jeudi 24 octobre 2019

Le pape prêt à faire une croix sur le célibat des prêtres

Par Bernadette Sauvaget, envoyée spéciale à Rome — 
Le pape François, mercredi au Vatican.
Le pape François, mercredi au Vatican. Photo VINCENZO PINTO. AFP

Pour lutter contre la pénurie de curés en Amazonie, deux sujets sont débattus jusqu’à samedi au Vatican : l’ordination d’hommes mariés et l’attribution de «ministères» aux femmes. Une révolution au sein de l’Eglise catholique, qui pourrait inspirer d’autres épiscopats.


Plumet rouge sur le casque, les deux gardes suisses montent imperturbablement la garde devant le hall d’entrée de la salle du synode, au Vatican. Quand passent les cardinaux, évêques et experts, ils exécutent une sorte de salut militaire. Le geste est bref mais soigné. Le catholicisme vit ces jours-ci au Vatican un moment historique car il débat de deux questions qui étaient jusqu’à présent de véritables tabous : l’accès à la prêtrise d’hommes mariés et les «ministères» féminins, autrement dit le rôle officiel que l’on pourrait attribuer aux femmes. Que la discussion ait lieu est en soi une révolution culturelle tant le célibat des prêtres et le pouvoir masculin structurent l’Eglise catholique. Aucune autre religion - et même confession chrétienne - n’impose de telles règles à ses ministres du culte. «C’est l’effet François, estime un expert du Vatican. Ce pape a libéré la parole.» A terme, il n’est donc plus exclu que les femmes puissent être ordonnées diacres, le grade juste en dessous de prêtres. Elles pourraient, par exemple, procéder à des baptêmes et célébrer des enterrements. Mais pas la messe, cérémonie centrale dans la piété catholique. Que des hommes mariés (des viri probati dans le latin de l’Eglise : des hommes expérimentés et exemplaires) deviennent, eux, prêtres pourrait être autorisé. Prudent, François a quand même limité (pour le moment) ces deux options à l’Amazonie. Mais c’est une brèche dans laquelle d’autres pourraient s’engouffrer…

Depuis le 6 octobre et jusqu’à samedi se tient donc un synode (c’est-à-dire une assemblée extraordinaire) centré sur les problèmes de l’Amazonie. Voulu par François, c’est un concentré de son pontificat, mettant en avant les priorités qu’il s’est données : l’écologie, la défense des minorités (les droits des peuples indigènes en l’occurrence), une critique virulente d’une économie mondiale prédatrice fabriquant de la pauvreté et des désastres écologiques. Une critique aussi de son Eglise qu’il juge trop cléricale, trop mondaine et pas suffisamment proche des pauvres.

Concurrence des évangéliques

Mais pourquoi débattre de l’ordination d’hommes mariés et des ministères féminins au synode sur l’Amazonie ? A cause du manque criant de prêtres en fonction sur cet immense territoire. Et du rôle éminent qu’y jouent les femmes dans l’animation des communautés catholiques, comme le catéchisme auprès des enfants, les discussions sur l’Evangile. Ce qui de fait mériterait, au minimum, reconnaissance. Sur place, le contingent des missionnaires occidentaux a chuté drastiquement, laissant un grand vide. «70 % à 80 % des communautés chrétiennes souffrent d’un manque d’accès aux sacrements», expliquait, il y a quelques semaines, le cardinal brésilien Claudio Hummes, rapporteur du synode, fidèle parmi les fidèles du pape François. Un des participants aux débats remarquait également que des régions grandes comme la moitié de l’Italie ne disposaient que d’une soixantaine de prêtres. «Nous assistons à une véritable déforestation de la culture catholique», estime un expert.
Si l’Eglise catholique veut maintenir sa présence en Amazonie, elle est donc condamnée à trouver des solutions audacieuses. Dans la région amazonienne, à l’instar d’une grande partie de l’Amérique latine, le catholicisme fait aussi face à une très rude concurrence des évangéliques. L’enjeu est de taille : à terme, l’Eglise catholique est menacée dans son statut de religion majoritaire. «C’est un défi», reconnaît, du bout des lèvres, l’un des assistants au synode. La question est donc cruciale. Certes, elle n’est pas abordée de front (sans doute pour ne pas donner l’impression de déclarer ouvertement la guerre aux évangéliques) mais elle est en filigrane des discussions. Là aussi, c’est une première pour le catholicisme. Comment peut-il contenir la montée en puissance des évangéliques ? Quant au manque criant de prêtres, la situation de l’Amazonie n’est pas, en soi, une exception. C’est ce qu’a fait remarquer le cardinal autrichien Christoph Schönborn pendant le synode. Des pays comme la France sont sur le point de connaître une chute drastique du nombre de curés catholiques. Dans l’Hexagone, les zones rurales en sont déjà largement dépourvues. Mais l’épiscopat français est loin d’être en pointe sur la question de l’ordination de prêtres mariés, contrairement à l’Allemagne ou à la Belgique, où les évêques suivent de très près ce qui se joue à Rome ces jours-ci.

«La porte est toujours ouverte»

Le pape et ses alliés (des cardinaux latino-américains mais aussi européens tel que l’Allemand Reinhard Marx) envisagent l’Amazonie comme une sorte de laboratoire. Mais il reste peu de temps au jésuite argentin, élu en mars 2013 et qui fêtera ses 83 ans le 17 décembre. «Nous avons encore deux ans pour faire nos révolutions», affirmait, il y a peu, un cardinal latino-américain, l’un de ses proches conseillers. Sur l’affaire des viri probati et des ministères féminins, le pape est prudent. Et en bon jésuite, il avance sans dévoiler toutes ses cartes. Début 2019, dans l’avion qui le ramenait des Journées mondiales de la jeunesse qui avaient eu lieu au Panamá, il avait pris garde d’affirmer son attachement personnel à la discipline du célibat. «Je crois que c’est un don pour l’Eglise», disait-il. Et d’ajouter aussitôt : «Comme ce n’est pas un dogme de foi, la porte est toujours ouverte.»
L’ordination d’hommes mariés est un énorme casus belli au sein du catholicisme. Majoritairement, les prélats y sont plutôt opposés. Les rangs conservateurs, déjà très critiques à l’égard de ce pontificat qu’ils trouvent politiquement trop à gauche, se sont déjà braqués. Les ennemis de François voulant encore croire que cela ne se ferait pas. Au cours des discussions à Rome, le pape a pris la mesure de l’opposition de la curie romaine. Plusieurs cardinaux qui assistent au synode se sont déclarés contre l’ordination d’hommes mariés y compris du côté des alliés de François, comme le Ghanéen Peter Turkson à qui il a confié un dicastère (un ministère) chargé du développement humain intégral… une création du pape.
Le synode sur l’Amazonie qui va finaliser son document samedi, n’a pas la latitude de prendre la décision mais de faire des propositions au pape. La balle sera ensuite dans son camp. Son homélie, qu’il prononcera à la messe de clôture dimanche, est pour le moins très attendue. Lui-même formalisera ses décisions au printemps. A ce moment-là, les évêques allemands auront déjà entamé leurs discussions.

Effet cliquet

A Rome, plusieurs observateurs soufflent que le pape hésite encore à franchir le pas à cause d’un risque de schisme. Fin politique, le jésuite argentin pourrait plutôt donner le change pour ne pas trop braquer ses opposants, laissant croire qu’il réfléchit encore, tant la révolution des hommes mariés bousculerait l’Eglise catholique. Quoi qu’il en soit le dispositif semble prêt pour qu’il y ait un effet cliquet. En clair, que d’autres épiscopats ne fassent, à leur tour, leur révolution après l’Amazonie. Mais de toute évidence pas en France… Du moins pas avant longtemps ! «L’ordination d’hommes mariés serait un acte décisif, conclut sous couvert d’anonymat un théologien français, très au fait des arcanes du Vatican. Car il ferait entrer le pontificat de François dans l’histoire.»

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