jeudi 25 juillet 2019

Sans-abri : «Les gens s’imaginent parfois plus autonomes qu’ils ne le sont»

Par Kim Hullot-Guiot — 

Alors que le Samu social de Paris lance ce mercredi un appel aux dons, Thomas Baude, coordinateur de la mission Interface, raconte les difficultés rencontrées lors de l’accompagnement des sans-abri de plus de 60 ans.

Le Samu social de Paris lance ce mercredi une campagne d’affichage intitulée «Aidons-les à vieillir dans la dignité», visible jusqu’au 27 août, ainsi qu’un appel aux dons, afin de financer une mission dédiée aux personnes âgées à la rue. Travailleur social et coordinateur du programme Interface, Thomas Baude revient sur l’action de l’organisme à l’attention des personnes sans domicile fixe de plus de 60 ans.

Avant la mise en place d’Interface en 2017, il n’y avait pas de programme spécifique pour les SDF vieillissants ?
Il existe des centres d’hébergement pour les personnes de plus de 45 ans, mais c’est assez rare. On s’est rendu compte en 2017 que les travailleurs sociaux maîtrisaient mal les sujets du vieillissement et les issues possibles vers des résidences-services, des foyers, des logements, et aussi que les gens plus âgés restaient un peu plus longtemps que les autres en centre d’hébergement. On s’est également aperçu qu’à Nantes, il y avait depuis dix ans une mission Interface, adossée au système local de réservation des places dans les centres d’hébergement, qui accompagnait les personnes vers les dispositifs adaptés. On s’en est donc inspiré, pour faire le lien entre la personne, le travailleur social du centre d’hébergement et celui de la résidence ou de l’Ehpad qui va accueillir la personne.
Combien de gens accompagnez-vous ?
Nous suivons 250 personnes depuis deux ans. Parmi elles, 40 ont terminé la démarche et vivent dans un logement pérenne. C’est arrivé une seule fois que ça ne marche pas, avec un monsieur qui était tellement habitué à la rue qu’il ne rentrait plus à l’Ehpad le soir. On partait à sa recherche dans les rues de Paris…
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Dans les établissements, il existe parfois une petite réticence à accompagner ce public, qui souffre d’une mauvaise image. Il y a la peur de l’incurie, d’accueillir des personnes désocialisées, qui troubleraient le collectif. Les sans-abri ont un peu plus de problèmes d’addictions, mais comparé au public général des Ehpad et des résidences-services, finalement, c’est assez équivalent à d’autres problèmes liés à l’âge, comme le syndrome de Diogène [trouble du comportement qui conduit à des conditions de vie négligées, dont l’accumulation compulsive, ndlr] que d’autres gens de la résidence peuvent avoir.
Y a-t-il également des réticences du côté des personnes que vous accompagnez ?
Pour certains, les démarches peuvent être vécues comme très intrusives. Par exemple, pour financer une résidence sociale pour seniors, c’est habituellement l’aide sociale à l’hébergement qui paye tout ou partie du loyer. C’est ce qu’on appelle une aide de dernier recours : avant que l’Etat ou le département ne paye, ils vérifient si la famille est en mesure de le faire. Mais la quasi-totalité des gens qu’on accompagne sont en rupture familiale. Pour eux, cela peut être compliqué de mettre leurs enfants au courant des démarches qu’ils font. Pour vérifier les ressources (minimum vieillesse ou retraite), on demande aussi le relevé bancaire - tout le monde dispose au moins d’un livret A - et certains trouvent intrusif qu’on sache qu’ils ont 5 000 ou 10 000 euros dessus. Ce sont les économies de toute une vie. Il y a un décalage avec l’image qu’ils présentent, de gens très précaires, et les économies qu’ils ont, ça les met mal à l’aise. Dans tous les cas, l’Etat se sert d’abord sur le compte en banque avant de payer.
Comment se découpe l’accompagnement ?
Il peut durer d’un mois à plusieurs années. Pour définir le projet, il faut beaucoup de discussions avec les gens, qui ont parfois un fantasme sur le logement et s’imaginent plus autonomes qu’ils ne sont. On organise beaucoup de visites en résidences-services pour qu’ils puissent se projeter, comme les travailleurs sociaux. On réunit des documents, ce qui peut durer plus ou moins longtemps selon la capacité de la personne à s’investir dans la démarche. Et pour chaque place disponible dans une résidence ou un logement, une commission classe les dossiers par ordre de priorité, d’urgence sociale.
Lorsque la personne arrive dans son nouveau domicile, je vais la voir disons une fois par semaine. On va boire un café, on fait en sorte qu’elle s’accommode à son nouveau quartier. Ça la rassure et ça assure une continuité de l’accompagnement. Puis j’espace les rencontres quand le lien avec le travailleur social de la résidence ou de l’Ehpad, où on oriente plutôt ceux dont les difficultés somatiques sont importantes, s’est fait.

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