jeudi 9 janvier 2020

De nouvelles propriétés électriques observées dans le cerveau humain

Une équipe allemande a observé dans des neurones de couches spécifiques du cortex un mode de propagation de l’influx nerveux qui faciliterait certaines opérations logiques.
Par   Publié le 07 janvier 2020
TETRA IMAGES / PHOTONONSTOP
D’où viennent nos capacités cognitives hors normes ? Pourquoi ce saut évolutif, qui a longtemps semblé faire d’Homo sapiens un animal à part – avec un effet pervers : n’en avons-nous pas tiré une forme d’hubris qui nous a poussés à piller sans remords notre planète ?
Une étude publiée dans la revue Science, le 3 janvier, livre une nouvelle pièce du puzzle de notre machine à penser. Elle révèle l’importance, dans cette affaire de neurones, d’un segment anatomique de ces cellules : les dendrites.
Comparons le neurone à un arbre. Le tronc en serait l’axone, ce long et fin prolongement qui conduit l’influx nerveux – un signal électrique. Les racines, elles, en seraient les dendrites, ces filaments courts et très ramifiés qui prolongent le corps du neurone. De même que les racines d’un arbre collectent l’eau et les minéraux du sol, les dendrites, elles, reçoivent et intègrent les influx nerveux issus des neurones en amont. Selon le résultat de cette intégration, le neurone sera inhibé (il ne transmettra aucun message) ou excité (il transmettra le message nerveux à d’autres neurones en aval, par l’intermédiaire de structures particulières, les synapses).

La puissance démultipliée de notre cerveau

Que montre cette nouvelle étude ? Les dendrites de certains neurones de notre cortex sont dotées de propriétés électriques jamais observées jusqu’ici, révèle-t-elle. Ce qui démultiplie la puissance de calcul de notre cerveau, estiment les auteurs, de l’université de Berlin.
« Notre connaissance des propriétés électriques des dendrites est presque entièrement issue d’études menées chez des rongeurs », constatent les auteurs. D’où leur intérêt pour les dendrites du cerveau humain. Ils ont donc récupéré des petites pièces chirurgicales de cortex, issues de patients opérés pour une épilepsie ou une tumeur au cerveau. Deux pathologies aux causes très différentes. « Nous avons obtenu les mêmes résultats avec ces deux types de patients : cela rend très peu probable l’existence d’un biais lié à ces maladies », précise Matthew Larkum, qui a supervisé l’étude.
Le cortex du cerveau humain, comme celui des rongeurs, est formé de six couches de neurones. Parmi elles, les deuxième et troisième couches (L2/3) ont une architecture particulièrement sophistiquée chez l’homme : leurs neurones sont bien plus nombreux que chez tout autre mammifère. Et leurs dendrites forment une arborescence bien plus étendue et ramifiée.

Neurones « pyramidaux »

Ce sont ces dendrites que les chercheurs ont décidé d’étudier. Ils appartiennent donc aux neurones de la troisième couche, dits « pyramidaux » (en raison de la forme triangulaire de leur corps cellulaire). Ils ont découpé les tissus corticaux en fines tranches, qu’ils ont placées dans des conditions permettant aux neurones de survivre plusieurs heures « en bonne santé ». A l’aide d’électrodes très fines, ils ont mesuré l’activité électrique de chaque neurone.
Mieux encore, ils ont distingué, au sein de chaque neurone, l’activité émanant des dendrites de celle provenant de l’axone. Pour cela, ils ont eu recours à une technique bien rodée : le « patch-clamp », qui enregistre les courants ioniques circulant à travers les membranes cellulaires. Ils ont couplé cette technique à la microscopie à deux photons, qui permet de suivre la dynamique des événements moléculaires à l’intérieur des cellules vivantes, au sein de leur tissu d’origine, sur au moins 1 millimètre de profondeur.
Résultat : à leur grande surprise, les chercheurs ont alors découvert une forme de « potentiel d’action » radicalement nouvelle dans les dendrites L2/3. Ce potentiel d’action des neurones, c’est ce qui permet à l’influx nerveux de se propager. Au cours du phénomène, le potentiel électrique de la membrane du neurone augmente très vite avant de chuter rapidement et de revenir à sa valeur initiale. A mesure que ce phénomène progresse le long de l’axone – ou des dendrites –, le message nerveux circule.
Dans sa forme classique (la seule connue jusqu’alors), ce processus repose sur des flux d’ions sodium (Na +) et potassium (K +) à travers des canaux spécifiques, dans la membrane du neurone. « Cette forme classique du potentiel d’action s’observe dans les portions initiales des axones, chez l’homme comme chez les autres mammifères. Ce que nous avons découvert, dans les dendrites L2/3 du cortex humain, c’est une nouvelle classe de potentiel d’action : elle repose sur des flux d’ions calcium. En cela, elle diffère de toute forme de potentiel d’action jamais décrite dans des neurones », souligne Matthew Larkum.
« Chaque neurone pyramidal du cortex humain peut accomplir ce qui mobilise plusieurs neurones du cortex de la souris »
Les chercheurs ont ensuite modélisé les capacités de calcul de ces neurones L2/3 du cortex humain. Verdict : ces neurones sont capables de résoudre des opérations logiques plus complexes que prévu, qui semblaient auparavant mobiliser un petit réseau de neurones, sur plusieurs couches du cortex.
Grâce aux propriétés de ses dendrites, « chaque neurone pyramidal du cortex humain peut accomplir ce qui mobilise plusieurs neurones du cortex de la souris », explique Rebecca Piskorowski, de l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris (Inserm-université Paris-Descartes), qui n’a pas participé à l’étude.
« On a longtemps cru que l’intégration des signaux excitateurs qui arrivent aux dendrites puis le signal de sortie au niveau de l’axone pouvaient seulement coder les opérations logiques ET et OU, indiquent les auteurs. L’opération “OU exclusif” (XOR), elle, semblait nécessiter des réseaux de neurones. Mais cette nouvelle classe de potentiel d’action, dans les dendrites, permet de coder ce type d’opération. »
Reste que cette propriété à part des dendrites des humains n’explique sûrement pas tout des pouvoirs de notre cerveau. Est-elle, d’ailleurs, propre à notre espèce ? « Nous manquons de données sur ces dendrites dans des espèces autres que les rongeurs et l’homme, admet Matthew Larkum. Nous ignorons, en particulier, si cette nouvelle classe de potentiel d’action existe aussi chez les chimpanzés ou les bonobos. Mais nous allons pouvoir l’étudier. »
Nos capacités cognitives pourraient aussi être liées à d’autres spécificités de notre cerveau. La connectivité exceptionnelle de nos neurones, sur de longues distances, joue sûrement. Tout comme la complexité de nos cellules gliales, ces cellules nerveuses qui, à la différence des neurones, ne sont pas excitables électriquement.
Examinons par exemple les astrocytes, ces cellules en forme d’étoile : elles jouent un rôle-clé dans la nutrition des neurones, mais aussi dans la transmission du message nerveux au niveau des synapses. Eh bien, leur morphologie est bien plus complexe chez l’homme que chez la souris : leurs ramifications sont bien plus étendues. « Ces différences expliquent, certainement en partie, les capacités uniques de notre cerveau. Mais dans quelle mesure ? Nous l’ignorons », conclut Matthew Larkum.

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