mercredi 1 janvier 2020

Affaire Matzneff : «Ce sont des expériences dont on ne se remet jamais»

Par Marie Ottavi — 
Photo Marie Tercafs. plainpicture

Pour la pédopsychiatre Marie Rose Moro, les relations sous emprise abîment durablement les ados.

Marie Rose Moro est pédopsychiatre et dirige la Maison de Solenn, qui s’occupe des adolescents à l’hôpital Cochin.
Que vous évoque le témoignage de Vanessa Springora ?
Quel que soit le contexte, avoir des relations sexuelles sous emprise quand on est adolescent reste violent et déstructurant. La preuve, Vanessa Springora écrit ce livre quarante ans après les faits. L’emprise, c’est la différence d’âge, la contrainte et pas seulement la contrainte absolue, c’est aussi le fait qu’autour de l’adolescent, personne n’empêche de vivre cette histoire même si Vanessa Springora explique qu’on a essayé de lui dire que c’était de la pédophilie. Les jeunes comme elle ne sont ni consentantes, ni prêtes.

Vous parlez d’asymétrie de la sexualité…
Oui, il faut en prendre conscience. Chez l’ado, il y a un développement qui se fait. Quand on dit qu’il choisit d’avoir une relation sexuelle avec un adulte, c’est faux, il ne choisit pas. Il ne peut pas avoir de libre arbitre sur une chose qu’il ne connaît pas. Il n’y a pas de réciprocité. Que l’enfant ait une sexualité, la psychanalyse l’a mis en lumière, mais ce n’est pas la même que celle de l’adulte. Il a une vie sexuelle comme il a une vie psychique, et elle n’est pas partageable avec les adultes. C’est pour ça qu’on développe quelque chose qui s’organise progressivement. Quand l’adulte va à l’encontre de cela, il fait effraction chez l’ado, car ce n’est pas son moment, d’où la violence intrinsèque. La liberté sexuelle, c’est entre deux personnes qui peuvent dire oui ou non. Dans cette hiérarchie entre l’adulte et l’ado, on constate aussi un certain machisme : des hommes, pour leur plaisir et pour ce qui les fait fantasmer, asservissent des enfants.
Que pensez-vous de la tolérance de l’époque concernant ces actes ?
Le danger de contextualiser à l’extrême, c’est de relativiser. Il y avait une tolérance manifeste, mais ça reste un acte extrêmement violent. Et il ne s’agit pas de morale. On ne peut accepter que certains adolescents se retrouvent dans cette position, alors qu’ils ne peuvent pas dire non, ne se rendent pas compte de ce que ça va provoquer sur eux, c’est une violence extrême et absolue. Quand les ados comprennent qu’ils n’ont pas été protégés par la société et l’entourage, cela les déstructure encore plus. La parentalité, on l’exerce seul mais on a aussi besoin de la société. On n’est pas parent seul face à des situations de prédation. C’est aussi une question sociale, politique, collective. Dans ces années-là et ce milieu, la société pouvait accepter qu’un écrivain vienne chercher une petite fille. Ça ne semblait pas une aberration, alors que ça l’était. Il n’y a pas de tolérance à avoir vis-à-vis de ces situations. Ça reste des expériences traumatisantes dont on ne se remet jamais. On peut se réparer mais ça reste d’une violence terrible. Il s’agit de protéger les ados, et cela n’a rien à voir avec la littérature et la liberté.
Constatez-vous une évolution vis-à-vis de la pédophilie ?
Je n’ai pas le sentiment d’un changement radical. C’est une question qui était déjà problématique et qui le reste, mais il y a encore une sorte de complaisance. On fait des signalements, mais nommer la pédophilie, c’est parfois encore difficile, même aujourd’hui et particulièrement en France. Les pays du Nord sont bien moins tolérants. Il y a des clivages qui ne sont pas que générationnels, mais aussi entre hommes et femmes. Il est là encore question de machisme, car ça concerne souvent majoritairement des hommes adultes qui viennent chercher des petites filles. Des positions machistes et patriarcales s’imposent encore dans la société.

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