lundi 18 novembre 2019

Eduquer, réguler, recycler… les pistes des Français tirés au sort pour le climat

Les 150 participants ont dévoilé leurs travaux à mi-parcours, avec l’objectif de réduire, dans un esprit de justice sociale, les émissions de CO2 d’au moins 40 % d’ici à 2030.
Par  et   Publié le 18 novembre 2019
Faire évoluer la Constitution en faveur de l’environnement, développer l’éducation et la formation, rendre obligatoire le recyclage de tous les plastiques d’ici à 2025, réformer la politique agricole commune, réguler la publicité, modifier l’utilisation de la voiture individuelle, lutter contre l’artificialisation des sols en limitant l’étalement urbain ou encore obliger les entreprises à faire un bilan carbone… Voilà certaines des nombreuses pistes de mesures dévoilées par la convention pour le climat, dimanche 17 novembre, à mi-parcours de cet exercice de démocratie directe d’une ampleur inédite.
Sous des applaudissements nourris, dimanche après-midi, les délégués des cinq ateliers – se loger, se déplacer, produire-travailler, se nourrir, consommer – ont tenté de résumer trois jours de travail intense. « Ils sont assez bluffants. Une bonne partie d’entre eux ne connaissaient rien au sujet et, en trois week-ends, ils ont acquis une bonne compréhension des mécanismes et de ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour la transition écologique », jugeait alors Cyril Dion, le réalisateur du film documentaire Demain (2015) et l’un des trois « garants » de l’indépendance des travaux de cette convention, annoncée par Emmanuel Macron, le 25 avril, lors de sa conférence de presse de conclusion du grand débat national.

Réduire les émissions dans un esprit de justice sociale

Les 150 Français qui la composent, tirés au sort de manière à représenter l’ensemble de la société – ils sont ouvriers, cadres, étudiants, agriculteurs ou retraités, âgés de 16 à 80 ans et issus de toute la France – planchent, depuis début octobre, sur la manière de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici à 2030, dans un esprit de justice sociale.
Durant ce long week-end de travail, le troisième des six prévus, ils étaient réunis dans les locaux du Conseil économique, social et environnemental, au palais d’Iéna à Paris. Au menu : définir leurs priorités et commencer à esquisser des mesures au sein des cinq groupes thématiques. Une « escouade volante », composée de quatre citoyens de chaque groupe thématique, a été créée pour répondre aux questions transversales, qui ont trait au financement et à la fiscalité, ainsi qu’à l’information et la sensibilisation de la population.
Mais si la fiscalité a été très présente dans les différents groupes – proposition a ainsi été faite d’une TVA indexée « selon le lieu de production et le lieu de vente d’un produit » –, le retour éventuel d’une hausse de la taxe carbone, mesure annulée par le gouvernement, car à l’origine de la colère des « gilets jaunes », a soigneusement été écarté des pistes de travail. « On a voulu nous pousser à l’évoquer mais il n’en est pas question », pestait ainsi Patrice (certains intervenants n’ont pas souhaité donner leur nom), de Montrouge (Hauts-de-Seine), retraité du nucléaire.

« Bienvenue dans la complexité ! »

Pour les aiguiller dans leur réflexion, les citoyens ont auditionné pas moins de soixante experts durant les trois jours, contactés à leur demande : des banquiers, des ONG, des scientifiques ou encore la « gilet jaune » Priscillia Ludosky et le président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, Louis Gallois. « Il faut prendre le temps de digérer et faire la synthèse de tout ce qu’on entend, pour ne pas être sous l’influence de quiconque », explique Matthieu, 40 ans, qui travaille dans l’événementiel en Seine-et-Marne. Les citoyens ont aussi à leur disposition une équipe de fact-checkers – des chercheurs qui répondent aux questions qu’ils se posent –, ainsi que des experts qui peuvent évaluer l’impact environnemental et social des mesures, leur coût et leur faisabilité technique.
« Bienvenue dans la complexité ! », avait lancé Nicolas Hulot aux citoyens qui l’auditionnaient en ouverture du week-end. Durant deux heures, l’ancien ministre de la transition écologique et solidaire, rappelant que l’« on assiste en spectateurs surinformés à la gestation de la plus grande catastrophe de l’humanité », a répondu sans langue de bois aux nombreuses questions de son audience.
Les mesures incontournables à prendre ? « Ne pas ratifier le CETA [le traité de libre-échange avec le Canada]. » La taxe carbone ? « La fiscalité écologique, j’y suis favorable, mais si vous ne redistribuez pas derrière les recettes de la taxe carbone à ceux qui en ont le plus besoin, c’est irrecevable. » Le ministère de l’écologie est-il encore utile ? « Il aurait fallu avoir un vice-premier ministre à l’écologie pour avoir de l’autorité sur les autres ministres », a-t-il lancé, taclant ses anciens collègues à l’agriculture et à Bercy.

« Cartes sur table »


Le premier ministre Edouard Philippe à la Convention citoyenne pour le climat, le 4 octobre à Paris.
Le premier ministre Edouard Philippe à la Convention citoyenne pour le climat, le 4 octobre à Paris. IAN LANGSDON / POOL / AFP

Plus tard, les citoyens réunis dans le groupe de travail « se déplacer » débriefaient l’intervention de Nicolas Hulot. « J’ai été rassurée », disait l’une d’entre eux. « Il a mis cartes sur table », abondait un autre. « S’il s’est cogné à un mur, je me demande où on peut aller, nous », s’interrogeait un troisième. Certains y voyaient la confirmation que « la voiture électrique ne peut être qu’une solution transitoire », d’autres que le ferroutage « est trop peu développé ».
Le travail des « 150 » est loin de se résumer aux sessions organisées par la convention. Ils sont nombreux à poursuivre les discussions sur des groupes Facebook ou WhatsApp ou à se retrouver dans leur région. « Ma vie tourne beaucoup autour de l’écologie en ce moment, reconnaît Grégoire Fraty, 31 ans, secrétaire général chargé de la formation professionnelle dans une association près de Caen (Calvados). J’ai rencontré mon maire, mon député, des acteurs de terrain. Je multiplie les lectures que l’on me conseille. »
Même engagement du côté de Myriam Lassire, 48 ans, conductrice de navettes à la raffinerie de Feyzin (Rhône), qui ne rate pas une occasion de parler de la convention autour d’elle. « Je ne pensais pas que la planète était aussi atteinte. Il faut trouver des solutions pour alerter les gens, dans les écoles, les facs, les usines. » Comme beaucoup d’autres, elle regrette toutefois de « n’avoir pas suffisamment de temps pour débattre, alors que tout est chronométré ». Les citoyens ont ainsi demandé à pouvoir travailler un week-end de plus, après la date prévue de fin des travaux, le 26 janvier 2020. Une question qui sera « examinée avant Noël », selon Thierry Pech, coprésident avec Laurence Tubiana du comité de gouvernance de la convention.

« Sans filtre »

Pressés par le temps, les participants ont ainsi renâclé à l’idée de devoir, dès cette troisième session, définir des pistes prioritaires. Dans les ateliers, nombreux étaient ceux qui voulaient présenter l’ensemble des propositions en chantier, soit près d’une centaine au total. « Vous avez le sentiment d’être contraints, vous devez travailler vite », a concédé Laurence Tubiana, lors de sa conclusion, dimanche. « C’est dur de choisir, mais rien ne sera perdu », a-t-elle insisté, en félicitant les participants d’avoir « pris les commandes ». Cette liste de propositions devrait émerger plus concrètement lors du prochain week-end de travail, les 6, 7 et 8 décembre.
Elles devraient être soumises « sans filtre », c’est-à-dire sans intervention du gouvernement, au vote du Parlement, à référendum ou traduites en mesures réglementaires, selon les promesses d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe. « Le doute que j’ai, ce n’est pas votre volonté, c’est ce qui peut sortir de structurant en quatre, cinq, six sessions », s’est interrogé Nicolas Hulot, appelant à « pérenniser » cette expérience. Le gouvernement a « tout à perdre si cela se termine par une déception de votre part ».
Vous avez été tirés au sort et avez accepté de construire notre avenir en relevant son plus grand défi : lutter contre le changement climatique. Bravo pour votre engagement ! Et merci pour votre invitation, je participerai à la Convention citoyenne pour le climat en janvier.

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Sans aucun doute, cette question du sort qui sera réservé à leurs préconisations sera évoquée lors de l’audition du chef de l’Etat. Emmanuel Macron a en effet répondu favorablement, sur son compte Twitter, à l’invitation qui lui a été faite de venir devant les 150 citoyens de la convention. « Vous avez été tirés au sort et avez accepté de construire notre avenir en relevant son plus grand défi : lutter contre le changement climatique. Bravo pour votre engagement ! », a-t-il écrit en annonçant sa venue pour janvier 2020. Un message plutôt bien reçu. Sous réserve, précisaient de nombreux citoyens soucieux de garder la main sur la convention, que sa venue se fasse à leurs conditions.

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