lundi 9 septembre 2019

« Seule l’amélioration des conditions d’accueil offre l’espoir de diminuer le risque de psychose chez des migrants »





Après l’agression de passants à Villeurbanne par un réfugié afghan déséquilibré, deux chercheuses rappellent, dans une tribune au « Monde », que le risque de troubles psychiatriques est deux à trois fois plus élevé chez les migrants que dans le reste de la population.

Publié le 9 septembre 2019

A Villeurbanne (Rhône), le 31 août 2019.
A Villeurbanne (Rhône), le 31 août 2019. PHILIPPE DESMAZES / AFP
Tribune. Le 31 août, survenait à Villeurbanne (Rhône) une tragique agression de passants par un jeune homme originaire d’Afghanistan, protégé par la France au titre de l’asile, au cours de ce qui apparaît comme une bouffée délirante. Comme à chaque évènement similaire, le débat sur la dangerosité des personnes atteintes de troubles psychiatriques et les moyens de prévenir des drames de ce genre a été relancé. Mais cette fois, du fait de la nationalité et du parcours du suspect, s’y ajoute une controverse sur le risque de troubles psychiques chez les personnes migrantes.
Quel est l’état des connaissances sur les migrations et la santé mentale ? Les recherches menées dans différents pays indiquent sans équivoque que, par rapport aux « natifs » (c’est-à-dire non-migrants), les personnes migrantes ou appartenant à un groupe ethnique minoritaire (par exemple, les Britanniques originaires des Antilles) ont un surrisque de troubles psychiatriques, notamment de psychose, comme le démontre une étude conduite dans six pays d’Europe.

Il n’est pas rare que les troubles psychotiques se développent des années après la migration
Actuellement, on parle beaucoup des violences subies au cours de parcours migratoires longs et complexes et des traumatismes psychiques qui peuvent en découler, mais les études montrent que les conditions d’installation et d’intégration dans le pays d’accueil jouent un rôle clé. La personne ayant commis l’agression de Villeurbanne le 31 août est arrivée en France en 2009, avant d’être enregistrée en Italie en 2014, en Allemagne en 2015, en Norvège en 2016, puis de nouveau en France en 2016, suggérant une période d’attente très longue avant l’obtention d’un statut administratif stable. Cette situation est concordante avec les recherches qui montrent que des conditions de vie défavorables et instables, ainsi que l’isolement relationnel, contribuent à des décompensations psychiatriques. Un autre facteur de risque important sont les discriminations dont font l’objet les personnes migrantes et leurs descendants. Il n’est pas rare que les troubles psychotiques se développent des années après la migration.

Repérer les personnes les plus fragiles

En France, deux études récentes – une sur les premiers contacts avec la psychiatrie publique et la seconde sur les admissions pour épisode psychotique en région parisienne – ont montré un risque de psychose deux à trois fois plus élevé chez les migrants que chez les natifs. Une proportion importante des patients migrants n’avait pas de titre de séjour ou de logement stable. L’enquête Samenta, menée en 2009, a montré que parmi des personnes sans abri, les étrangers ont tendance à avoir des symptômes psychotiques s’ils ont vécu des expériences négatives peu de temps avant, alors que chez les natifs, les expériences dans l’enfance jouent un rôle plus important, comme l’ont montré les travaux de l’une d’entre nous.
Enfin, il faut également souligner des inégalités criantes d’accès aux soins de santé mentale. Une récente étude du groupement hospitalier universitaire (GHU) psychiatrie et neurosciences Paris montre que, par rapport aux natifs, les migrants sont plus souvent hospitalisés que soignés en ambulatoire, ce qui indique une prise en charge dans un état de crise. Ils ont également une probabilité plus élevée d’être hospitalisés sous contrainte. Les personnes migrantes soignées en psychiatrie publique sont quatre fois plus souvent sans-abri, n’ont pas de ressources économiques et sont huit fois plus souvent dans une situation d’absence de droits à la sécurité sociale.
Après une première hospitalisation pour psychose, 20 % (contre 7 % des natifs) ne maintiennent pas de suivi psychiatrique, par isolement et instabilité résidentielle. Ces résultats révèlent des barrières importantes à un accès aux soins adapté : méconnaissance des problématiques de santé mentale et de l’organisation du système de santé français, insuffisance de l’interprétariat, difficultés pour les équipes soignantes à améliorer des conditions de vie précaires et instables des personnes.
L’attaque de Villeurbanne montre la difficulté à identifier des personnes pouvant basculer sur le plan psychique, même si la consommation de cannabis – dont on connaît les liens avec la survenue d’épisodes psychotiques – aurait pu sonner l’alerte. Des bilans psychologiques pour les demandeurs d’asile pourraient aider à repérer les personnes les plus fragiles, mais seule l’amélioration des conditions d’accueil, c’est-à-dire l’accès rapide à un statut administratif, un logement stable, des cours de langue, une formation et un emploi, offre l’espoir de diminuer le risque de psychose chez des migrants.
Maria Melchior, chercheuse à l’Inserm, et Andrea Tortelli, chercheuse au GHU Paris, sont toutes deux affiliées à l’Institut convergences migrations

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