mercredi 20 novembre 2019

Au lycée, le choc des mathématiques pour les élèves de 1re

Pour ceux qui suivent cette matière comme enseignement de spécialité – elle a disparu du tronc commun avec la réforme – les résultats dégringolent contrôle après contrôle.
Par   Publié le 20 novembre 2019
COLCANOPA
Leurs professeurs les avaient prévenus mais pour Tiara, Jeanne et Lubin, le choc est rude. Certes, ils sont entrés en 1re, un palier dans la scolarité où, les enseignants en conviennent, les notes chutent toujours un peu. Mais pour ces élèves qui n’imaginaient pas abandonner les mathématiques – elles ont disparu du tronc commun avec la réforme du lycée – et qui suivent cette matière comme enseignement de spécialité, les résultats dégringolent contrôle après contrôle. Certains, comme Tiara, ont un profil d’« ancien ES » : ils ont opté pour un parcours comprenant des mathématiques et des sciences humaines. D’autres, comme Jeanne, ont reconstitué la filière S – mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la terre (SVT), mais ne s’en sortent pas non plus.
« Avant, j’avais 19 de moyenne en maths sans vraiment travailler, affirme Tiara, scolarisée au lycée Joliot-Curie de Sète (Hérault). Mais cette année, je suis tombée à 10 de moyenne alors que je fais des efforts. » La jeune fille a un profil de bonne élève : ses premières notes dans les autres spécialités tournent autour de 15 ou 16 de moyenne, en histoire-géographie comme en sciences économiques et sociales (SES). « La matière est conçue pour de vrais scientifiques, d’ailleurs notre prof nous le dit tout le temps », s’inquiète Tiara, qui a choisi les mathématiques sans avoir de projet d’orientation clair.

« Elever le niveau » des élèves français

Dès la publication du projet de programme, à l’automne 2018, les enseignants s’étaient inquiétés d’une spécialité maths pensée pour de « vrais » scientifiques qui ne correspondrait pas aux filières postbac comme « le journalisme, le commerce, professeur des écoles, bref, tous ces métiers où il faut avoir fait des maths sans être un spécialiste, s’inquiète Michel Imbert, professeur de mathématiques au lycée Aristide-Bergès de Seyssinet-Pariset (Isère). Ce ne sont pas des maths appliquées, mais un programme où l’enjeu est de démontrer des choses, juge l’enseignant. Beaucoup d’élèves n’ont pas la capacité d’abstraction pour cela. »
Pour Sébastien Planchenault, président de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP), le programme de 1re est « aussi ambitieux que l’ancien programme de S, voire plus ». Il relève du « catalogue de notions sans cohérence entre elles » dans lequel une partie des élèves se sont vite perdus. A la nécessité d’aller vite pour couvrir toutes les notions s’ajoute « l’exigence des niveaux de démonstration et de raisonnement, clairement tournés vers l’ancienne filière S ».
Dès le 29 septembre, l’APMEP avait fait part de ces difficultés au ministre de l’éducation nationale dans une lettre ouverte. L’association y dénonçait un programme « trop lourd pour des élèves qui ont besoin d’une culture mathématique sans devenir experts ». L’institution, de son côté, a toujours assumé d’avoir créé une spécialité exigeante, avec l’objectif « d’élever le niveau » des élèves français. Une option « maths expertes », encore plus pointue, sera d’ailleurs proposée en terminale aux élèves se destinant à des parcours scientifiques.

« J’abandonnerai en terminale »

A ce stade de l’année, plusieurs des lycéens interrogés disent avoir recours à des leçons supplémentaires. C’est le cas de Lubin, scolarisé au lycée Jules-Haag de Besançon. « Mon fils n’a jamais été un cador en maths, concède son père. Mais là, il est carrément en train de se décourager. » Lubin voudrait faire une école de commerce ou du journalisme. « Au début de l’année, je voulais arrêter, raconte-t-il. Et puis j’ai décidé de m’accrocher, parce que j’ai besoin des maths pour la suite. Mais c’est sûr que j’abandonnerai en terminale. »
Jeanne, qui envisageait jusqu’ici une école d’ingénieurs, se voit déjà garder la SVT en terminale pour pouvoir arrêter les maths. « Pourtant, c’était la SVT que je comptais abandonner », confie cette élève du lycée Alfred-Kastler de Guebwiller (Haut-Rhin). Son père s’inquiète : « Il y a toujours une petite marche entre la 2de et la 1re, mais là, on est bien au-delà. Les résultats de ma fille sont en décrochage complet dans cette matière par rapport au reste. »
Alors que le premier trimestre s’achève, la plupart des élèves en difficulté souhaitent, comme Jeanne et Lubin, laisser tomber les mathématiques l’année prochaine – l’une des spécialités doit, en effet, être arrêtée entre la 1re et la terminale. A l’APMEP, on assure que de nombreux enseignants ont déjà des élèves qui souhaitent abandonner. Sébastien Planchenault fait part de son inquiétude : « J’ai des collègues qui, sur un groupe de vingt-deux, ont déjà six élèves qui veulent arrêter. »
Sur ce point, l’éducation nationale se veut rassurante. « Mécaniquement, toutes les spécialités perdront des élèves entre la 1re et la terminale, puisqu’ils passeront tous de trois à deux spécialités, rappelle Edouard Geffray, le directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), qui rappelle que 69 % des élèves de 1re ont choisi les maths cette année, alors qu’ils étaient 51 % à s’orienter en 1re S avant la réforme. Certains ont peut-être voulu “jouer la sécurité” et ne poursuivront pas l’année prochaine. Mais c’est simplement la manière normale de choisir pour mener son parcours dans le nouveau lycée. »

« Les attendus ont changé »

Mais, si les élèves sont si nombreux à avoir choisi les maths, c’est aussi parce que la matière a la réputation d’être « essentielle » pour la suite des études.
La grande majorité des élèves interrogés disent avoir été « prévenus » que le programme était difficile, mais ils affirment aussi que parents et enseignants leur ont fortement conseillé ce choix. « Le prof principal a beaucoup insisté », raconte Tiara. « Les mathématiques, on nous a toujours dit que c’était important », confirment les parents de Jeanne.
Faudra-t-il alors mieux informer les familles sur les attendus du supérieur ? « Il y a un enjeu de clarification, concède Edouard Geffray. Pour faire médecine ou école de commerce, par exemple, l’option maths complémentaire en terminale suffit. Une partie de l’inquiétude vient du fait que les familles se projettent sur l’ancien modèle, où il fallait avoir fait une filière S complète pour atteindre tel ou tel métier. Mais les attendus ont changé. »
En attendant, l’APMEP s’inquiète de l’accumulation de frustrations pour les enseignants et leurs élèves. « Nous proposons l’instauration d’une deuxième spécialité maths plus légère, précise Sébastien Planchenault. Car en l’état, aucune proposition n’existe pour ceux qui veulent faire des maths sans devenir des spécialistes. »

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