jeudi 2 janvier 2020

Soyons fous, sauvons la planète

Série «Ghost Town». 2014.
Série «Ghost Town». 2014. Photo Kyle Thompson. VU



Recycler le caca des bébés, rouler sur du bitume d’algues, revenir au transport à la voile… Les solutions pour limiter le réchauffement sont parfois aussi farfelues que l’heure est grave.

«Time For Action», le moment d’agir. C’était le slogan de la COP 25, la 25e conférence des Nations unies sur le changement climatique, accueillie à Madrid début décembre. Marqué par une phénoménale apathie et une somptueuse procrastination, le grand raout s’est soldé par un colossal échec. Ce serait comique si l’heure n’était pas si grave, si le sort de l’humanité n’était pas en jeu. La température moyenne du globe a déjà gagné environ 1 °C par rapport à l’ère préindustrielle, entraînant une multiplication de catastrophes climatiques.

Dans une étude parue vendredi, l’ONG britannique Christian Aid a recensé pour 2019, sur l’ensemble des continents peuplés, quinze phénomènes météo extrêmes alimentés par le changement climatique – typhons, inondations, feux de forêt – ayant causé plus d’un milliard de dollars (900 millions d’euros) de dégâts. L’ONG souligne que «l’immense majorité des décès a été causée par deux événements seulement» : les inondations dans le nord de l’Inde (900 morts) et le cyclone Idai au Mozambique (1 300 morts). Et chaque degré supplémentaire promet d’augmenter exponentiellement l’ampleur des dérèglements, donc des dégâts et décès.Or, au rythme actuel des émissions mondiales de gaz à effet de serre, qui ne cessent d’augmenter alors qu’elles devraient baisser, le mercure pourrait grimper de 4 ou 5 °C d’ici à la fin du siècle. Avec des conséquences dramatiques et inédites pour la vie sur Terre en général et Homo sapiens en particulier. Et même si les quelque 200 Etats signataires de l’Accord de Paris de 2015 respectaient leurs engagements, ce qui est très loin d’être le cas, le réchauffement pourrait dépasser les 3 °C, un cap déjà funeste.
«Ce qui manque toujours, c’est la volonté politique», martèle le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, lequel insiste notamment sur la nécessité d’arrêter les subventions aux énergies fossiles et les constructions de centrales à charbon afin d’éviter le «point de non-retour» qui approche rapidement. «Voulons-nous vraiment rester dans l’histoire comme la génération qui a fait l’autruche, qui flânait pendant que le monde brûlait ?» lançait Guterres à l’ouverture de la COP 25 devant les représentants des pays ­signataires de l’Accord de Paris. En vain, donc, une nouvelle fois. Mais tout le monde ne plante pas sa caboche dans le sable. Tout le monde ne sifflote pas en détournant le regard pendant que l’Australie ou la Californie se consument, que les Caraïbes se font dévaster par des ouragans, ou que la biodiversité s’effondre. Beaucoup refusent de capituler. Et les raisons de rester optimiste ne manquent pas. Défilés de jeunes par millions, actions de désobéissance civile, le mouvement citoyen qui appelle à agir vraiment, au-delà des simples paroles, prend de l’ampleur et gagne en influence. Surtout, les solutions existent. Concrètes, efficaces, nombreuses, à mettre en œuvre sans attendre les politiques. En voici un tout petit échantillon, absolument pas exhaustif et volontairement «dingue» (quoique), puisqu’il faut bien se dérider un peu en ce début d’année.

La ville refroidie à blanc

Photo Plainpicture

Pour rafraîchir les villes lors des canicules, pourquoi pas les peindre en blanc ? C’est l’idée qu’entend populariser le mouvement Coolroofers (de l’anglais cool roof, «toit frais»). Pas si farfelu. Car la couleur blanche, déjà testée et approuvée depuis des lustres en Grèce, renvoie jusqu’à 95 % du rayonnement ­solaire. «Par rapport à un toit noir ou métallique, c’est 30 °C en moins sur le toit, et jusqu’à 15 °C en moins à l’intérieur du bâtiment, donc une belle alternative «passive» à la climatisation», vante l’entreprise Cool Roof France. Basée à Brest, ­elle a développé une ­peinture ad hoc «issue de la re­cherche aérospatiale» (la Nasa a créé un bouclier thermique sous forme de peinture pour protéger les navettes ­spatiales des chocs thermiques) et en a déjà ­couvert les toitures d’hypermarchés, d’entrepôts, de bâtiments publics ou de «data centers». Avec, à la clé, des économies d’énergie d’environ 30 %. Tout bénéfice.

Faire cuire son gigot grâce à son tacot

Voici qui ressemble fort à une invention des Shadoks. La start-up francilienne Carmoov, créée en 2017, a imaginé un «véhicule à énergie positive» (VeEP) dont l’objectif est de vous permettre d’autoproduire votre électricité domestique via des «mini-éoliennes» embarquées. Concrètement, il s’agit d’équiper votre voiture d’un turbo générateur qui récupère l’air entrant par la face avant pour la transformer en électricité. Un autre engin récupère, lui, l’énergie perdue dans l’échappement. Celle-ci est stockée dans une batterie installée dans le coffre. Votre smartphone connecté vous permet de connaître à tout instant la quantité d’énergie produite et la charge de la batterie. Une fois arrivé chez vous, vous branchez cette batterie «transportable, amovible et communicante» pour faire fonctionner vos appareils domestiques (réfrigérateur, machine à laver, four…).
Ça, c’est la théorie. Mais les 30 millions de véhicules du parc automobile français ne se transformeront pas illico en pompeux «producteurs d’énergie écoresponsable». Reste, d’abord, à développer cette nouvelle technologie au-delà d’une simple voiture de démonstration.

Mater un porno avec les oreilles

L’empreinte carbone du streaming n’est plus un secret. Les milliers de films et chansons écoutés en libre accès sur vos plateformes préférées sont stockés dans des serveurs qui, d’ici à 2030, pourraient représenter jusqu’à 7 % ou 8 % de la demande mondiale. Le porno en ligne n’est pas en reste. La petite vidéo regardée seul ou en groupe un soir d’ennui, de ­désir ou d’addiction, alimente aussi l’emballement de la machine climatique. Expérience plus sensorielle, pourquoi ne pas tenter le podcast audio érotique ou pornographique, bien moins énergivore ? En pleine expansion outre-Atlantique, il écarte, en plus, les inquiétudes sur l’exploitation des acteurs des films X. Le plus foisonnant, Gone Wild Audio, est un forum sur Reddit où des quidams, tous amateurs, postent leurs enregistrements faits maison (mais de bonne qualité audio). Cela va de la bande-son érotique mignonne au jeu de rôle BDSM. Lancé en 2012, il réunit maintenant 348 000 membres avec des posts toutes les cinq minutes. Empreints de bienveillance, les ­modérateurs passent au crible tous les internautes qui veulent publier. Un exemple : ce post du 20 décembre intitulé «Maman embrasse le père Noël [expérience de femme mariée] [Esprit de Noël] [Jeu de rôle léger] [Fellation] [Avaler] [Câlins]». Pour les amateurs de Fifty Shades of Grey, le podcast Kiss me Quick, de l’écrivaine américaine Rose Caraway, propose des récits érotiques old school à écouter comme on lit un roman à l’eau de rose.

Transpirer pour éclairer

Plus besoin de dynamo si la sueur suffit à ­allumer une ampoule LED, les cyclistes vont être ravis. L’idée des biopiles est de générer de l’électricité sans composants polluants. Serge Cosnier, chercheur au CNRS, a mis au point cette année avec ses collègues une pile qui utilise le lactate contenu dans la sueur et l’oxygène pour allumer une LED. Le dispositif se colle tout simplement sur la peau. «L’objectif était de valider le concept», commente Serge Cosnier. Et la suite ? Le chercheur ­continue de travailler sur sa pile à la sueur pour des applications de surveillance médicales ou sportives. Elle ouvre le champ à la ­création de patchs individuels capables de réaliser une mesure et d’en communiquer le résultat puisque alimentés en énergie. «L’avantage de la biopile, c’est qu’elle génère de l’électricité au fur et à mesure qu’elle brûle ses produits. Elle ne stocke pas et ne contient pas de composé toxique. On peut donc la mettre à la poubelle sans problème.» Une pile de moins à jeter au supermarché.
France - Paris - Herbier National - Museum National d'Histoire Naturelle - Janvier 2012 : LINE LE GALL, docteur de biologie cellulaire et moleculaire, Maitre de conferences et chargee de conservation des Microalgues au MNHN (Institut de Systematique, Evolution, Biodiversite - Equipe Exploration, Especes et Evolution). Planche d'herbier d'algue rouge.
Algues Rouges. Photo Carlos Munoz Yague. Divergence

Pour du bitume plus propre, cap sur les algues

Rouler sur des algues, a priori, ne semble pas une bonne idée. C’est glissant. Mais au fond, qu’est-ce que le bitume (issu du pétrole) sinon la décomposition de matière organique à haute pression et température pendant des milliers d’années ? Partant de ce principe, le chercheur au CNRS Bruno Bujoli et ses collègues ont décidé de mettre des résidus de microalgues dans un genre de cocotte-minute pendant une heure. Bilan : pour 1 kilo de matière organique, on obtient 500 grammes «d’un matériau noir et visqueux aux propriétés analogues à celle du bitume issu du pétrole». D’où l’idée, pour bâtir des routes, de troquer le pétrole contre ce produit issu des algues. Des échantillons ont été testés pour leur résistance face au vent et aux UV. «On espère avoir une production suffisante pour faire une place de parking fin 2020.» Ecolo jusqu’au bout, ce procédé valorise un déchet. Ces microalgues sont en effet utilisées pour produire des colorants en cosmétique ou des compléments alimentaires. Et ce n’est pas tout, un brevet est en cours de dépôt pour utiliser «un autre déchet organique agricole très répandu et peu utilisé». Du lisier de porc ? «Non, pas du lisier du porc.» On ne le saura qu’une fois le brevet déposé.
Frelon asiatique.
Photo Jean-François Monier

Tel le frelon, avoir le solaire dans la peau

Kirstin Bullington n’aurait jamais imaginé que ses lycéens seraient aussi inventifs. A Columbia, en Caroline du Sud (Etats-Unis), deux adolescents ont réussi à fabriquer un concentrateur d’énergie solaire en copiant… les frelons asiatiques. Pire ennemi des apiculteurs, l’insecte a la capacité, grâce à la dernière couche de sa peau, jaune vif, de capturer l’énergie solaire pour la transformer en électricité. Lors des périodes de fortes chaleurs, il passe ainsi moins de temps à se reposer et peut récupérer plus de pollen. Les jeunes Américains ont donc réussi à imiter la texture et la couleur de cette peau, l’ont transformée en plaque de plastique grâce à une imprimante 3D. Et voilà le travail ! Leur ­concentrateur génère 20 % à 30 % de plus d’énergie qu’un panneau solaire standard. Leur invention leur a permis de remporter le premier prix d’un concours organisé par l’Institut du biomimétisme. Ce dernier encourage l’imitation des principes les plus fous de la nature pour faire avancer l’innovation durable. 
Culture du chanvre en Champagne-Ardennes. On tire du chanvre un nombre important de produits : fil, ficelle, tissu, papier, mais aussi matériaux de construction et d'isolation, carburant, plastiques, produits alimentaires, médicaments. Environ 8 000 ha lui sont consacrés en France, dont 5 000 ha autour de son bassin de production principal en Champagne-Ardennes.
Culture de chanvre en Ardennes. Photo Joylot. Andia

Ma maison est en chichon

«Chic, on va enfin pouvoir fumer la moquette», réagiront certains en apprenant que le chanvre s’invite de plus en plus dans les bâtiments, sous forme de béton ou de panneaux d’isolation. Au risque de les décevoir, précisons d’emblée que le chanvre industriel (Cannabis sativa) se distingue de son cousin interdit en France (Cannabis indica) par la quasi-absence de tétrahydrocannabinol (THC) dans ses tissus. Seules les variétés contenant moins de 0,2 % de THC sont autorisées.
Mais la plante a mille autres vertus. A tel point que, délaissée au XXe siècle (seuls 700 hectares étaient cultivés en France en 1960, contre plus de 170 000 hectares un siècle plus tôt pour fabriquer toile, papier ou cordages), elle revient en force : 1 500 agriculteurs la bichonnent sur 17 000 hectares, faisant du pays le premier producteur européen. Le chanvre pousse sans pesticides ni irrigation, et 1 hectare stocke autant de CO2 que 1 hectare de forêt. Une fois récolté, tout est bon. On tire de la graine (chènevis) une huile riche en oméga 3 et 6, destinée à l’alimentation ou aux cosmétiques. La chènevotte (le noyau de la tige) sert de paillage horticole et permet de fabriquer du béton de chanvre, qui a l’avantage d’être un sacré puits de carbone : un mur d’un mètre carré construit avec ce matériau emmagasine 35 kg d’équivalent CO2 sur cent ans. La fibre (l’enveloppe de la tige) sera convertie en papiers spéciaux (papier bible ou cigarettes), bioplastique ultraléger pour l’automobile ou en isolant prêt à poser aux nombreux atouts (performance thermique et acoustique, régulation de l’hygrométrie…). Stupéfiant.
dirty diaper on dark wooden background, selective focus
Photo Getty images

Pépites de caca dans les couches des bébés

Eux ne changent pas le plomb en or mais le caca des bébés en terreau. Depuis la rentrée, les Alchimistes, société spécialisée dans la valorisation des déchets organiques, récupère les couches jetables d’une dizaine de crèches parisiennes pour en faire du compost. Le projet test «Les couches fertiles», soutenu par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, s’inspire de ce qui se fait en Nouvelle-Zélande ­depuis 2008. Plus question d’enfouir ou d’incinérer les protections usagées de nos bambins puisqu’elles renferment des pépites. Les excréments regorgent de bons nutriments pour faire pousser les plantes. Les Alchimistes enlèvent le plastique pour ne garder que la cellulose, les selles et l’urine. Le compost atterrit ensuite chez des horticulteurs parisiens.
Avec les 3,5 milliards de couches-culottes jetées chaque année en France, il y aurait de quoi fertiliser naturellement des hectares de sols. Une alternative supplémentaire aux engrais de synthèse néfastes pour le climat.

Mourir, oui, polluer, non

Toi, l’écolo dans l’âme ou même toi, qui te préoccupes un tant soit peu de la planète, as-tu songé au moment où tu trépasseras pour finir poussière ? C’est un fait avéré, la mort pollue. «L’inhumation [du cercueil à la fin d’une concession de trente ans] équivaut à 3,6 crémations en matière de CO2»,d’après les données des crématoriums d’Ile-de-France. Ça correspond en moyenne à «11 % des émissions d’un Français moyen sur un an», «4 023 kilomètres en voiture intermédiaire avec une personne» et «260 209 kilomètres en train». La solution ne résiderait-elle pas dans des cercueils en carton produits en France ? Voire dans des procédés alternatifs mais pas encore légaux tels que l’humusation ? Le principe : déposer le corps directement dans un compost pour le transformer en humus.
En attendant, une alternative existe : les cimetières naturels. Le premier du genre est situé dans le quartier de Souché, à Niort (Deux-Sèvres). Il est garanti 100 % cercueils français non traités, les fibres naturelles sont recommandées pour l’habillage du défunt, les accessoires sont en matériaux biodégradables, les fleurs naturelles, les concessions funéraires plus courtes, les produits phytosanitaires interdits… Les fosses sont en pleine terre, sans construction de caveau. Ici les pierres tombales sont en «pierre calcaire locale». Côté crémation, les urnes sont aussi biodégradables et inhumées en pleine terre. Toutefois, si aucune de ces solutions ne vous convient, vous pouvez toujours donner votre corps à la science…
USA, New England, Massachusetts, Cape Ann, Gloucester, Gloucester Schooner Festival, schooner sails.
Photo Walter Bibikow. Age Fotostock

Marchandises  : sortir la grand-voile

Des voiles blanches flottant au large… et on imagine une goélette qui amènerait, après un long et périlleux voyage, des mets exotiques sur nos côtes. La vision n’est pas si passéiste qu’on pourrait le croire ! Quand on sait que près de 90 % des marchandises vendues dans le monde sont transportées sur des navires et des cargos pro­pulsés par de gros moteurs bien ­polluants, on comprend pourquoi l’énergie vélique en mer connaît un retour de flamme. Plusieurs entreprises françaises travaillent à remettre les ­voiles, quitte à ralentir un peu la ­cadence. Des navires sont d’ores et déjà affrétés à travers l’Atlantique pour transporter chocolat, café, rhum et autres gourmandises.
Certes, ces bateaux voyagent moins vite et contiennent moins de marchandises que les cargos ­géants, mais le consommateur a l’assurance d’un bilan carbone quasi nul ou du moins fortement réduit ! Pour répondre aux ­contraintes de vitesse, d’autres ­projets envisagent l’installation de voiles sur des bateaux à moteurs afin de réduire drastiquement la consommation de fioul. Une solution qui pourrait s’appliquer aux bateaux de pêche comme aux porte-conteneurs déjà en circulation sur les mers.

Chauffer la piscine grâce aux «data centers»

Et si, pour le dire vite, nos ordinateurs ou nos smartphones devenaient nos radiateurs ? Lorsque l’on envoie un mail ou que l’on range ses photos sur le cloud, un nombre astronomique de données transite par des «fermes numériques», les «data centers», où elles sont hébergées sur des milliers de serveurs informatiques.
Or ces ­usines à données sont très énergivores car il faut les climatiser, ce qui est mauvais pour le climat. Malgré tout, ­celles-ci produisent encore de la chaleur par effet joule, des calories ­perdues qu’il est possible de ­récupérer pour chauffer partiellement des logements, des équipements sportifs ou des entreprises. Ainsi, en Seine-et-Marne, le data center d’une grande ­banque permet depuis 2012 de chauffer une ­piscine et une pépinière d’entreprises. Tandis qu’à Paris, où six chaudières numériques ­réchauffent déjà les bassins de la piscine de la Butte-aux-Cailles dans le XIIIe arrondissement, le tout récent data ­center de la ville devrait bientôt alimenter le réseau de chaleur d’un nouveau quartier dans le XVIIIe arrondissement.
Des exemples encore discrets mais qui font florès : à Stockholm, en Suède, la municipalité s’est donné l’objectif de faire en sorte que la récupération de la chaleur excédentaire fournisse 10 % des besoins énergétiques d’ici à 2030 pour limiter sa facture.

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