21 heures, on peut en discuter avec lui. Mais, là aussi en négociant dans cette situation spéciale.
Un père fait quelques exercices avec son fils pour occuper le temps lors de la période de confinement, le 19 mars.
Un père fait quelques exercices avec son fils pour occuper le temps lors de la période de confinement, le 19 mars. FABRIZIO BENSCH / REUTERS

Anne774 : Nous avons deux enfants à la maison, un de 16 ans et un de 10 ans. Le plus jeune vit la situation assez sereinement, mais pour le plus grand c’est compliqué : il est anxieux de nature et a souvent des moments d’angoisse ou de déprime, et du mal à se mettre au travail. Que me conseillez-vous ?

Je crois que c’est encore le début du confinement et nous sommes tous désorganisés, c’est normal. Même pour nous adultes, c’est plus difficile de se motiver et de se concentrer, si l’on a un naturel anxieux, encore plus. C’est pareil pour les jeunes, il faut un temps d’adaptation, il faut le rassurer là-dessus, le travail scolaire à ce stade n’est pas la priorité.
Lui proposer des temps d’échange avec vous, partager des intérêts sans se focaliser sur les devoirs, on peut se laisser encore quelques jours, c’est un phénomène logique. Le travail au lycée demande plus d’énergie mentale et tous ne peuvent pas encore être dans le rythme, les professeurs le comprennent également.

Alix : Que pensez-vous de la consultation (psy) longue à distance sur écran ?

Je pense que c’est mieux que rien ! Nous faisons des consultations par téléphone dans le service mais on pourrait utiliser la visioconférence, qui est aussi un bon outil. Les jeunes et les adultes vont souffrir de stress et d’anxiété et on a besoin de maintenir les suivis, pour certains de démarrer des prises en charge.

EvaMum : Nous avons une fille de 15 ans, en temps normal déjà très agressive verbalement, et qui refuse l’autorité. Depuis que nous sommes confinés, elle pourrit l’ambiance de la famille, elle nous provoque encore plus, alors que nous avons parlé avec elle calmement en lui expliquant qu’on était tous dans la même galère, et qu’il fallait qu’on s’entraide. On est tenté de la laisser seule dans son coin (chambre) du matin au soir, comme elle semble vouloir le faire, y compris lors des repas. Est-ce une bonne idée ?

Je crois que vous n’avez pas vraiment le choix, en ce moment. Il faut aussi préserver la famille, c’est prioritaire. C’est sa façon à elle de gérer le stress, il ne faut pas aller contre. Nous sommes aux premiers jours, peut-être que progressivement elle viendra passer davantage de temps en famille. Pour le moment il vaut mieux lâcher prise et la laisser gérer son confinement, aller contre risquerait de tous vous mettre en difficulté.

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