mardi 4 juin 2019

Plaidoyer pour les «fous»

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QUEBEC

Sophie Chartier   3 juin 2019

Les patients psychiatriques sont tenus «tranquilles» par une camisole chimique médicamenteuse, déplore Sadia Messaili.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les patients psychiatriques sont tenus «tranquilles» par une camisole chimique médicamenteuse, déplore Sadia Messaili.
Dans un Québec où les électrochocs sont toujours utilisés pour traiter certains troubles de santé mentale — 11 045 ont été administrés en 2017 dans la province —, les patients ont-ils réellement leur mot à dire dans le processus de leur rémission ? Non, déplore Sadia Messaili, auteure du témoignage Les fous crient toujours au secours et mère de Ferid, jeune homme diagnostiqué schizophrène, décédé en 2013.
La demeure de « Madame Sadia » — comme l’appellent ses élèves —, logée dans un immeuble typique du quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal, est moderne, récemment rénovée. L’espace est ouvert et aéré. Sur les étagères sont exposées des photos de ses trois enfants, y compris de son aîné, Ferid, à différents âges. Comme chez toute mère aimant être entourée au quotidien des images de sa famille. À la différence que Ferid, atteint de schizophrénie, a mis fin à ses jours en 2013 dans la foulée d’un parcours particulièrement traumatisant dans le système de santé public.

Fin avril, Mme Messaili faisait paraître Les fous crient toujours au secours, témoignage poignant d’une mère endeuillée et récit de ce qu’elle considère comme un exemple d’échec en matière de santé mentale.
Question de confiance
En 2009, un premier épisode psychotique se déclenche chez Ferid. Ses psychiatres lui prescrivent du Zyprexa, un antipsychotique qui lui fait prendre beaucoup de poids et le rend léthargique — « il faut voir des vidéos de gens qui prennent ce médicament, de vrais zombies ! ». Il cesse la médication. Il arrive ensuite à vivre assez bien pendant trois ans et maintient un état stable, un jour à la fois. Survient ensuite une nouvelle crise, dans laquelle Ferid se voyait comme le Christ.
Entre délires messianiques et discours sensés, le jeune homme se rend de son plein gré à l’hôpital. Diagnostic précipité, effets secondaires gardés secrets, attitude cavalière, culpabilisation et travailleuse sociale passive-agressive sont quelques-unes des tares que Sadia Messaili énumère pour décrire le périple de son fils dans les dédales de la psychiatrie. En 2013, en proie à une souffrance innommable, l’homme de 32 ans se rend avec sa mère à l’urgence. On le renvoie chez lui avec l’instruction de revenir le lendemain. C’est à ce moment qu’il perd tout espoir, croit-elle.
Écouter les malades
Après des années d’effondrement, l’enseignante au primaire a enfin repris le dessus sur sa vie. Son ton est ferme, presque inquisiteur. « L’ancien ministre de la Santé, M. [Gaétan] Barrette, disait en 2016 ou 2017 qu’il allait injecter plus d’argent pour les soins, se rappelle-t-elle. Mais ce n’est pas une question d’argent. C’est qu’historiquement, les fous, les personnes qui ont des troubles mentaux, n’ont pas de pouvoir. Il faut le leur restituer. Ça, ça veut dire qu’ils peuvent décider pour eux-mêmes. »
Complètement dépouillés de leur libre arbitre, les patients psychiatriques sont tenus « tranquilles » par une camisole chimique médicamenteuse, déplore Sadia Messaili. Et elle en veut à l’autorité monolithique des médecins qui imposent cette solution. « Mon fils s’est présenté de lui-même, insiste-t-elle, tapant la table du bout de l’index. Il avait donc une volonté. Il faut leur demander “de quoi penses-tu avoir besoin ?”»
Une histoire des fous
Dans Histoire de la folie à l’âge classique, sa thèse publiée en 1961, le philosophe Michel Foucault remontait le courant de l’histoire pour brosser le portrait des sociétés occidentales à travers leur traitement des « fous ». La folie, soutient-il, n’a pas toujours été la chasse gardée du domaine médical, et la psychiatrie ne naît qu’au XIXe siècle. Au Moyen Âge, par exemple, les fous sont intégrés à la vie sociale. « Il y avait une époque, je ne saurais dire à quel siècle, où les personnes avec des troubles de santé mentale avaient des thérapies, de la musique, on les laissait aller dans la nature, s’exclame Mme Messaili. Aujourd’hui, ça arrange tout le monde : on ne va plus enfermer et les nourrir, comme à l’époque des asiles, parce que ça coûte de l’argent. On les médicamente. »
 [...] Historiquement, les fous, les personnes qui ont des troubles mentaux, n’ont pas de pouvoir. Il faut le leur restituer. Ça, ça veut dire qu’ils peuvent décider pour eux-mêmes.
Le titre de son livre est un clin d’oeil au témoignage de Jean-Charles Pagé, Les fous crient au secours!, paru en 1961. Dans cet ouvrage, l’auteur, un jeune homme de 28 ans alcoolique, vendeur d’assurances, raconte comment il s’est réveillé enfermé à l’asile de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu. Il dénonce les divers abus dont sont victimes les « fous », ceux que la société préfère enfermer pour assurer sa sécurité. À sa sortie, le livre a créé un tel tollé qu’il est en partie considéré comme à l’origine du processus de désinstitutionnalisation qui a marqué les années 60. Pour la petite histoire, Écosociété a réédité l’ouvrage l’automne dernier, originellement paru aux Éditions du Jour. L’auteur et ses ayants droit sont, au dire de l’éditeur, introuvables.
Sadia Messaili, chef de famille monoparentale et immigrante, ne cache pas que l’écriture l’a sauvée. Mais c’est surtout, à la manière de Jean-Charles Pagé, un désir de faire bouger les choses qui l’a poussée à prendre la plume. « Quand on n’a pas l’information [adéquate], on croit les autres. On va s’en remettre à celui qui sait, dit-elle. Chaque personne qui a vécu quelque chose devrait l’écrire. Si on a la force de le faire, il le faut. Écrire un livre, faire un film, des reportages. Les grandes révolutions se sont faites avec l’information, avec des témoignages. Pas avec des matraques. »

À COURT DE DÉFINITIONS

Une question demeure inexpliquée dans le livre : qu’est-ce que la schizophrénie, en fait ? Il n’existe pas de consensus sur sa définition, selon Sadia Messaili. « Moi, je ne crois pas que c’est une vraie maladie ! », affirme-t-elle, catégorique. Le site de la Société québécoise de la schizophrénie la définit comme « une maladie mentale qui peut être sévère et persistante. La maladie se manifeste par des épisodes aigus de psychose, suivis de divers symptômes chroniques ». Le DSM-5, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, bible médicale en matière de psychiatrie, énumère une liste assez exhaustive de symptômes : hallucinations, idées délirantes, discours désorganisé, mouvements catatoniques et bien d’autres. La schizophrénie est jugée incurable, mais peut être contrôlée par la médication. Le site Web de l’Association des médecins psychiatres du Québec dit qu’« en plus de la psychose qui persiste plus d’un mois, on notera une diminution du fonctionnement global depuis au moins six mois ». Mais Mme Messaili n’est pas la seule à remettre en doute ce verdict. Dans La schizophrénie : le symbole sacré de la psychiatrie(1988), Thomas Szasz, professeur de psychiatrie à l’Upstate Medical University de Syracuse écrivait : « À vrai dire, la schizophrénie n’existe pas. » La cause ? La diversité de symptômes serait trop grande pour les classer sous un même libellé médical.

Les fous crient toujours au secours L’histoire de Ferid Ferkovic

Sadia Messaili, Éditions Écosociété, 2019, Montréal

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