vendredi 1 novembre 2019

François-Xavier Devetter et Emmanuelle Puissant: « L’attractivité des métiers du grand âge reste peu reconnue »

Les économistes François-Xavier Devetter et Emmanuelle Puissant pointent les incohérences de la politique gouvernementale en ce qui concerne l’aide à domicile pour les personnes âgées.

Publié le 30 octobre 2019


« Les salaires tournent aux alentours de 850 euros par mois en moyenne, pour des femmes qui sont plus souvent que l’ensemble des employées à la tête de familles monoparentales. »
« Les salaires tournent aux alentours de 850 euros par mois en moyenne, pour des femmes qui sont plus souvent que l’ensemble des employées à la tête de familles monoparentales. » Fred De Noyelle/Godong / Photononstop

Tribune. Entre le projet de loi de financement de la Sécurité sociale et la mission El Khomri sur l’attractivité des métiers du grand âge, les attentes en matière d’amélioration des conditions de travail et d’emploi des aides à domicile sont importantes. Aujourd’hui, la situation est bien documentée, mais elle reste peu reconnue.
Les salaires sont faibles pour de nombreuses raisons : temps partiel généralisé, importantes contraintes physiques et temporelles, charge psychologique conséquente et… salaires horaires faibles. Ils tournent aux alentours de 850 euros par mois en moyenne, pour des femmes qui sont plus souvent que l’ensemble des employées à la tête de familles monoparentales.

Des atouts importants

Ces difficultés se cumulent et débouchent sur un taux d’accidents du travail extrêmement élevé (supérieur à celui observé dans le bâtiment), des absences fréquentes et une « attractivité » du secteur particulièrement faible. De nombreuses études quantitatives et qualitatives vont dans ce même sens, et pourtant les blocages semblent toujours aussi importants.
Ainsi, en 2004, un rapport du Conseil économique et social (CESE) pointait parmi les priorités la nécessité de « pérenniser et améliorer l’emploi des salariés en poste » et « redonner son attractivité au travail dans le secteur ». Dix ans plus tard, la Cour des comptes soulignait la faiblesse des « perspectives de carrière contribuant au maintien de la faible attractivité du secteur ». Les rapports confirmant ces constats s’entassent auprès du Comité national d’action sociale (CNAS) ou de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) tandis que la souffrance des salariées demeure.
Pourtant le secteur dispose d’atouts importants : l’existence d’employeurs divers et anciens, experts en termes de besoins sociaux auxquels le secteur doit répondre ; une convergence entre les revendications des salariées en termes d’augmentation de leurs salaires et d’amélioration de leurs conditions de travail et les alertes multiples de plusieurs fédérations d’employeurs ; des volontés d’évolutions et de transformations, pour répondre aux besoins, largement partagées, une montée en qualification des salariées observables notamment depuis 2003, etc.
Mais au moins trois éléments bloquent toute perspective d’amélioration durable. Trois « mots-clés » omniprésents dans le secteur, dans les discours politiques, les rapports pré-lois, et les prises de position médiatiques… et dont le sens a aujourd’hui pris une tournure directement inspirée de la novlangue digne de 1984 [roman de George Orwell, 1949] : temps partiel, non-qualification, libre choix.

Pénibilité non soutenable

Le temps partiel est généralisé pour les emplois d’aide à domicile. Mais peut-on parler de temps de travail partiel quand la majorité des salariées ne peuvent, physiquement et psychologiquement, travailler plus ? Est-ce un temps partiel, celui qui occupe des plages horaires près de quarante heures par semaine en raison des temps creux (déplacements, intervacations, récupérations, etc.) ?
Plusieurs travaux, tant en sociologie qu’en économie ou en ergonomie ou médecine, ont montré que la pénibilité de ce métier atteignait un seuil non soutenable au-delà de vingt-huit heures hebdomadaires : ce ne sont pas les salariées qui sont à temps partiel, mais le décompte de leur travail qui est incomplet.
Le secteur accueille de nombreuses salariées non qualifiées. Intervenir auprès de personnes en perte d’autonomie dans une multiplicité de domiciles au sein desquels il faut s’adapter, effectuer un travail à la fois physique, d’accompagnement social et de veille sanitaire : ces tâches peuvent-elles vraiment être considérées comme « non qualifiées » ?
Avoir fait de l’aide à domicile un débouché « naturel » pour la politique de l’emploi et avoir enrayé le processus de qualification des salariées à l’œuvre depuis 2002 ne sont pas les moindres des défauts du plan Borloo de développement des services à la personne. Les pays européens qui ont su développer en nombre des emplois de qualité dans les métiers d’accompagnement au domicile l’ont fait en faisant le pari d’une meilleure reconnaissance des compétences et qualifications, à l’image de la Suède ou des Pays-Bas.
Il faut respecter le libre choix des personnes âgées. Garantir l’autonomie voire l’émancipation des personnes âgées a toujours été la raison d’être du secteur de l’aide à domicile, et ce depuis les statuts des premières associations, dans les années 1950. Aujourd’hui, avec la mise en marché de ces activités, le « libre choix » serait devenu la consécration de l’autonomie des personnes.

Un manque total de sérieux

Aujourd’hui, ce fameux « libre choix » des personnes est utilisé pour renforcer la mise en concurrence entre quatre types d’organisations (employeur particulier, entreprises privées lucratives, associations, secteur public) soumis à des règles fiscales et de gestion des salariées sensiblement différentes. Les différentiels de frais de déplacement en sont une bonne illustration : ils oscillent entre 0 pour les salariés du particulier, 12 centimes pour ceux des entreprises et 35 centimes à 40 centimes – auprès des employeurs associatifs ou publics.
Ces trois « mots-clés » – temps partiel, non-qualification, libre choix – s’emboîtent au final pour justifier une sous-évaluation radicale du coût, mais aussi de la valeur produite de l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie. Intégrer les contraintes réelles de cette activité et donner les moyens nécessaires à un service dont la qualité ne repose pas sur le seul engagement de certains acteurs impliquent un coût horaire qui dépasse assurément 26 euros en moyenne.
Dans ces conditions, annoncer un tarif national de 21 euros est soit un choix politique de poursuivre et d’institutionnaliser une maltraitance aujourd’hui réelle à l’encontre des personnes âgées et des salariées du secteur, soit un manque total de sérieux…

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