mardi 31 décembre 2019

«PRÉDIRE L’ENFANT», LES SPIRALES INCERTAINES DU DESTIN

Par Geneviève Delaisi de Parseval — 

S’inspirant des progrès en matière de génétique, François Ansermet propose une réflexion philosophique sur le rôle du hasard dans la construction de soi.

La bio-bibliographie du pédopsychiatre et psychanalyste François Ansermet, telle qu’elle est résumée en quatrième de couverture, présente une omission : il est aussi philosophe, qualité dont ce petit livre, Prédire l’enfant, offre une illustration magistrale. A partir de la question du devenir d’un enfant - quasi monopolisée actuellement par la prédiction génétique -, Ansermet montre que si les prédictions génétiques ont remplacé l’oracle de Delphes, elles n’ont supprimé ni le hasard, ni l’incertitude, ni la possibilité pour un sujet de trouver ses propres réponses : «L’origine reste à venir. L’enfant ramène à l’inconnaissable de ce qui sera, plutôt qu’à l’originaire», écrit-il. C’est cette dialectique entre prédiction et incertitude du devenir qui est au centre du livre.
Les exemples que l’auteur prend appartiennent pour partie à la clinique de la prédiction préconceptionnelle (la chorée de Huntington par exemple, maladie héréditaire gravissime que l’on peut prédire sans savoir cependant quand elle surviendra). Mais comme il l’explique : «L’histoire nous traverse. De même que notre génome ne nous appartient pas, c’est plutôt nous qui lui appartenons.» Autrement dit, on n’est pas dans ce domaine, comme dans d’autres, dans une causalité génétique simple et directe, mais au contraire dans une constitution génétique où certaines maladies sont susceptibles de se manifester. «Malentendu» (terme cher à Lacan) qui permet à Ansermet d’introduire la notion de sérendipité, concept-clé dans de nombreux domaines, dont celui des bilans génétiques.

Détermination

La sérendipité est un néologisme britannique (1754) qui désigne la faculté de découvrir, par hasard et sagacité, des choses qu’on ne cherchait pas. Mais ce n’est pas seulement dans la recherche qu’elle est en jeu, on peut avec profit utiliser ce concept, il a par exemple un rôle important dans la création artistique (François Ansermet a écrit un remarquable livre sur ce sujet avec la plasticienne Prune Nourry, Serendipity, Actes Sud, 2018). La psychanalyse n’est pas exempte de critique sur le point du mésusage de la causalité linéaire : elle tombe souvent dans le piège de trop construire un lien rétrospectif avec le passé et, du coup, de supposer une causalité psychique là où il n’y en avait pas. Freud nous avait mis en garde : «Nous avons souvent coutume de conclure à une disposition individuelle a posteriori ; après coup, lorsque la personne est tombée malade, nous lui attribuons telle ou telle disposition. Nous ne disposons d’aucun moyen de le deviner par avance» (Résultats, idées, problèmes).

Ansermet ajoute qu’une détermination posée de façon rétrospective est une façon de prédire le passé jusqu’au risque de même parfois le prescrire ! D’où la fascination pour les horoscopes, dont le fonds de commerce est de maîtriser l’imprévisibilité du devenir. D’où également la fâcheuse manie qu’ont certains de faire de la «psychanalyse sauvage» («il a attrapé un cancer à cause de ses problèmes de couple»). Ansermet cite ici, très à propos, une phrase étonnante de Dostoïevski : «Il y a dans l’idée de la causalité une limitation qui fait prendre les causes les plus immédiates, donc les causes secondaires, pour des causes premières» (les Carnets du sous-sol). «Sur l’avenir tout le monde se trompe», commentait encore Kundera (l’Ignorance). Suivent quelques pages lumineuses d’Ansermet à propos de ces sujets qui finissent par se construire des «névroses de destinée», se sentant soumis à une contingence dont ils font une fatalité extérieure, une destinée qui les asservit ou à laquelle ils s’asservissent… 

Pari 

La contingence offre cependant les conditions de la possibilité d’un changement, poursuit-il : «Elle peut se décliner de multiples manières, entre l’inattendu, l’imprévu, l’incertain, l’imprédictible, l’indéterminé, l’inconnaissable, le fortuit, l’aléatoire, l’improgrammable, le surprenant. Tout dépend de la façon de s’en servir.» Le pari du devenir, conclut Ansermet, c’est de miser sur l’instant, sur le kairos où l’homme décide de saisir une occasion, accomplissant sa vie dans l’instant. «C’est de miser sur la discontinuité pour s’affranchir de toute détermination, pour y échapper, tout en jouant du donné comme d’une partition.» Comment mieux parler du dilemme de l’inné et de l’acquis ? Un grand livre, particulièrement pertinent dans les débats actuels.

François Ansermet Prédire l’enfant PUF, «Questions de soin», 72 pp.

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