vendredi 22 novembre 2019

Plan hôpital : surtout, faire baisser la fièvre

Par Lilian Alemagna — 
Manifestation en faveur de l’hôpital public à Paris, le 14 novembre. 
Manifestation en faveur de l’hôpital public à Paris, le 14 novembre.  Photo Marie Rouge pour Libération


Les fonds débloqués par le gouvernement, présentés comme un geste majeur, ne satisfont pas les personnels soignants mobilisés. La manifestation du 30 novembre aura valeur de test. L’exécutif espère surtout éviter une convergence des luttes sociales le 5 décembre.

Il était annoncé comme la dernière cartouche. Un «plan d’urgence pour l’hôpital» qui, après déjà deux tentatives ratées pour calmer la colère d’hospitaliers mobilisés depuis près de huit mois, devait éviter la contagion sociale à deux semaines d’une mobilisation des cheminots et employés de la RATP contre la réforme des retraites : 1,5 milliard d’euros de plus sur trois ans (300 millions dès 2020), 10 milliards d’euros de reprise de dette, différentes primes pour les personnels soignants… «Nous avons entendu leur colère. Nous avons entendu leur épuisement. Nous avons entendu leur désarroi», a insisté Edouard Philippe mercredi matin depuis le ministère de la Santé où il s’était déplacé avant le Conseil des ministres.

Le niveau de mobilisation le 30 novembre - date annoncée de la prochaine grève dans les établissements de santé - dira si le gouvernement a tapé juste. Mais les premières réactions récoltées par Libération témoignent de la déception d’une bonne part du corps hospitalier. «Pourtant, c’est un sacré coup de Canadair qu’ils ont envoyé là !» se félicite un haut gradé de la majorité. «Je ne dis pas que c’est assez […] mais j’invite à regarder l’effort que la nation s’apprête à faire. C’est sans précédent», a souligné Olivier Véran, rapporteur général du budget de la Sécu à l’Assemblée nationale.

«Gros bougé»

S’ils saluent eux aussi cet «effort», d’autres députés LREM font remarquer que le gouvernement avait fermé la porte à une telle rallonge budgétaire il y a quelques semaines, lors de l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Certains d’entre eux regrettent le temps perdu : «On avait dit très tôt qu’il faudrait beaucoup plus, regrette le député LREM du Vaucluse Jean-François Cesarini. Pour les APL, la CSG, les 80 km/h, ils nous avaient déjà dit non. Voilà…»
Dans l’entourage d’Edouard Philippe, on assume d’avoir pris le temps pour assurer ce «gros bougé» budgétaire : «Il fallait y aller. On n’allait pas faire comme François Fillon dans sa campagne et expliquer à une aide-soignante qu’on ne peut pas l’aider parce que l’Etat est surendetté.» A Bercy aussi, on juge «massif» l’«effort» consenti, promettant que l’argent débloqué cette année ou promis pour les trois ans à venir était «nouveau» et non gagé sur d’autres économies. Si c’est pour «investir», le ministère des Finances «assume» même de faire couiner Bruxelles, fâché de voir Paris abandonner l’objectif d’un retour à l’équilibre des comptes publics et d’un recul de la dette. A condition que d’autres secteurs ne viennent pas, eux aussi, réclamer plus de moyens : étudiants, enseignants, agriculteurs, policiers, pompiers…
Sans parler des «revalorisations» de salaire que le gouvernement s’est engagé à accorder aux profs et à une partie du personnel soignant (infirmiers et aides-soignants) qui, en l’état, seraient les grands perdants du futur régime de retraites.
En cette fin novembre, l’exécutif a donc pour priorité de débrancher les hospitaliers et de contenir les enseignants dans des discussions salariales avec leur ministre, pour éviter, comme l’espère en revanche la CGT, que ces deux corps ne s’agrègent aux cheminots et à la RATP qui réclament le retrait total de la réforme des retraites et entament une grève reconductible le 5 décembre.

«Il faut de la chair !»

Retraites et hôpitaux ont ainsi été au menu, mardi soir à l’Elysée, d’un dîner réunissant les dirigeants de la majorité et les ministres concernés. Le couple exécutif a martelé ce message : «On a jusqu’au 5 décembre pour reposer la réforme sur la table.» «Ils nous ont dit : "Faut y aller maintenant !"» rapporte un participant. Ce jeudi, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, et le secrétaire d’Etat aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, reçoivent pour la deuxième fois les personnels de la SNCF puis ceux de la RATP. La semaine prochaine, c’est le Premier ministre qui fera défiler à Matignon les patrons des centrales syndicales et des organisations patronales pour les tester sur les «transitions possibles» d’une réforme des retraites toujours aussi impopulaire dans l’opinion. «C’est un bordel généralisé… Les retraités actuels n’ont toujours pas compris qu’ils ne seront pas touchés !» déplore un député de la majorité avant d’imager son propos : «C’est comme si ce gouvernement jouait de l’orgue mais qu’il le faisait tuyau par tuyau. Du coup on ne comprend plus le morceau.» Un ministre fait aussi ce constat d’une «perte de récit» sur les retraites, pourtant «une réforme juste et redistributive».
A Matignon, on insiste sur la «sérénité» et la «mobilité» d’Edouard Philippe dans l’attente du 5 décembre. Mais dans la majorité, d’autres s’inquiètent du «déficit d’incarnation» de certains ministres avant un tel bras de fer social. «Beaucoup ont encore une approche trop comptable, de hauts fonctionnaires, balance un conseiller. Il faut de la chair ! Or on a des ministres qui, après deux ans et demi de fonction, sont toujours d’illustres inconnus.» Un déficit persistant de poids lourds politique qui n’aide pas à faire passer le message quand le gouvernement consent des concessions.

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