dimanche 1 mars 2020

À QUOI SERT UNE ASSOCIATION DE SECTEUR ? De quelques questions d’héritage...







À QUOI SERT UNE ASSOCIATION DE SECTEUR ? De quelques questions d’héritage...

Guillaume Simon


ERES | « Chimères »

2019/2 N° 95 | pages 65 à 75

ISSN 0986-6035 ISBN 9782749264080

Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-chimeres-2019-2-page-65.htm 

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À quoi sert une association de secteur ? À question si large toutes les réponses bien entendu sont possibles puisqu’aussi bien « Une » association de secteur, ça n’existe pas. Chaque association de secteur sert à ce dont son secteur d’attachement lui a trouvé d’utilité pour son propre fonctionnement. Pas de mystère à cette diversité, simple conséquence de la souplesse et de la créativité autorisées par le cadre associatif depuis la loi de 1901, qui lui permet à chaque fois d’être adapté au plus près des circonstances locales.

En revanche, cette diversité est certes problématique pour répondre à notre question. A quoi sert une association de secteur ? De ne pouvoir lui trouver de réponse univoque, devons nous pour autant renoncer à la poser? Non si l’on en croit Albert Einstein pour qui « formuler un problème est souvent plus essentiel que d’en donner une solution, laquelle peut-être une affaire d’habileté mathématique ou expérimentale. Faire naître de nouvelles questions (...), envisager de vieux problèmes sous un angle nouveau, cela demande une imagination créatrice et marque un réel progrès dans la science. »1
Et en matière de « vieux problèmes » quoi de mieux qu’une question d’héritage ? Comme son nom l’indique, une association de secteur se situe au confluent de deux héritages. D’une part celui de la psycho- thérapie institutionnelle qui a théorisé l’intérêt d’une association au

1.Einstein, Infeld, L’évolution des idées en physique. Champs Flammarion p.89
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sein d’un dispositif de soins (le club thérapeutique). D’autre part celui de l’histoire de la politique de secteur.


Si ces deux héritages ont des racines communes et s’appuient sur certains concepts communs, les problématiques qu’ils soulèvent méritent d’être distinguées du fait des places très différentes qu’ils occupent aujourd’hui dans la pratique. En effet, si le secteur est remis en question de diverses manières, il n’en reste pas moins à la base de l’organisation ordinaire de la psychiatrie publique. Tandis que la psychothérapie institutionnelle tend parfois à n’être plus considérée que comme corpus théorique désuet, sinon arriéré, voire carrément réactionnaire.

Située au confluent de ces deux courants, les associations de secteur se trouvent donc écartelées entre des questions découlant de l’organisation la plus quotidienne de la psychiatrie (la pratique du secteur aujourd’hui) aussi bien que d’interrogations classées aux archives de l’histoire de la psychiatrie. De sorte que la question de savoir dans quelle mesure un dispositif associatif conserve un intérêt au sein de l’organisation d’un secteur aujourd’hui peut nous conduire en fait à nous demander si les idées de la psychothérapie institutionnelle conservent encore un intérêt pour la psychiatrie de secteur telle qu’elle se pratique actuellement? Et si oui, lequel ?

Nous commencerons par essayer de resituer l’intérêt du cadre associatif au sein du dispositif de soins selon les idées de la psychothérapie institutionnelle telle que nous la comprenons. Puis nous essaierons de situer la place que la réflexion institutionnelle a pu tenir dans l’histoire de la psychiatrie de secteur. Enfin nous envisagerons quelques questions insistantes qui nous semblent indiquer l’intérêt persistant de cette ap- proche institutionnelle pour la psychiatrie de secteur.

Intérêt du dispositif associatif pour la psychothérapie institutionnelle

Où nous retenons que la psychothérapie institutionnelle a posé la question des conditions nécessaires pour considérer une institution comme un véritable outil de soins psychiatrique. Qu’elle a souligné la discordance possible entre certaines nécessités organisationnelles de l’institution et l’enjeu qui lui est posé par la psychose de l’accueil d’un transfert subjectif singulier et morcelé. Et que l’intérêt du dispositif associatif doit être repéré non seulement au niveau de son intérêt pour les patients considérés de façon individuelle mais au moins tout autant au niveau de son intérêt pour l’établissement de soins considéré dans son fonctionnement global.

De l’héritage de la psychothérapie institutionnelle, nous retiendrons principalement ici son questionnement sur les conditions nécessaires pour pouvoir considérer une institution comme un véritable outil de soins psychiatrique.

Au départ il s’agit de l’idée simple que nommer une institution comme « hôpital » ou « lieu de soins » ne suffit pas pour garantir que du soin s’y produise effectivement. Et que le soin psychiatrique requiert cer- taines conditions. D’où la nécessité d’une analyse de l’institution qui devrait repérer les processus à l’œuvre en son sein. Et secondairement la question du travail à entreprendre pour limiter les facteurs qui lui sont défavorables et soutenir ceux qui lui sont favorables.

De ces quelques point découlent plusieurs idées et concepts classique- ment rattachés à la psychothérapie institutionnelle : importance de l’ambiance, lutte contre l’inactivité induite par l’institution ou les pré- jugés d’irresponsabilité des patients, « organiser l’imprévu » afin d’ouvrir des possibilités de créativité tant pour les patients que pour les soignants...
Par la suite, en approfondissant la question, on aboutit à l’idée paradoxale que certains facteurs nécessaires au fonctionnement d’une institution quelle qu’elle soit (nécessité d’organisation, de structure hiérarchique, de répartition des tâches, d’uniformisation de certaine procédures...) peuvent parfois fonctionner comme l’un de ces facteurs défavorable à la dynamique des soins.

Pour mieux situer ce paradoxe qu’une institution organisée pour soigner puisse entraver les soins qu’elle cherche à prodiguer, il faut intro- duire un autre apport de la psychothérapie institutionnelle à savoir une théorisation de la rencontre entre le patient psychotique et l’institution prise comme un ensemble. Cette théorisation découle de l’analyse des spécificités du fonctionnement psychique de ces patients.

Il est aujourd’hui assez banal de considérer que le fonctionnement psychotique se caractérise par la tendance au déni, à la projection et au clivage des contenus de pensée. Tout l’intérêt de l’approche de la psychothérapie institutionnelle est de proposer d’appréhender ce fonctionnement, non plus seulement au niveau de la clinique individuelle comme symptôme pathologique de morcellement, mais aussi au niveau du collectif de l’institution dans sa dimension de transfert morcelé. La différence est majeure parce que cette proposition permet de transformer notre appréhension de ce qui apparait comme empêche- ment (du fonctionnement psychique, de la relation...) en une modalité relationnelle en tant que telle. 

De là l’idée que l’institution soignante doit être capable d’accueillir cette forme particulière de lien. En ce sens, veiller à la dynamique institutionnelle n’est qu’un préalable pour permettre que ce travail second puisse s’opérer dans ses différentes dimensions. A savoir : d’abord l’accueil des éléments morcelés de la subjectivité de chaque patient. Ensuite le rassemblement de ces éléments épars par le travail de trans- missions et de synthèse. Et enfin l’élaboration collective d’une réponse suffisamment cohérente et coordonnée.

De là encore l’idée que l’accueil de ce transfert morcelé ne peut se satisfaire d’une simple répartition hiérarchique des tâches. Si un patient confie un élément de sa biographie à une secrétaire, ou si une part de sa symptomatologie s’exprime dans l’espace de sa chambre sous les yeux de l’ASH, le psychiatre qui prétendrait cerner la problématique psychique de son patient à partir des seuls entretiens où il exprime peut-être tout autre chose, prend le risque d’œuvrer dans un sens qui redouble celui de la psychose, morcelant et clivant.

Selon nous, ce n’est qu’au sein de cette perspective d’ensemble que peut être saisi l’intérêt du club thérapeutique pour le dispositif de soins. Par exemple formulée comme « l’intérêt pour les soins d’une structure collective qui soit distincte de l’Établissement, autonome dans sa gestion tout en lui étant articulée », on voit qu’il s’agit avant tout de situer l’association dans ses effets sociaux et politiques sur l’établissement.

En effet, si le dispositif associatif peut certainement remplir une fonction auprès de certains patients de façon individuelle (comme leur per- mettre de prendre une position active vis à vis des décisions prises au sein de l’institution, ou d’accueillir et de favoriser leurs initiatives, ou encore de leur permettre de trouver une place un peu en marge du dispositif de soins proprement dit...). Il est essentiel de le considérer au moins autant dans sa fonction par rapport à l’Établissement de soins lui-même. C’est ainsi que prennent sens les idées que l’association soit chargée d’agir sur l’ambiance, ou encore l’idée de l’intérêt d’un autre circuit de décision, distinct de celui du fonctionnement hiérarchique et organisationnel de l’Établissement ; ou enfin cette idée que l’association contribue à soutenir la remise en question nécessaire au processus d’analyse institutionnelle...

Dimensions institutionnelles de la politique de secteur

Où nous retenons que la politique de secteur remettait également en question la fonction soignante des institutions psychiatriques, mais plus particulière- ment vis-à-vis de ses formes anciennes, asilaires et hospitalocentrées ; qu’elle en dénonçait les effets délétères d’isolement et de désinsertion sociale. Mais que l’histoire de sa mise en place effective, intriquée à l’essor des chimiothérapies a sans doute contribué à en effacer en partie la dimension institutionnelle.

Posons que le mouvement théorico-militant qui a abouti à la politique de secteur s’est fondé sur la dénonciation de l’effet délétère d’une prise en charge uniquement hospitalière des patients psychotiques. En ce sens, il remettait en question les théories psychiatriques antérieures qui affirmaient les vertus de l’isolement et de l’asile vis-à-vis d’un milieu considéré comme pathogène. Il soulignait au contraire les effets né- fastes de la désinsertion et de la perte de ses étayages familiaux, sociaux et professionnels.

C’est donc initialement à contre-pied d’un dispositif hospitalo-centré qu’a été proposé le développement d’autres dispositifs institutionnels de soins extra-hospitaliers. Ceux-ci étaient pensés ouverts sur la ville (à l’opposé de l’isolement de l’asile) et à proximité des lieux de vie des patients (pour préserver les étayages existants). Ainsi ont été crées les différentes structures de soins ambulatoires qui constituent aujourd’hui, avec l’hôpital, le dispositif de secteur (CMP, HDJ, CATTP, foyer de post-cure, appartements thérapeutiques...)

Dans le même temps la politique de secteur soulignait la nécessité du principe de continuité2 de la prise en charge tout au long du parcours de soins du patient. Il s’agissait là encore clairement d’une réflexion sur l’or- ganisation institutionnelle du dispositif de soins. Réflexion articulée à la prise en compte des spécificités cliniques posées par la prise en charge des patients psychotiques. En l’occurrence la nécessité de lutter contre les effets de déliaison et de rupture du lien, produits par la psychose.

Soulignons que c’est de cette réflexion institutionnelle, articulée à la clinique de la psychose que découlent plusieurs principes d’organisation du secteur. Ainsi, qu’une seule et même équipe soit chargée de la total- ité de ce parcours de soins, depuis la prévention jusqu’à la post-cure. Que soit regroupé au sein d’un même service l’ensemble des structures

2. L. Bonnafé, l’esprit du secteur, in Santé Mentale N°51 oct 2000. http://ancien. serpsy.org/histoire/bonnafe1.html

de soins nécessitées par cette prise en charge dans la durée (extra aussi bien qu’intra hospitalières). Et encore une autre de ses conséquences logique : la nécessité d’un découpage géographique qui permette à une équipe (aux moyens nécessairement limités) d’être en mesure d’assumer la prise en charge de l’ensemble des patients résidants sur la zone dont elle a la responsabilité. Ou en miroir, découpage qui permette à tous les patients de trouver à proximité de chez eux les dispositifs de soin dont ils ont besoin.

D’un côté pluralité des missions, multiplicité des professions et des structures de soins impliquées dans un dispositif global ; de l’autre côté nécessité de la continuité et de la coordination dans le suivi de chaque patient singulier. Ainsi formulée, l’ambition initiale de la politique de secteur ne peut manquer de faire apparaître des enjeux essentiels au- tant que complexes, du fonctionnement institutionnel du « secteur de psychiatrie ». Pourtant, ces enjeux institutionnels posés par la prise en charge des patients psychotiques par le dispositif de secteur ne sont-ils pas aujourd’hui de moins en moins souvent pris en compte ?

Si tel est bien le cas, notre hypothèse est qu’entre ces ambitions initiales et la pratique actuelle s’est insérée une autre question d’héritage. Celui de la révolution médicamenteuse constituée par la découverte et l’essor de l’usage des neuroleptiques en psychiatrie. En effet, si les idées qui ont donné naissance à la politique de secteur ont précédé cette révolution (d’où sa proximité initiale avec la psychothérapie institutionnelle), sa mise en œuvre quant à elle a été incontestablement accompagnée, sinon soutenue, voire façonnée par cette révolution médicamenteuse. A tel point que l’on peut à bon droit se demander ce que la pratique actuelle de la psychiatrie de secteur doit à cet autre héritage ?

Dans quelle mesure les neuroleptiques ont-ils rendu possible le pro- jet de dés-hospitalisation de la politique de secteur ? D’une certaine manière, l’intérêt que l’on accorde aujourd’hui aux idées de la psycho- thérapie institutionnelle dépend de la réponse que l’on donne à cette question. Est-ce la transformation institutionnelle du dispositif de soins, notamment le développement du dispositif extra-hospitalier qui a permis le succès de cette dés-hospitalisation? Sont-ce les médicaments ? Ou bien est-ce une conjonction plus ou moins inextricable entre les deux ?

L’effet des médicaments apparaît indéniable. Il suffit d’écouter les soignants qui ont été témoins de cette époque pour entendre que cet effet a été absolument évident. Mais peut-être plus encore l’idée de cet effet tire sa force d’évidence que cette constatation de l’efficacité des médicaments peut être chaque jour renouvelée par les soignants dans de nombreuses prises en charge.

Mais du coup, nous nous demandons si l’idée de cet effet, pour indéniable qu’il soit, n’a pas eu tendance à devenir peu à peu unique facteur explicatif ? Ayant tellement fasciné et focalisé l’attention des soignants ne leur a-t-il pas faire perdre de vue la dimension institutionnelle qui restait néanmoins pertinente ? Autrement dit dans quelle mesure la participation des neuroleptiques à la réussite du projet de la politique de secteur n’a-t-elle pas contribué à transformer la dés-hospitalisation espérée initialement en « désinstitutionalisation » d’autant plus regret- table qu’elle serait partiellement inconsciente ?

Nous pouvons par exemple nous demander dans quelle mesure cet effet médicamenteux a contribué à faire évoluer la pensée des soins psychiatriques (en particulier ceux dispensés par les secteurs) vers un mode essentiellement individuel : un individu, un traitement médicamenteux, des soins paramédicaux individualisés. Assurément le modèle somatique a toujours été plus ou moins à l’arrière plan de la pensée du soin psychiatrique. Dès l’origine, le projet aliéniste avait consisté à réduire le désordre social de la folie à un désordre médical individuel. Toutefois l’efficacité manifeste des neuroleptiques a certainement contribué à renforcer fortement ce modèle médical pour penser la folie (et donc la prendre en charge). Sur le modèle du médicament, le soin deviendrait localisé, assignable à un acte, un temps, un lieu.

Ce qui fait peu de doute en tout cas, c’est que cette modélisation individualisée du soin tend certainement à refouler à l’arrière plan la pensée d’une éventuelle fonction soignante de l’institution considérée dans son ensemble. D’autant qu’il faut bien avouer que la majorité des prises en charge actuelles se passe apparemment sans grand dommage d’une telle réflexion institutionnelle. Je rajouterais : et sans doute d’autant moins à mesure que les missions confiées à la psychiatrie s’étendent toujours plus au-delà de la prise en charge de la psychose proprement dite...

De questions qui insistent malgré tout dans la pratique de secteur pour soutenir l’intérêt d’une approche institutionnelle

Comme souvent, c’est là où les choses se répètent sur un mode problématique que l’on peut repérer les questions qui insistent malgré leur difficulté à être formulées clairement. Je me contenterais ici d’en relever deux :

La question de la schizophrénie dite résistante

La schizophrénie résistante est une question d’autant plus intéressante pour notre réflexion qu’à l’heure de la multiplication des dispositifs de prise en charge psychiatriques non sectorisés, celle-ci semble sou- vent demeurer l’apanage quasi réservé de la psychiatrie de secteur. A tel point que l’on est tenté de dire qu’à être ainsi quasi unanimement reconnue comme relevant de la psychiatrie de secteur, la schizophrénie résistante devrait cesser d’être considérée par elle comme un problème (contrairement à ce qu’elle demeure manifestement pour les autres structures de soins quand elles s’en débarrassent) pour devenir le socle le plus assuré d’une juste définition de sa problématique.

Ceci permettrait peut-être de situer plus précisément quelques in- cohérences de la politique de santé mentale. Telles celles qui permettent que des services auxquels ne s’imposent pas les contraintes des secteurs puissent, tout en bénéficiant des financements publiques dédiés à la psychiatrie, se délester sans conséquences sur les secteurs de ces patients complexes qui ne rentrent pas dans le cadre des prises en charge habit- uelles, fussent-elles recommandées, voire correctement certifiées.

Or ce que la schizophrénie résistante nous impose de prendre en compte c’est précisément la nécessité de trouver d’autres outils de soins quand nos outils habituels se trouvent pris en défaut. Soulignons ici à l’appui de notre réflexion de tout à l’heure que ce concept de schizophrénie résistante est explicitement construit en référence à une résistance médicamenteuse.

Face aux enjeux majeurs de prise en charge de tels patients il semble donc déraisonnable de se priver dans la pratique de secteur des possibilités offertes par les outils proposés par la psychothérapie institutionnelle. Pour nous permettre d’élaborer les modalités de lien propre à ces patients. Pour nous aider à entendre parfois dans leur résistance la manifestation d’un transfert adressé à une dimension particulière de l’institution. Par exemple son statut médical justement (« je ne suis pas malade ») ou bien son caractère incarnant une autorité. Ou en- core de reconnaître dans cette résistance la manifestation d’une défense délirante nécessaire au sujet, de sorte que la question devient celle de savoir comment faire pour que le dispositif de soins soit capable de respecter cette défense tout en parvenant à contourner la déliaison qu’elle produit ? Par exemple en étant capable de proposer d’autres lieux où d’autres types de liens pour préserver la relation. Problématique pour laquelle la diversité des espaces et des intervenants du secteur trouve tout son intérêt. (« je ne suis pas malade je n’ai pas besoin d’aller dans un hôpital de jour mais j’aime aller au centre d’activités »... « Parler ne sert à rien mais je suis d’accord pour rencontrer une psychomotricienne pour ce qui se passe dans mon corps »...)

La question paradoxale de la fin de la prise en charge des patients « chroniques »

Force est de constater que la dimension chronique de la maladie psychiatrique n’a pas été résolue par la disparition de l’asile et la mise en œuvre de la psychiatrie de secteur. Non plus que par l’efficacité pourtant indéniable des médicaments. Pour les services d’hospitalisation confrontés en permanence au manque de lits disponibles pour accueillir les nouveaux patients aussi bien que pour les structures de soins extra-hos- pitalières (foyers, hôpitaux de jour...), chaque nouvelle admission re- lance la question de la fin des autres prises en charge. Jusqu’aux CMP dont les délais d’attente à rallonge disent encore d’une autre façon la difficulté de mettre un terme à certaines prises en charge pour être en mesure d’accueillir de nouveaux patients.

D’un point de vue purement organisationnel, cela semble une évidence : comment, à moyens constants forcément limités, peut-on faire face à des demandes de prises en charge potentiellement illimitées puisque chaque secteur est sensé s’occuper de tous les patients habitant sur sa zone géographique dédiée. Si chaque année amène son lot de nouvelles demandes, ce système ne peut fonctionner dans la durée que si autant d’anciens suivis s’interrompent.

Ici aussi, souligne-t-on assez la dissymétrie radicale qu’il y a entre la situation de la psychiatrie de secteur et celle des autres établissements non sectorisés ? Pour les seconds, la question de la fin de la prise en charge se pose différemment puisque s’il n’y a plus de place, il suffit de dire que l’on n’admettra pas de nouveaux patients tant que l’on n’aura pas fait de nouvelles sorties. Ou bien encore si une prise en charge semble trop problématique et s’éternise, on pourra toujours dire qu’elle relève d’une prise en charge de secteur.

La psychiatrie de secteur ne peut se contenter de telles réponses soumise comme elle est à l’impératif de service publique d’accueillir tous ceux qui en font la demande ou au moins tous ceux qui lui sont adressés en soins sous contrainte. A elle seule s’impose donc rigoureusement de penser les prises en charge à la lumière de leur fin.

Or si l’on redit ici que la problématique de la psychiatrie de secteur est celle de la prise en charge de la schizophrénie résistante, l’expérience nous rappelle sans cesse combien une fin de prise en charge est rarement chose banale pour eux. Qu’il s’agisse d’une sortie d’hospitalisation, d’HDJ, ou de foyer, la fin se pose bien plus souvent sous une forme problématique, voire impossible. Qu’elle soit éternellement reportée ou prenne la forme de la rupture, interruption des soins ou passage à l’acte pouvant aller jusqu’au suicide.

C’est que lorsque se pose la question d’une sortie d’hospitalisation, de foyer ou d’HDJ pour ces patients, il est hasardeux de méconnaitre ce que l’équilibre qu’ils ont trouvé doit aux divers étayages fourni par la structure. Étayages qui vont bien au-delà des soins individuels qui leur ont été prescris. Par exemple étayage dans leur rythme de vie, pour s’alimenter, prendre soin de leur corps... Ou encore étayage du côté du lien social grâce à la dimension collective de la structure... De sorte que la question de la sortie pour ces patients contient toujours une forme de paradoxe puisque c’est pourtant cet équilibre retrouvé qui conduit précisément à se poser la question de la sortie. Sortir de ce paradoxe n’est possible qu’en prenant en compte la perte d’étayage qu’implique la sortie pour pouvoir la problématiser en termes de relais et de continuité.

Ceci impose de penser le dispositif du secteur comme une institution globale où les différentes unités fonctionnelles sont articulées et coordonnées entre elles. De sorte que les soignants y élaborent la fin de chaque temps de prise en charge en termes de passation et de relais pour permettre aux patients d’éprouver ces fins non plus comme expérience impossible de « la » fin et peu à peu les apprivoiser sous la forme du passage.

Pour conclure, on voit qu’aussi bien la question de la schizophrénie résistante que la question de la fin des prises en charge de patients chroniques nous imposent de penser le dispositif de secteur comme une institution globale, devant être articulée et coordonnée, mais aussi suffisamment créative pour pouvoir répondre à la problématique de l’accueil de ces patients « résistants » dont la définition même implique qu’ils ne répondent pas aux prescriptions ordinaires. Et si notre lecteur admet cette conclusion qu’il faut donc prendre soin de cette institution qu’est le secteur, notre question initiale « à quoi sert une association de secteur ? » revient effectivement à « à quoi sert une association pour prendre soin d’une institution de soin ? ». Heureusement pour nous, la littérature sur le sujet est suffisamment riche pour aider notre lecteur à trouver ses propres réponses.

À quoi sert une association de secteur ?
CHIMÈRES 75


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