vendredi 21 février 2020

Comment gérer l'accueil des patients précaires ou sans papiers ?

21.02.2020


L'accueil des patients précaires ou sans papiers en consultation relève d'une pratique très différente de l'exercice habituel de la médecine générale. Les pathologies rencontrées, physiques ou psychiques, ainsi que la situation sociale du patient et de ses droits demandent des connaissances et une prise en charge spécifiques.

.
GARO/PHANIE

« Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera », dit le serment d'Hippocrate. Lorsqu'il s'agit de patients précaires, le jeune médecin remplaçant ou installé peut cependant faire face à certaines difficultés administratives, sociales, humaines...
Quel que soit le malade, son origine, sa couverture sociale, la prise en charge se doit d'être la même pour tous. Le Dr Laure Dominjon, médecin généraliste et présidente du syndicat ReAGJIR, explique cependant que, dans le cas d'un patient migrant par exemple, peut se poser la question de « la maîtrise de la langue ». « Il s'agit d'une véritable barrière pour l’accès aux soins, mais aussi pour la gestion des aspects sociaux et des détresses affectives voire des violences subies. Cela rend la consultation chronophage », témoigne la généraliste remplaçante à Vitry-sur-Seine (94).

Première consultation bilan
Pour les migrants, la première consultation avec un médecin généraliste est souvent un bilan au sens large du terme, qui va de l’examen général à l’évaluation vaccinale en passant par une écoute attentive pour d’éventuelles orientations. Les douleurs sont les motifs de consultation les plus fréquents. Des douleurs physiques comme les maux de tête ou de ventre mais aussi des douleurs psychiques : immense fatigue, violences, incertitude, choc, promiscuité, sommeil. Au de-là du soin, la prévention est primordiale. Le patient peut ainsi être adressé vers un centre de santé spécialisé afin de faire une mise à jour de ses vaccins. Le médecin est aussi parfois amené à évaluer les conditions de vie en hébergement d’urgence ou dans la rue de son patient.
Les pathologies rencontrées diffèrent également de l'exercice habituel de la médecine générale. « On voit des pathologies des guerres, des blessures issues de violences physiques ou de bombardements, la tuberculose. Les maltraitances sexuelles sont aussi très présentes et se traduisent par des grossesses de mineures et des MST », explique le Dr Brigitte Tregouet, généraliste à la Roche-sur-Yon et auteure du livre "Qui sont ces migrants qui débarquent dans notre petite ville ?" 
Assurer un suivi médical et social
Ces patients ont également souvent vécu la traversée de la Lybie, de la Méditerranée, la rétention et les angoisses de l’attente, sans famille, sans argent, sans travail. L'approche psychologique du jeune médecin joue donc un rôle essentiel. Le Dr Tregouet conseille donc, « pour gagner la confiance de la personne », « l’acceptation des us et coutumes de l’autre afin d’amorcer le meilleur accompagnement possible », poursuit-elle.
Se mettre à la place de l’autre et comprendre l’angoisse générée par la non-maîtrise de la langue est la clé. Face à un patient précaire, il faut aussi user de patience pour expliquer le parcours de soins et le système de soins français, être à l’écoute et surtout travailler en coordination avec les travailleurs sociaux ou associatifs pour améliorer le suivi. Aujourd’hui, de nombreuses thèses s’intéressent à la prise en charge de la santé de ces populations, révélant l’engagement solidaire des jeunes générations. Et pour aller plus loin, un DU Psychiatrie transculturelle est proposé à Bordeaux et Paris.
Couverture maladie : quels droits pour les patients ?
Prendre en charge des patients précaires ou sans papiers nécessite également de bien connaître leurs droits :
La Puma et la Complémentaire santé solidaire (CSS)
La protection maladie universelle (Puma, ex CMU) est ouverte depuis 2016 à toute personne qui travaille ou réside de façon régulière en France. Depuis cette année, un délai de carence de trois mois pour les demandeurs d'asile a toutefois été mis en place par le gouvernement pour accéder au dispositif. La Puma peut être associée à la CSS (Complémentaire Santé Solidarité), qui remplace depuis le 1er novembre 2019 les anciennes CMU-C et l'Aide à la complémentaire santé (ACS). La CSS concerne les personnes percevant moins de 1 007 € par mois. 7,1 millions de Français bénéficiaient de la CMU-C ou de l'ACS et le gouvernement estime entre 9,5 et 12 millions le nombre de personnes éligibles à la CSS. En pratique, les bénéficiaires présentent leur carte vitale et l’attestation de CSS pour être pris en charge en tiers payant intégral.  
L'aide médicale d'État (AME) 
L'Aide médicale d'État (AME) est pour sa part exclusivement destinée aux étrangers en situation irrégulière résidant de manière stable sur le territoire. Là aussi, un délai de trois mois de résidence à partir de l’expiration du visa ou du titre de séjour est nécessaire pour obtenir l’aide. 300 000 personnes bénéficient de l'AME en France et le dispositif représente un coût d'environ 1 milliard d’euros par an, soit 0,6 % des dépenses publiques de santé. Elle est plafonnée à un panel de soins réduits et est renouvelable tous les ans.
En consultation, le patient présente sa carte, nominale et plastifiée avec sa photo, dotée d’un numéro de Caisse d’assurance maladie régionale. Cette carte n’est valable que 6 mois. Après la consultation, il signe sa feuille de soins classique format papier. C’est au praticien de l’envoyer à la caisse gestionnaire. Puis il reçoit en quelques jours le remboursement de la consultation. En l'absence de justificatif de couverture maladie, le jeune médecin se doit de « procéder à un examen bénévole », rappelle-t-elle. Il enverra ensuite son patient vers une Passerelle d’accès de santé (Pass) adossé à un hôpital.
L'instauration à l'automne de délais de carence supplémentaires pour l'accès à la Puma et à l'AME inquiète fortement les praticiens qui prennent en charge ces populations en ville (lire notre dossier). « Les primo arrivants ont besoin de suivi médical généraliste, confirme le Dr Dominjon. Le plus tôt ils sont pris en charge, le moins cher cela coûte à l’assurance maladie », estime-t-elle.  
A. C. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire