jeudi 27 février 2020

A poil sur la Toile

Par Nicolas Celnik — 


Illustration Charles-Elie Chauvaux. Penis Pic Art

L'affaire Benjamin Griveaux soulève une vieille question : pourquoi les hommes exhibent-ils leur pénis ? Pour la psychologue Caroline Leduc, cela relève du mystère de l'inconscient.

L’épisode Benjamin Griveaux dans la campagne municipale de Paris n’est pas qu’une affaire de politique, il relève aussi de mystérieux ressorts psychologiques. Caroline Leduc est psychologue clinicienne et membre de l’Ecole de la cause freudienne. Elle a mené des recherches sur l’utilisation du numérique.
«Pourquoi envoyer une photo de son sexe quand on sait combien ça peut être compromettant? Je pense qu’il y a là un grand mystère: celui de l’inconscient. Il y a une pulsion de mort à l’œuvre derrière ce geste, notamment dans le cas des personnalités publiques et politiques, qui se savent particulièrement exposées. Cela vient peut-être du sentiment de toute-puissance que l’on peut avoir lorsqu’on occupe cette position: on peut alors prendre des risques qui révèlent les limites de cette puissance. Je ne pense pas qu’on puisse, de l’extérieur, expliquer précisément pourquoi Benjamin Griveaux a envoyé ces fameuses vidéos, mais ça révèle quelque chose: il avait probablement envie de se planter. Du moins, il ne voulait pas à toute force poursuivre ce destin politique. Cela montre un désir de sabotage inconscient chez lui. 
«Il y a un décalage entre les hommes et les femmes en ce qui concerne la représentation des sexes. Depuis le début de l’humanité, on a représenté des pénis en érection. L’histoire de cette représentation est liée au sacré, et à la révélation du secret: le sexe masculin est par excellence ce qui se voile et se dévoile. Durant l’Antiquité, les mystères grecs étaient des rites initiatiques lors desquels les gens pouvaient défiler en procession, en brandissant des sculptures de phallus disproportionnés. Ces sculptures pouvaient être dévoilées à un moment clé du rituel: c’est la révélation de la vérité –la vérité sur le secret désir. Le dévoilement du pénis peut aussi faire rire, c’est un ressort comique. A l’inverse, la représentation du sexe féminin est rare, et d’ailleurs les femmes envoient très peu de photos de leur sexe: il y a une pudeur, une censure peut-être, qui persiste. Lorsqu’elles le font, c’est dans un contexte très érotisé, et elles sont sûres du lien avec leur partenaire. Le sexe féminin, quand il est représenté dans l’histoire, fait scandale –pensons à l’Origine du monde de Gustave Courbet. C’est pour ça qu’on ne verra jamais circuler la photo de la vulve d’une candidate à la ma
«La possibilité technique de circulation des images intimes est inédite et ses effets dans la civilisation encore peu repérés. Il faut rappeler que la plupart des nouvelles technologies ont été très vite envahies par le porno: il n’a pas fallu attendre longtemps après l’invention de la photographie pour voir apparaître des photographies érotiques. Comme si c’était une manière humaine de s’approprier les nouvelles technologies… en y faisant d’abord circuler le désir! Notre époque est un peu exhibitionniste, de ce point de vue: l’image de notre propre corps occupe une place qu’elle n’avait jamais prise avant. Cela s’accompagne d’une spectacularisation de la sexualité, qui était jusque-là laissée hors champ. Dans ce contexte, on peut s’étonner que ces photos continuent de faire scandale –il faut voir comment tout le monde a été choqué, ou du moins a fait semblant de l’être, par les vidéos de Griveaux. 
«On observe aussi dans les pratiques une différence entre générations: chez les jeunes, la diffusion de photographies intimes peut faire partie de l’éclosion de la sexualité. C’est une manière de retarder la découverte du corps de l’autre, en passant par le numérique dans un premier temps. Les jeunes connaissent les risques liés à la diffusion de ces vidéos, le revenge porn, etc. Les filles, surtout, qui sont jugées plus sévèrement dans ce genre de situation, apprennent à ne pas montrer leur visage en même temps qu’une partie de leur corps. Il y a un savoir-faire prudent à construire, et je pense que les jeunes en savent parfois plus que nous sur ce qu’ils peuvent diffuser de leur image.»
Cet article est issu de L, la newsletter féminisme, genre et sexualités de Libé que vous pouvez retrouver chaque dernier samedi du mois en vous abonnant sur Libe.fr. Recevez-la gratuitement en vous inscrivant ici.

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