jeudi 9 janvier 2020

L’adolescent qui bouscule ses parents

Publié le 07/01/2020




A. ROUÉ, R. DE TOURNEMIRE
Unité de médecine pour adolescents, CHI de Poissy-Saint-Germain-en-Laye

Winnicott écrit qu’il faut beaucoup de courage pour être adolescent, mais il faut aussi du courage pour être parents d’adolescent ! Adolescents qui revendiquent leur différence, qui s’opposent, qui ne répondent pas à nos projections, mais aussi parfois adolescents violents, mutiques, tristes, douloureux. Comment nous soignants, pouvons-nous aider ces parents d’adolescents et plus largement être nous-même adultes face aux adolescents qui nous sont confiés ? Nous répondrons à cette question, en nous appuyant sur un guide rédigé par des professionnels belges de l’enfance : Manuel de survie pour parents d’ado qui pètent les plombs. Les phrases entre guillemets sont tirées de ce guide.

Les parents (les soignants) bousculés

« Ce dont j’ai besoin est ce qui me menace », écrit Philippe Jeammet. « Être adolescent implique de grandir, de chercher sa propre voie, de se séparer. Le refus, l’opposition voire l’hostilité peuvent en être la manifestation.» Il s’agit d’un temps plus ou moins long, plus ou moins « bruyant », en n’oubliant pas que ce qui est difficile pour les parents l’est aussi pour l’adolescent.

Accepter d’être désemparé

Il est utile d’accepter d’être dérouté et perdu, de ne pas avoir honte de se renseigner sur l’adolescence et de laisser traîner les livres ou revues consultés. Il n’y a pas un mode d’emploi, ni une seule manière de faire face à son enfant qui devient adolescent et il y a autant de manières de se comporter que d’adolescents et de parents. La perfection n’existe pas et les hésitations et maladresses des parents peuvent être un support pour aider l’adolescent à grandir. Il est compliqué de se démarquer et de se construire face à des parents parfaits et sans faille.

Se mettre d’accord avec son conjoint/sa conjointe

Ensembles ou séparés, les parents sont détenteurs de l’autorité parentale et il est nécessaire que ceux-ci se parlent pour se mettre d’accord sur les règles et les limites essentielles de l’éducation qu’ils souhaitent offrir. Il est utopique d’être d’accord sur tout,mais il est important pour l’adolescent qu’il perçoive que ses parents sont d’accord sur les limites à ne pas dépasser et les implications qui découleraient de leur franchissement. Cela permet d’éviter les clivages et rassure l’adolescent qui se repose sur un cadre solide et constant. Ces règles concernent également les beaux-pères et belles-mères lorsque l’adolescent vit dans une famille recomposée.

Apprendre à gérer son angoisse

Comment faire face à ces changements : changements corporels, psychiques, relationnels ? Comment réapprendre à communiquer et à maintenir une relation en évolution avec son enfant ? Comment faire face à nos attentes, à nos projections,nos angoisses ? Comment faire face au silence, à l’absence ou au trop-plein d’émotions ? Comment tout simplement laisser grandir son enfant ? Voir son enfant devenir adolescent, le voir se transformer,devenir adulte, perdre le « contrôle » peut renvoyer à des angoisses de perte, à notre propre adolescence et à nos choix aux mêmes âges. Il faut apprendre à lui faire confiance : l’adolescent se sentira plus autonome s’il sent que ses parents le prennent au sérieux et qu’ils ont suffisamment confiance en ses capacités à être responsable alors que lui-même, traversé par des émotions nouvelles, doute de sa propre capacité à grandir, à se différencier de l’unité familiale et à prendre son envol. Si ses parents ont confiance en lui, il peut se faire confiance. « Enfin, le jeune a besoin de sentir que ses parents sont suffisamment solides pour survivre à ses prises d’autonomie et, à terme, à son départ de la maison familiale. »

Communiquer

Maître-mot de la relation. Il faut apprendre à réinvestir cet espace d’échange d’une manière différente, apprendre à débattre, apprendre à prendre en compte son opinion, à le considérer comme un être avec une pensée propre et différente de la nôtre. Il est nécessaire de montrer notre ouverture à la discussion tout en respectant son intimité et sa pudeur, notamment quand il s’agit d’amour ou de sexualité. Il faut également trouver des mots pour transformer notre agressivité en colère parlée. Cela peut être très compliqué, notamment lorsque son enfant devient irrespectueux ou qu’il agresse verbalement ou physiquement un membre de la famille. Comment faire face aux émotions qui surgissent en nous dans ces moments de conflit et qui peuvent faire écho à d’autres situations vécues dans des circonstances différentes, notamment dans sa propre enfance ? Comment réagir quand l’adolescent, dans sa colère, trouve les mots pour nous blesser ? Il est alors important de ne pas oublier que nous sommes des adultes responsables, capables de prendre le recul nécessaire,quitte à arrêter l’échange et le reprendre une fois les émotions apaisées.

Poser des limites

Il est important pour l’adolescent de savoir ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas comme autant de repères dans ce nouveau voyage vers l’âge adulte. « Contrairement à ce qu’ils laissent paraître, le pire serait l’inconsistance ou l’indifférence » avec le risque d’aller vers des comportements extrêmes. Il s’agit de lui faire comprendre les limites de la réalité et l’aider à faire face au sentiment de frustration, même s’il peut être compliqué pour un parent de dire non. Il est important que les parents montrent à leur enfant qu’ils prennent en considération son désir sans que cela implique qu’ils vont forcément y accéder. Enfin, il est préférable d’être authentique avec soi-même à propos du cadre posé, d’autant plus que l’adolescent le percevra très bien et aura plus de mal à respecter des règles aux-quelles ses parents n’adhèrent pas.

« Être ringard »

L’adolescent a besoin de voir ses parents comme des adultes d’une autre génération pour trouver son propre style. Si nous imitons son comportement, soit il nous trouvera inauthentiques, soit il se sentira obligé d’être dans l’escalade au risque d’adopter des comportements de plus en plus dangereux pour nous obliger à reprendre notre place d’adulte.

Évoquer sa propre adolescence

Il ne s’agit pas de parler d’événements qui pourraient le mettre mal à l’aise, mais des doutes et des passages plus difficiles auxquels nous avons été confrontés. L’adolescent, consciemment ou non, perçoit alors que ses parents ont pu traverser des moments douloureux ou compliqués et qu’ils sont parvenus à les dépasser.

Gardez du temps pour soi

Il est primordial de maintenir des moments de loisirs, de sorties en couple ou entre amis. L’adolescent sera rassuré de voir que ses parents ont un univers à eux en dehors de lui, ce qui lui permettra de se projeter à l’extérieur de sa famille.

Évoquer sa place dans la famille

Il est important de lui permettre de trouver sa place dans la famille au sens large (grands-parents, oncles, tantes, cousins),et ce même si les relations avec la famille sont compliquées. Malgré nos craintes ou nos appréhensions, les relations qu’il va établir avec les autres membres de la famille ne vont pas forcément être identiques aux nôtres et vont lui permettre de trouver une légitimité dans l’histoire familiale. Elles sont également un moyen pour l’adolescent d’expérimenter d’autres modes relationnels avec des membres de sa famille, de se reconnaître dans certains d’entre eux, de connaître l’histoire de ses parents et de ses grands-parents, et ainsi de se sentir entouré et accompagné dans une période de changements.

Quid des secrets ?

Il existe souvent (toujours ?) des fantômes dans les placards, des secrets de famille :problèmes financiers, tension autour d’une succession, abus sexuel, décès prématuré, grossesses non abouties, trahisons,non-dits dans le couple parental, alcoolisme, cancer, maladie mentale, etc. Les parents gardent ces secrets par peur de faire mal, à eux-mêmes ou à leur enfant, par peur de ne pas trouver les mots justes, par peur de réveiller d’autres questions et de ne pas savoir y répondre, par peur de déranger l’équilibre familial. Néanmoins, les enfants perçoivent le poids de ces silences et peuvent amplifier ce qui leur est caché. En pratique clinique, à la question « Êtes-vous inquiets pour vos parents ? », la réponse est fréquemment positive sans que cela soit fondé et à la grande surprise des parents,etc.

Comment alléger ces secrets ? À chacun sa réponse...

L’adolescent en souffrance

Certains comportements sont difficiles à accepter, notamment quand l’adolescent donne l’impression de se saborder à travers sa scolarité, ses relations,voire par des comportements autodestructeurs. « Ces comportements constituent souvent un appel à l’aide et il est important de lui montrer que nous ne sommes pas indifférents à ses états d’âme. Notre capacité à être là, disponibles et à l’écoute tout en restant en accord avec nos exigences est plus que jamais nécessaire. » Plus un adolescent souffre,moins il osera en parler à ses proches. Il faut ainsi savoir apprendre à repérer les signes qui montrent que l’adolescent est en détresse et trouver le courage de dépasser son appréhension pour aller en discuter avec lui. « Faire preuve d’obstination et de tendresse : ses sarcasmes ont souvent pour but de vous tester en secret pour savoir s’il peut discuter avec vous sans que vous vous sous-estimiez ou vous vous moquiez de ce qui le tracasse. » « Je n’oublierai jamais le jour où ma mère a fini par oser entrouvrir la porte de ma chambre pour me demander comment j’allais. Ça devait bien faire 1 000 ans que j’attendais ça ! Évidemment, ce n’est pas pour autant que j’ai trouvé quoi lui dire. »

Demander de l’aide

Demander de l’aide à un tiers aide à mieux comprendre son adolescent et permet de « décaler l’angle de la caméra ». Concrètement, les occasions existent : des amis dont les enfants sont adultes, une réunion de parents, une association de soutien à la parentalité. Prendre conseil auprès de la famille élargie est plus délicat,ouvrant la voie aux clivages générationnels ou dans le couple parental. Un professionnel de santé sera sollicité dans les situations les plus préoccupantes : adolescent prostré, refus de communiquer,crises d’angoisse, propos non cohérents, préoccupations excessives pour le poids, propos suicidaires, scarifications, consommations répétées de toxiques et conduites ordaliques. « Les parents ont eux-mêmes des problématiques personnelles et existentielles qui méritent leur attention. Quand les émotions difficiles reviennent régulièrement, il est intéressant de s’interroger sur leur origine. Parfois, elles viennent de très loin, du temps où on était soi-même enfant ou adolescent et qu’on ne comprenait pas la colère, la violence ou la dépression de ses parents. En parler est difficile, parfois douloureux, mais ça libère du poids que l’on porte ensoi. » Cette remarque est probablement encore plus vraie pour les soignants travaillant auprès d’adolescents.

En pratique
Être adolescent implique de devoir faire face à une multitude de changements : un corps qu’on ne reconnaît plus et qu’on n’aime pas forcément, de nouvelles sensations, de nouveaux désirs, de nouvelles relations, une perte de repère, le désir de se détacher de ses parents pour aller vers des horizons inconnus, enviables,mais aussi angoissants. Il faut trouver un nouveau groupe d’appartenance, trouver ses propres valeurs. Dans cette tempête d’incertitudes et de transformations, les limites et les repères sont essentiels. L’adolescent sait alors quelles frontières il peut traverser en ayant la certitude de leur solidité et de leur pérennité.

Remerciements au Dr Caroline Rey Salmon, UMJ Hôtel-Dieu Paris

RÉFÉRENCES
• Manuel de survie pour parents d’ado qui pètent les plombs : www.yapaka.be/campagne/manuel-de-survie-pour-parents-dados-qui-petent-les-plombs
• Quelques adresses utiles pour aider les parents : École des parents et des éducateurs
• Réseau d’Écoute, d’Appui et d’Accompagnement des Parents REAAP (CAF)
• Points Accueil Écoute Jeune
• Maison des adolescents

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