mercredi 13 novembre 2019

Pour François Tosquelles

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YANN DIENER · 
L’hôpital public est en feu, et la ministre de la Santé regarde vers le privé. Elle choisit de laisser pourrir la grève des services d’urgence, inédite par son ampleur et sa durée. Le tout dernier plan de financement voté par les députés étrangle un peu plus la santé publique. Les chefs de service déclarent ne plus avoir les moyens de faire leur travail, 360 services de l’AP-HP font la grève du codage des actes, et le Collectif inter-hôpitaux demande en vain un rendez-vous à Bercy : il est en train de se passer pour l’hôpital général ce qui s’est passé pour la psychiatrie publique. Une mort par étouffement, une privatisation en marche. Vous trouvez que j’exagère ? Et pourtant, c’est en cours : LNA Santé, un groupe privé, est en lice pour racheter un établissement public, en l’occurrence l’hôpital de Longué-Jumelles (Maine-et-Loire), au bord de la faillite. Voilà ce qu’Agnès Buzyn organise.
Quel rapport avec la psychanalyse ? me direz-vous. En France, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la psychiatrie en était encore à des pratiques asilaires. Une transformation radicale de l’accueil et des soins a été initiée par un psychiatre et psychanalyste cata­lan, condamné à mort par Franco pour avoir œuvré au sein de ­l’armée répu­blicaine. Après avoir passé neuf mois dans le camp de ­Septfonds (Tarn-et-Garonne), François Tosquelles est arrivé en janvier 1940 à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban (Lozère), où il a révolutionné la relation entre les soignants et les patients. Il a mis la camisole au placard, il a institué des activités thérapeutiques et des sorties de l’hôpital, et des réunions de parole entre soignants et patients. C’est ce qu’on a appelé plus tard la psychothérapie institutionnelle, fondée sur l’idée qu’il est nécessaire de soigner une institution qui se donne pour tâche de soigner. Tosquelles parlait d’un indispensable « tissu humain  » : l’humanité et la disponibilité de l’équipe qui accueille un patient en psychiatrie sont fondamentales, mais elles ne sont pas évidentes, elles supposent une formation spécifique des personnels.

Mais aujourd’hui, la formation des infirmiers spécialisés en psychiatrie a été supprimée. Ce sont des consignes managériales qui déterminent les pratiques : les soignants sont poussés à la « mobilité » entre les services, ils ne restent pas assez longtemps pour créer un lien thérapeutique avec les patients. Et puis la politique sectorielle, qui permettait de faire fonctionner des structures extra­hospitalières de proximité, a été abandonnée par les derniers ­ministres de la Santé. Vous pourrez prendre toute la mesure de cette régression en cours, de cet énorme gâchis, en lisant Mon ­métier d’infirmier, un passionnant témoignage écrit par Yves Gigou et Patrick Coupechoux, ou encore les Cours aux infirmiers, que François Tosquelles avait dispensés à Saint-Alban entre 1943 et 1945*.
Le jeudi 14 novembre, tous les personnels de la santé publique seront à nouveau dans la rue. On y retrouvera, entre autres, l’équipe militante et bouillonnante du Printemps de la psychiatrie, qui refuse la liquidation de tout cet héritage.

*Aux Éditions d’une, qui publient également un très éclairant Éloge de la psychiatrie de secteur, de Pierre Delion, Madeleine Alapetite, Mathieu Bellahsen et Sandrine Deloche (en librairie le 14 novembre). Les oeuvres complètes de François Tosquelles sont éditées par ses enfants, notamment Jacques Tosquellas, lui-même psychiatre et ancien chef de service à Marseille, et Sophie Legrain.

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