mardi 21 janvier 2020

Les médicaments, à tout prix

Par Eric Favereau — 
Un sac fait de pilules. Photo d'illustration.
Un sac fait de pilules. Photo d'illustration. Matthew Sperzel.Getty Images



Trois histoires de médicaments qui illustrent l'aberration autour du prix des traitements.

C’est le leitmotiv des pouvoirs publics en ces temps de crise dans le monde de la santé : dépenser moins, dépenser mieux. Voici trois exemples qui illustrent parfaitement la question du prix des médicaments et prouvent que bien des choses pourraient être améliorées.

L’insuline, quelle aubaine financière !

Prenons l’insuline. Voilà un beau magot. Un peu trop beau même. Au point que le 8 janvier dernier, devant le siège du laboratoire français Sanofi, une vingtaine d’activistes de l’association «Diabète et méchant» ont manifesté, avec des slogans explicites : «L’insuline trop chère tue», ou «l’insuline n’est pas du parfum», et surtout «insuline pour tous».
Ces militants n’ont pas tort. L’insuline est le traitement de base pour les diabétiques. Or les prix sont, aujourd’hui, sans rapport avec le coût de production. Aux Etats-Unis, le prix a été multiplié par trois ces dix dernières années, sans raison objective, passant de 230 dollars en 2010 à 730 dollars par mois. Faut-il rappeler que l’insuline a été découverte il y a cent ans et que son brevet a été vendu pour un dollar symbolique, afin de permettre une diffusion massive et une liberté d’accès ?

Aujourd’hui, on en est loin. Entre Sanofi, Novo Nordisk et Eli Lilly, ils sont trois à tenir le marché. Belle réussite ! Le diabète est en tout cas un marché lucratif avec plus de 400 millions de malades, et toujours en progression vu l’augmentation rapide du nombre de cas. La Fédération internationale du diabète estime qu’en 2018, le coût mondial de prise en charge du diabète était de 760 milliards de dollars, dont 494 dans les pays à hauts revenus et une vingtaine de milliards en France.
Petit problème : dans le monde, ce sont 50% des diabétiques qui n’ont pas accès à l’insuline, selon les chiffres de l’association T1International.

Le traitement le plus cher du monde

Près de deux millions d’euros l’injection… C’est le record absolu, le prix le plus élevé jamais atteint pour un traitement, ici de thérapie génique. Qui dit mieux ? Un cas belge illustre la situation : Pia, un bébé de neuf mois, souffre d’amyotrophie spinale (SMA), une maladie génétique neuromusculaire qui condamne les enfants, faute de muscles actifs dans les poumons. Le 9 octobre dernier, Pia a reçu une injection unique pour guérir. Elle répond très bien au traitement. Cette thérapie génique, proposée par Novartis sous le nom de Zolgensma, a obtenu cette année l’approbation de la Food and Drug Administration, mais le labo l’a mise sur le marché au prix de 2 millions de dollars par patient. Imbattable.
En Belgique, la sécurité sociale a refusé de rembourser le médicament, l’Agence européenne des médicaments n’ayant pas encore donné son feu vert à une mise sur le marché. Les parents de Pia ont organisé un appel aux dons, arrivant ainsi à recueillir les 2 millions de dollars. «Est-il normal que, pour sauver leur enfant d’une mort atroce, et alors qu’un traitement existe, ses parents n’ont d’autre choix que de quêter de l’argent dans la rue ?» s’est indigné l’immunologiste français Alain Fischer, professeur au Collège de France, signataire d’une tribune dans la revue Nature Medicine pour dénoncer cette situation, d’autant plus problématique qu’elle concerne en effet un médicament issu de travaux menés en France à partir d’un financement, obtenu notamment via l’AFM-Téléthon.
De fait, cette histoire est comme un miroir des dérives actuelles. Depuis les années 2000, la SMA a fait l’objet d’avancées spectaculaires avec les progrès de la génétique. Il y a eu, ainsi, l’identification de l’anomalie génétique par l’équipe de Judith Melki à l’hôpital Necker de Paris. Puis est venu le projet de corriger le gène anormal, et une équipe du Généthon, autour de Martine Barkats, a ouvert la voie. Un brevet a été déposé en 2007. Restait l’étape suivante : la production. Les travaux français furent repris et amplifiés aux Etats-Unis par une jeune start-up de biotechnologie, AveXis, qui est parvenue à mettre sur pied un premier essai clinique chez des bébés souffrant du type 1 de SMA. AveXis a alors signé avec Généthon un accord de licence, puis en mai 2018, tout a basculé : la start-up est rachetée par la multinationale suisse Novartis pour 8,7 milliards de dollars, soit 7,4 milliards d’euros, dernière étape avant que cette thérapie ne devienne disponible
La demande est là, mais la production est lente. Novartis a pris la décision d’organiser une sorte de tirage au sort pour offrir à cent bébés malades une dose de Zolgensma. Une folie pour Antoine Flahault, professeur de santé publique : «Certes le modèle économique du marché mondial du médicament exige de conserver une incitation financière substantielle pour que les laboratoires continuent à investir dans le développement de traitements contre des maladies rares. Mais là, il n’y a aucune transparence sur les coûts attendus du développement, ni sur la production du Zolgensma, ni sur les bénéfices escomptés.»
Novartis, premier groupe mondial, a répondu à la polémique sur le blog du journaliste Jean-Yves Nau, spécialiste en santé publique : «Nous avons pleinement conscience, en prenant une telle initiative, du risque d’être mal compris, d’apparaître comme des opportunistes. Nous aurions aussi pu décider de ne rien faire. Tel n’a pas été notre choix. Et nous avons choisi cette solution au vu de l’efficacité désormais établie de Zolgensma en tenant compte de notre capacité limitée de production, tout en agissant au mieux pour obtenir les autorisations de commercialisation.»
Voilà, c’est tout. Deux millions, la loterie, et une sorte de version médicamenteuse de «Tournez manège».

Un générique, de petites économies

Revenons un temps sur terre. Depuis le 1er janvier, les pharmaciens ont un nouvel argument pour convaincre les patients qui hésitent à choisir le médicament générique. Désormais, un patient qui préfère la formule originale ne sera remboursé que sur la base du prix du médicament générique. La différence restant à sa charge. En moyenne, les génériques sont de 30 à 40% moins chers que les médicaments de marque. La mention «non substituable par un générique», que peuvent noter les médecins sur l’ordonnance, est désormais réservée à des cas exceptionnels. Pour la petite histoire, cela concerne notamment le Levothyrox, mentionné explicitement par le texte publié par le gouvernement.
Le taux de substitution générique/princeps a fait, en France, de gros progrès. Il dépasse à ce jour les 80% mais les «mécanismes en faveur de la substitution montrent un certain essoufflement», a justifié le gouvernement. Avec ses mesures, l’Assurance maladie espère économiser 100 millions d’euros par an. Une goutte d’eau, diront certains. De quoi acheter, en tout cas, 50 doses de Zolgensma.



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