mardi 12 novembre 2019

Parentologie : quand papa joue au docteur avec maman

L’éducation est une science (moyennement) exacte. Cette semaine, Nicolas Santolaria nous rappelle que l’enfant est le meilleur ennemi d’une vie sexuelle épanouie.

Nicolas Santolaria Publié le 09 novembre 2019 

Comme un coach de vie un brin autoritaire, la parentalité remodèle du jour au lendemain une grande partie de vos habitudes existentielles. Alors qu’une simple virée en amoureux au cinéma nécessite désormais une planification dissuasive digne de l’opération Overlord, une autre dimension hédoniste de votre vie d’avant prend elle aussi une tournure problématique : le sexe. Comme si un mauvais génie avait versé du bromure dans votre café équitable, l’ambiance caliente qui vous a conduit sans trop réfléchir à perpétuer l’espèce humaine se transforme soudain en véritable glaciation érotique. Game of Thrones vous avait pourtant prévenu – « L’hiver vient » –, mais vous ne pensiez pas que ce méga-coup de froid congèlerait également vos corps caverneux.
LASSE RUSSE

Parade de paon en surchauffe

A cette situation, il y a tout d’abord des raisons purement mécaniques. Dans un premier temps, l’épreuve physique que constitue l’accouchement est susceptible de rendre votre compagne non réceptive à vos parades de paon en surchauffe (et en survêt, si vous avez pris un congé parental). Après une épisiotomie, on a rarement envie d’explorer les recoins du Kama-sutra, surtout avec un type qui arbore un tee-shirt « Super Papa ». A ce stade, même s’il sait le plus souvent se montrer compréhensif en surface, ledit papa pourra éprouver au plus profond un véritable choc culturel. Lui qui avait le sentiment enivrant de vivre avec la cousine de Sharon Stone, se ­retrouve du jour au lendemain à partager le quotidien ultrapragmatique de Super Nanny (« T’as pensé aux mini-dosettes de sérum physiologique pour nettoyer les narines ? »).

Quant à la maman, elle peut parfois avoir du mal à passer en un clin d’œil du rôle de distributeur de boissons chaudes à celui d’objet de désir. Comme le détroit d’Ormuz, sa poitrine devient alors le point de focalisation vers lequel convergent des intérêts stratégiques divergents. Celui de l’enfant, qui ne pense qu’à manger, et le vôtre, qui… bon, pas besoin de vous faire un dessin. Pour ne rien arranger, les couches pleines d’une matière qui semble venue de l’espace et les flatulences de bébé, alourdissant l’air ambiant, vous conduisent à formuler ce constat lucide – et un poil ­désabusé : au cœur de cet univers pas franchement glamour, il faudrait être David Copperfield pour, d’un claquement de doigt, réussir à restaurer durablement la magie érotique.
Votre compagne était en couple avec un spartiate affûté par les heures de cross-fit, elle se retrouve à causer « montée de lait » avec un type qui a toujours des traces de vomi sec sur son sweat mal repassé.
Car force est de constater que votre vie sexuelle n’est plus qu’un ancien carrosse embourbé dans la purée de citrouille. Si, à ce stade, vous n’avez pas encore succombé au fameux « baby-clash », cette fréquente séparation post-partum, c’est que vous avez réussi à dériver vos pulsions vers un nouveau mode de satisfaction, généralement à base de séries Netflix et de Pringles au fromage – même si rien ne vous empêche de profiter de l’occasion pour entamer, ou redynamiser, une relation masturbatoire avec vous-même (« salut, ça va toi ? ! »). A la longue, ce régime à base d’images interchangeables, de graisse saturée et de sédentarité onanique finit par vous transformer vous aussi radicalement, mais pas forcément en bien. Votre compagne était en couple avec un spartiate affûté par les heures de cross-fit, elle se retrouve à causer « montée de lait » avec un type qui a toujours des traces de vomi sec sur son sweat mal repassé.

« T’es sûr qu’ils dorment ? »

En pareilles circonstances, les rares coïts auxquels vous pouvez encore prétendre sont mis en péril par le harcèlement sonore systématique de l’enfant. Comme avec ces prisonniers à qui l’on diffuse de la musique assourdissante pour les empêcher de trouver le sommeil, les braillements nocturnes vous vrillent quotidiennement les tympans. ­Hasard ? Pas sûr.
Dans une étude menée par le professeur David Haig, à l’université Harvard, on apprend que les bébés seraient biologiquement programmés pour monopoliser l’attention et, en éreintant les parents, les empêcher d’avoir des relations sexuelles. But de la manœuvre ? Prolonger la période d’allaitement, laquelle s’accompagne de l’aménorrhée de lactation, une phase d’infertilité de durée variable. En vous épuisant et en activant une forme de contraception naturelle, le Garry Kasparov en Babygro ­minimiserait ainsi les risques de retour de couches et maximiserait ses chances de survie.
Une fois que l’enfant « fait ses nuits », vous n’êtes pas pour autant tiré d’affaire. Car cette petite chose hurlante va apprendre à se déplacer. Elle est donc susceptible de débouler à n’importe quel moment ; en général, le pire. Personnellement, il ne m’est jamais arrivé d’être surpris en pleins ébats et de me trouver contraint de raconter un horrible bobard médical (« on était en train de jouer au docteur avec maman »), mais c’est une perspective plus ou moins angoissante que tout parent a en tête. Voilà pourquoi « T’es sûr qu’ils dorment ! ? » est sans doute l’un des mantras préférés de ma compagne, avec le non moins fameux : « Tu t’es lavé les mains avant de peler les légumes ? » J’ai donc vite compris qu’aller tester la profondeur du sommeil des enfants (« c’est bon, ils dorment à poings fermés ») faisait désormais partie des préliminaires.

Acrobatie domestique

Dans cette quête complexe du désir, quand les enfants ne sont pas dans les bras de Morphée, vous pouvez encore compter sur une ­alliée de taille (non, pas la pilule de Viagra) : la télé. Une fois votre progéniture lobotomisée par un bon Pixar, le son du poste à fond, vous n’avez plus qu’à vous enfermer à double tour dans la pièce de votre choix et vous livrer, l’esprit à peu près serein, à vos petites affaires. Certes, tout ça a parfois des allures d’acrobatie domestique quand, un pied dans le hublot du sèche-linge, une main sur l’armoire à pharmacie, vous tentez de rejouer le remake à petit budget de Cinquante nuances de Grey. Mais justement parce que clandestine, parce qu’arrachée de haute lutte à tout un tas de forces contraires, parce que témoignant de l’incroyable pulsion de vie qui vous anime, la sexualité du parent au bout du rouleau n’en est que plus savoureuse.
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L’éducation est une science (moyennement) exacte. Toutes les deux semaines, dans l’application La Matinale et dans le cahier « L’Epoque » du Monde, notre chroniqueur Nicolas Santolaria analyse avec drôlerie les mutations contemporaines de la parentalité, sur fond de perte d’influence du patriarcat à l’ancienne. Toujours à la première personne, et à travers le regard du papa qui s’occupe de ses deux jeunes fils, le récit met en perspective des principes d’éducation qui ne collent pas toujours à la réalité.

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