dimanche 22 décembre 2019

« Les patients m’ont tout appris de l’humain », un généraliste se confie sur ses 45 ans de carrière

21.12.2019


Livre


Dans « Docteur, il faut que vous me mettiez », un médecin de famille, Gérard Bouvier, relate des anecdotes qui ont pimenté la vie de son cabinet près de Lons-le-Saunier dans le Jura, bien loin des « préoccupations médicales qui fleurissent dans les médias parisiens ». Le septuagénaire, toujours en exercice, nous explique ce qui l’a motivé à écrire cet ouvrage, où le dessinateur Larsen reprend à son compte l’humour carabin.
Vous exercez depuis 45 ans. Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire cet ouvrage après tout ce temps ?    
Dr Gérard Bouvier : J’ai créé mon cabinet en 1975. Je pensais soigner des malades, mais j’ai vite compris que je commençais un voyage au cœur de l’humain et que ce métier dépasserait mes espérances. Peu à peu la confiance s’installait et les barrières tombaient. Je rencontrais des générations de tendresse partagée, de conflits, de secrets de famille, de désespoirs et de projets. Sur leurs femmes il m’est arrivé d’en savoir plus que les maris et sur les maris plus que leurs compagnes. C’était passionnant parce que la vie était là, à l’état brut. Ils se racontaient avec leur bon sens. Remaniés par l’angoisse, la peur de mourir, la pudeur des corps et des cœurs. Et avec un humour qui se mêlait au mien pour finir souvent en fous rires. Très vite j’ai pris des notes pour ce livre. C’est aussi un clin d’œil à mes enfants et petits-enfants. Et aux suivants s’ils ont des étagères où le poser.

Vous avez accès au plus intime des patients. On a l’impression que vous ne les jugez jamais…
Dr G.B. Les patients m’ont tout appris de l’humain. Et un peu de moi-même ! Quand la confiance s’installe, il n’y a plus de frontière entre l’intime et ce qui l’est moins. On raconte ses soucis, ses problèmes, parfois de santé, parfois simplement de vie. Le médecin de famille n’a pas le temps de trier ce qui est de l’intime et ce qui n’en est pas. Il est dans la barque où se fait un échange singulier entre deux humains. Quant à juger ! De quel droit ! C’est très déconseillé dans ce métier. D’ailleurs j’en serais bien incapable. Il y a des juges, des professionnels pour ça.
Avec dérision, le titre du livre fait allusion à l’autodiagnostic des patients qui semblent connaître leurs besoins. Ceux qui viennent vous voir sont-ils tous vraiment malades ?
Dr G.B. Beaucoup de patients nous disent : « De vous avoir vu, je vais déjà mieux ! » Est-ce pour autant qu’ils n’étaient pas « malades » ? Bien sûr que non ! Qu’est-ce qu’être malade ? Une maman amenait sa fille en disant : « Ça n’est pas qu’elle est malade, mais quand elle s’est réveillée, elle avait de drôles d’yeux et comme on la baptise dimanche, je préfère vous la montrer pour être sûre. » Et le patient suivant me disait : « Docteur, ça fait huit jours que j’ai 40 de fièvre. Je me suis dit, ça va passer ! J’ai continué de faire les foins… Mais hier, sur mon vélo j’ai fait un malaise. Alors là j’ai dit : si dans deux jours j’ai encore 40, je vais voir le docteur. » Le patient n’est pas médecin, souvent entre croyances et idées reçues et pourtant, c’est lui qui décide s’il est malade.
Avec Larsen, le dessinateur, vous sembliez raccord sur la place du grivois dans les illustrations… Comment avez-vous travaillé ?
Dr G.B. Notre principale préoccupation était de partager nos idées en nous canalisant l’un l’autre. Le lecteur a échappé à la toute dernière minute à une couverture un peu chaude. Une fois dans la filière médicale, l’esprit carabin ne nous quitte plus. Et Larsen a une immunité très faible. Je l’ai très vite contaminé.
Votre livre est une déclaration d’amour à votre métier. Qu’avez-vous à dire aux jeunes pour qu’ils choisissent la médecine générale ?
Dr G.B. La médecine générale fait partie des dernières spécialités choisies aux ECN. La chirurgie esthétique a la préférence des jeunes. Dommage ! Il y a dans ce livre les ingrédients pour rêver d’un grand bonheur professionnel. Plusieurs de mes jeunes patients sont devenus généralistes. C’est une belle récompense. Peut-être ce livre en convaincra-t-il encore un !
Propos recueillis par Sabrina Moreau

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