jeudi 22 août 2019

Disparition de Marie Claire Boons-Grafé

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Bulletin de la SIHPP 

21 août 2019

Chers amis 
Nous venons d'apprendre la disparition de Marie Claire Boons-Grafé, figure attachante de la psychanalyse et membre de la SIHPP. Vous trouverez ci-dessous un texte dans lequel Elisabeth Roudinesco revient sur les grands moments d'une vie marquée par une aventure intellectuelle et politique hors du commun.
Bien à vous 
Henri Roudier
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Marie Claire Boons-Grafé (1925-2019)

Née le 22 août 1925 à Haine Saint-Pierre, et issue de la grande bourgeoisie belge catholique et industrielle, Marie Claire Boons-Grafé, auteure de nombreux livres et articles, était une grande dame de la psychanalyse, élégante, raffinée, non conformiste et excellente clinicienne, ouverte à toutes les aventures politiques, intellectuelles et psychanalytiques de la deuxième moitié du XX-ième siècle. Elle est morte à son domicile parisien le 13 août 2019, à l’âge de 94 ans. Elle est toujours restée membre de la SIHPP. Malgré toutes les insultes, elle n’avait jamais renié son engagement maoïste à l'Union des communistes de France marxiste-léniniste (UCF-ML, 1969-1985) aux côtés de son ami de toujours, Alain Badiou. Elle racontera cette expérience singulière dans un livre collectif (C’est terrible quand on y pense, Galilée, 1983).

Elevée par les sœurs dans une école catholique, elle traverse dans son adolescence un épisode mystique avant de suivre des études de psychologie à l’Université libre de Bruxelles. Une fois sa licence obtenue, elle se rend à Paris et poursuit un cursus classique à la Société psychanalytique de Paris, notamment sur le divan de Conrad Stein, entre 1961 et 1963. En 1961, elle épouse le linguiste Jean Paul Boons, d’abord élève de Roland Barthes puis intégré au Laboratoire d’automatique documentaire et linguistique (LADL) de Maurice Gross (1934-2001). Elle conservera ce nom dans ses écrits. Après quelques stages à l’hôpital Sainte-Anne et à la Salpêtrière, où elle rencontre les grands représentants de la psychiatrie de secteur, elle est engagée comme psychologue au Centre de santé mentale du XIII-ième arrondissement de Paris, fondé par Serge Lebovici et René Diatkine. Elle y reste pendant neuf ans. 
C’est au contact du maoïsme qu’elle découvre en 1968 l’importance de la pensée lacanienne, ce qui lui permet aussi de rencontrer tous les tenants de l’intelligentsia littéraire des années 1970, et notamment les écrivains du groupe Tel Quel (Philippe Sollers et Julia Kristeva). Elle participe à l’expérience inouïe de l’Université de Vincennes-Paris VIII, comme chargée de cours au département de philosophie. C’est là, au département de sciences de l’éducation, et deux ans après avoir acquis la nationalité française, qu’elle soutiendra sa thèse de doctorat de 3éme cycle (1988) sous la direction de l’historien Georges Vigarello avec pour titre : L’entrée dans l’ordre symbolique et la constitution du sujet dans la théorie lacanienne.
Eloignée de tout sectarisme, alors même qu’elle fréquentait toutes les           avant-gardes de l’époque, elle prend part après 1975 aux réunions de Confrontation, mouvement initié par René Major qui obtient un succès foudroyant en s’inspirant de la pratique derridienne de la déconstruction. Pendant plusieurs années, Major rassemble autour de lui, toute la jeunesse psychanalytique française, soucieuse de sortir des impasses où l’avaient plongée les querelles de chapelles entre les aînés. C’est alors que Marie Claire Boons s’engage dans la lutte contre les juntes militaires des pays du continent latino-américain. 
Et c’est dans cette perspective qu’il faut lire le récit de cure qu’elle publie dans un livre collectif d’inspiration maoïste intituléMarxisme-léninisme et psychanalyse (collection Yenan, Maspero, 1975). Dans ce récit qui porte en titre « Quand un analyste rencontre un guérillero : fusil et divan », elle retrace dans un vocabulaire, certes daté, mais sans charabia, l’histoire d’un jeune guérillero clandestin, saisi d’angoisses et d’insomnies, et incapable de mener à bien ses activités révolutionnaires. 
L’organisation s’est adressée à elle en proposant de payer la cure du jeune homme. Après hésitation, elle accepte et au cours du travail, elle se pose un problème essentiel à toutes les associations psychanalytiques soumises à des régimes de dictature : peut-on mener une cure dans de telles conditions, alors même que l’analyste et son patient risquent d’être à tout moment arrêtés par la police ?
Elle déduit de cette expérience que l’analyste « doit intégrer dans son écoute la réalité du mouvement révolutionnaire comme réalité historique autonome par rapport au fantasme. » Elle ne cessera ensuite de s’intéresser au problème de la vérité et du savoir dans la cure, à la question de la différence des sexes et du féminisme et enfin aux relations entre militantisme et psychanalyse.
En 1994, Marie Claire Boons adhère à l’Ecole de psychanalyse Sigmund Freud (EPSF), petite association issue de l’ancienne Ecole freudienne de Paris (1964-1980) où elle poursuit une cure avec Jean Guy Godin, auteur d’un livre consacré à sa propre analyse avec Lacan (Jacques Lacan, 5 rue de Lille, Seuil 1990). Deux ans plus tard, elle expérimente la Passe, encore une manière de s’initier à une nouvelle aventure psychanalytique.
  Dans son autobiographie, Le pas aveugle : une femme, l’amour et la psychanalyse (Denoël, 2008), elle n’hésite pas à raconter, non seulement ses séances d’analyse, mais son histoire de femme libre des années 1960, partagée entre deux villes – Paris et Bruxelles – et deux hommes, un mari et un amant, au cœur de cette effervescence intellectuelle dont elle aura été un témoin majeur.

Elisabeth Roudinesco, présidente de la SIHPP

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