jeudi 20 juin 2019

Live chat du « Quotidien » Légalisation du cannabis thérapeutique : quelles modalités ? Posez vos questions au Dr Jean-Michel Delile (Fédération Addiction)


14.06.2019

Le 26 juin prochain, le comité scientifique de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) va remettre ses préconisations sur l'usage du cannabis thérapeutique en France, dans un cadre expérimental. Psychiatre et président de la Fédération Addiction, le Dr Jean-Michel Delile évoquera les enjeux médicaux d’une éventuelle légalisation du cannabis thérapeutique pour les médecins et la prise en charge de leurs patients.


Quelles sont les indications médicales du cannabis thérapeutique ? Comment évaluer la balance bénéfice/risque de ce produit ? Quelle place du cannabis dans l’arsenal des antalgiques ? Qui pourra prescrire ?



Le Dr JEAN-MICHEL DELILE

président de la Fédération Addiction
répondra à vos questions
JEUDI 20 JUIN À 12H




        • Bonjour à toutes et à tous.
          Bienvenue sur lequotidiendumedecin.fr.


          • ... et sur lequotidiendupharmacien.fr avec qui nous organisons ce Live chat aujourd'hui. Vous pouvez suivre les échanges sur nos deux sites


            • Le Live chat va bientôt commencer.


              • Nous accueillons aujourd’hui le Dr Jean-Michel Delile, psychiatre, président de la Fédération Addiction. Dans quelques jours, le comité scientifique de l’ANSM doit annoncer ses préconisations sur l’usage du cannabis thérapeutique en France et sur une éventuelle expérimentation. Quelles conséquences pour les médecins et leurs patients ? Le Dr Delile répondra en direct à vos questions pendant près d’une heure.




                  • Bonjour Dr Delile. Nous sommes ravis de vous accueillir dans les locaux du « Quotidien ». Merci d’avoir accepté notre invitation.
                    Dr Jean-Michel Delile
                    Je suis très heureux de pouvoir partager avec nos confrères nos réflexions sur le cannabis thérapeutique qui est tellement attendu par beaucoup de nos patients.


                    • Le comité scientifique de l’ANSM doit rendre un avis sur le cannabis thérapeutique dans quelques jours. Qu’attendez-vous de cette annonce ?
                      Dr Jean-Michel Delile
                      J'attends de cette annonce qu'elle puisse nous donner l'opportunité d'avancer vers l'expérimentation du cannabis thérapeutique en France dans de bonnes conditions de sécurité et d'évaluation. Le cannabis thérapeutique a été développé depuis une vingtaine d'année dans certains Etats des USA, mais n'a jamais fait l'objet d'une évaluation bénéfice-risque. Il serait intéressant que nous puissions profiter de cette avancée en France pour fournir des données qui nous permettraient de mieux définir les bonnes conditions d'utilisation.


                      • Bonjour. Q1 : Quels sont les principes actifs du « cannabis thérapeutique » et quels sont les dosages pour éviter le piège des addictions ? Q2 : L'algodystrophie peut-elle en constituer une indication ?
                        Dr Jean-Michel Delile
                        L'avantage du cannabis thérapeutique, comparé aux spécialités déjà sur le marché, est que l'on peut utiliser de manière combinée et à des dosages variables des principes actifs essentiels, comme le THC qui est responsable des addictions, mais aussi le CBD. Par exemple : des associations à dominante THC pourraient être intéressante dans le traitement de troubles spastiques, comme la sclérose en plaques, alors que des associations à dominante CBD pourraient être particulièrement utiles dans le traitement de certaines formes d'épilepsies pédiatriques.
                        Dr Jean-Michel Delile
                        Pour limiter les risques d'addiction, il est proposé d'éviter les formes les plus addictives, qui par ailleurs sont les plus nocives pour la santé, et notamment la voie fumée. D'autre part, le THC ayant des effets indésirables non négligeables, il sera recommandé de commencer les traitements à de très faibles doses, avec une titration extrêmement progressive. Ce qui limitera d'autant les risques d'accrochage, puisque des dosages faibles devraient être efficaces dans la plupart des situations.
                        Dr Jean-Michel Delile
                        Parmi les indications, figureront les douleurs chroniques réfractaires aux antalgiques usuels, quelle qu'en soit l'origine.



                        • Une évaluation de la prise en charge des douleurs de neuropathie chronique est-elle envisageable prochainement ? (ex: douleurs permanentes après chirurgie de neurinome de la queue de cheval à peine soulagée par tramadol et codéine plusieurs fois/ jour depuis plusieurs années), par qui ? où ? et quand?  merci. Il y a urgence d'espérer.



                          -JFL
                          Les douleurs neuropathiques réfractaires seront-elles une indication?



                          -Bubulle
                          Dr Jean-Michel Delile
                          C'est dans le domaine du traitement des douleurs chroniques réfractaires que le cannabis thérapeutique dispose du meilleur niveau de preuve d'efficacité et dans lequel il y a le moins d'options thérapeutiques efficaces. C'est donc vraisemblablement l'une des incitations les plus prometteuses.


                          • Pourrait-on envisager une utilisation pour des pathologies dites plus bénignes telles que le stress ou la douleur (multi-causes) ?
                            Dr Jean-Michel Delile
                            Une utilisation sera sans nul doute envisagée pour le traitement de douleurs complexes réfractaires. Néanmoins, dans le cas de douleurs non lésionnelles où la présence de vulnérabilité psychologiques est souvent importante, une attention particulière devra être apportée à une évaluation globale de la situation globale du patient pour ne pas proposer une réponse exclusivement médicamenteuse qui risquerait dans ce type de situation, comme on le voit par ailleurs avec les opioïdes, d'entraîner des pertes de contrôle et donc un risque addictif.
                            Dr Jean-Michel Delile
                            Concernant le stress et l'anxiété, les données disponibles indiquent que si le cannabis peut avoir un effet apaisant à court terme, il présente en revanche un risque accru de chronicisation et de dégradation du trouble ; ce qui conduit à penser que ce serait une mauvaise indication et elle ne sera vraisemblablement pas retenue par le comité de l'ANSM.



                            • Les neuropathies post-chimiothérapie de type Vincristine résistantes aux traitements classiques seront-elles une indication ?
                              Qui délivrera les ordonnances ? Service anti-douleur ? Soins palliatifs ?
                              Cordialement. Merci.
                              Dr Jean-Michel Delile
                              Toute les neuropathies réfractaires, notamment après une chimiothérapie seront des indications. Les ordonnances pourront vraisemblablement être prescrites en service d'oncologie, en service de soin palliatif, mais aussi dans les services de traitement de la douleur. Cependant, les praticiens concernés devront demander leur inscription sur un registre.





                                • De quelles expériences de légalisation étrangères faudrait-il s'inspirer ? Merci.
                                  Dr Jean-Michel Delile
                                  La commission a auditionné de nombreux collègues étrangers. Les expériences des USA ont été suivies de près, car elles ont offert, selon les Etats, différentes modalités de légalisation du cannabis thérapeutique. Certains Etats de l'Ouest, comme la Californie, on légalisé le cannabis thérapeutique suite à des référendums d'initiative populaire dans des conditions extrêmement libérales (pas d'indication particulière, une prescription annuelle). Alors que la plupart des Etats de l'Est, ainsi que le Canada, ont choisi des politiques beaucoup plus réglementées et encadrées, mais aussi beaucoup plus médicalisées, avec un circuit rigoureux du cannabis thérapeutique.


                                  C'est la voie qu'ont également choisie plusieurs Etats de l'Union européenne, et c'est celle que nous souhaiterions développer en France pour permettre à des patients qui en ont besoin de bénéficier de cette nouvelle approche, mais dans de bonnes conditions de sécurité.


                                  • Combien de temps durera l'expérimentation ?
                                    Dr Jean-Michel Delile
                                    De 1 à 2 ans.



                                    • Bonjour Docteur,
                                      Aux Etats-Unis, depuis que le CBD est légalisé, on trouve de TOUT avec du CBD dedans : dentifrices, déodorants, pet food, compléments alimentaires.
                                      Quelles sont ses véritables vertus ? Sur la douleur ? L'immunité ? En dermatologie ? Y a-t-il de vraies raisons de santé d'intégrer du CBD à tout-va ou est-ce un effet de mode ?
                                      Merci !
                                      Dr Jean-Michel Delile
                                      Il est établi que parmi les nombreux cannabinoïdes présents dans le cannabis, le CBD est sans doute l'un de ceux qui offrent le plus de perspectives prometteuses en thérapeutique et qui présente également le moins de risque d'emploi car il n'est pas addictif. C'est ce qui explique la grande tolérance des autorités de régulation à son endroit, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en France. L'indication la plus évidente à ce jour et celle de certains troubles épileptiques réfractaire, comme le syndrome de Dravet. Il existe aussi des perspectives intéressantes en immunologie et en psychiatrie. Il semble, par exemple, que ce pourrait être un bon traitement adjuvant des antipsychotiques.


                                      Une étude randomisée américaine CBD contre placebo a montré une réduction des symptomes positifs et négatifs de schizophrénie plus importante dans le bras CBD.


                                      • Bonjour, le cannabis thérapeutique va-t-il être aussi autorisé pendant la phase de test pour la maladie de Crohn/RCH avec iléostomie qui sont des maladies invalidantes, douloureuses et qui font perdre l’appétit. Le THC permet-il, en autres, de stimuler l’appétit et de ralentir le transit ; ce qui serait très bien en cas de Crohn additionné d’une iléostomie terminale définitive. Car, actuellement, peu de traitements anti-douleur m’aident pour ma maladie. Vous remerciant. Bien à vous. Damien.
                                        Dr Jean-Michel Delile
                                        La maladie de Crohn avec iléostomie en tant que telle ne fera pas spécifiquement l'objet d'une indication. En revanche, il est clair que des douleurs chroniques réfractaires et une perte d'appétit avec perte de poids sont des indications classiques d'utilisation du cannabis thérapeutique, qui est un bon orexigène. Ce type de situation mériterait donc d'être évaluée individuellement. 



                                        • Un généraliste pourra-t-il prescrire du cannabis ? Sous quelles conditions ?
                                          Dr Jean-Michel Delile
                                          La commission rendra ses propositions le 26 juin. A titre personnel, je serai favorable à ce que l'ensemble des praticiens puissent avoir accès à ce nouvel outil thérapeutique, sous réserve de l'inscription sur un registre ad hoc et de rester scrupuleux sur les indications.



                                          • Pensez-vous qu'une évolution vers l'utilisation récréative soit envisageable tel que cela se fait en Californie ou au Canada ?
                                            Dr Jean-Michel Delile
                                            C'est une évolution possible mais indépendante du travail actuel sur le cannabis thérapeutique, car les enjeux ne sont pas les mêmes, ni les attentes de la population ; ce ne sont pas nécessairement les mêmes personnes qui sont concernées. Nous pouvons observer qu'au plan international, ce sont, de nos jours, plus des intérêts économiques et financiers que des enjeux de santé publique qui orientent les choix des politiques publiques en la matière.



                                            • La maladie migraineuse fera-t-elle partie des indications ?
                                              Dr Jean-Michel Delile
                                              Non pas en tant que telle.



                                              • Des antécédents d'addiction constituent-ils une contre-indication à ces traitements ? Peut-être même seraient-ils moins sensibles ?
                                                Dr Jean-Michel Delile
                                                Les antécédents d'addiction ne sont pas une contre-indication, car les patients concernés doivent pouvoir avoir accès aux mêmes thérapeutiques que tous les autres. En revanche, cela nécessite des précautions d'emploi pour limiter les risques de perte de contrôle et d'aggravation de la situation. D'un point de vue général, un suivi attentif de pharmacovigilance et d'addictovigilance sera mis en place dans le cadre du registre. 

                                                Dr Jean-Michel Delile
                                                L'effet des médicaments quels qu'il soient est en partie lié aux attentes des patients, et l'on observe d'une manière générale que plus un patient a une représentation positive d'un principe actif ou d'un placebo, mieux ils marchent. On a ainsi observé que dans le cadre de traitement de la douleur chronique, l'effet antalgique du cannabis, quelle que soit sa forme, est d'autant plus important que la personne a eu une expérience antérieure positive d'usage de cannabis, souvent à des fins récréatives. 





                                                  • Une fois un traitement initié, sur quoi se baser pour adapter la posologie ? Quels sont les risques de complication ? Les interactions à éviter ?
                                                    Dr Jean-Michel Delile
                                                    Nous en parlions la semaine dernière aux Journées nationales de la Fédération Addiction à Perpignan avec des collègues suisses qui ont une longue expérience du cannabis à usage médical et dans leur expérience. La règle centrale est : commencer très bas et augmenter très progressivement pour atteindre la dose minimale efficace. En cas de titration trop rapide, chez la plupart des patients, les effets indésirables (somnolence, sédation, ralentissement, crise d'angoisse...), sinon, sont tels que cela entraîne des interruptions prématurés de traitement et les prive donc des bénéfices éventuels de cette approche.



                                                    • Bonjour Dr Delile,


                                                      Pourquoi le CBD serait-il recommandé dans l'épilepsie en pédiatrie et non chez les adultes ?
                                                      Dr Jean-Michel Delile
                                                      Le CBD a pu démontré son efficacité avec un très bon niveau de preuve dans des épilepsies pédiatriques souvent d'origine génétique, comme le syndrome de Dravet, parce qu'elles sont souvent réfractaires aux traitements usuels, et certains enfants présentent ainsi des états de mal catastrophique. Dans ce cadre-là, le rapport bénéfice-risque est potentiellement majeur. Néanmoins, le CBD peut dans ce cas être essayé comme thérapie complémentaire et ne doit pas se substituer d'emblée au traitement précédent au risque sinon d'aggraver encore la situation.

                                                      Dr Jean-Michel Delile
                                                      Les données, à ce jour, sont moins probantes chez les adultes et nécessitent des études complémentaires.



                                                      • Des patients ont pris l'habitude de se fournir chez des dealers. L'annonce de la légalisation du cannabis thérapeutique ne risque-t-elle pas de conforter cette « filière » ?
                                                        Dr Jean-Michel Delile
                                                        Un point qui a été évalué dans les expériences internationales, est que dans des pays comme le nôtre, où le cannabis est pour ainsi dire partout, l'autorisation du cannabis thérapeutique dans des indications précises n'aggrave pas le problème ; aucun usager récréatif n'ayant intérêt à se compliquer la vie en allant voir un médecin, alors qu'il est très simple de s'en procurer par ces canaux habituels. D'autre part, le fait de reconnaître que le cannabis et certains cannabinoïdes puissent avoir un effet thérapeutique sur certains troubles ne signifie pas en soi que le cannabis est une plante totalement inoffensive, voire particulièrement bénéfique. Il est important de noter que l'ensemble de ces substances psychoactives peuvent avoir aussi bien des effets bénéfiques que des effets très négatifs selon l'usage qui en est fait. L'exemple le plus évident est celui des opioïdes qui sont en même temps d'excellents médicaments en anesthésie, ou dans le traitement de la douleur aiguë, et qui peuvent être également des drogues redoutables. Reconnaître le potentiel thérapeutique du cannabis dans certaines indications ne signifie pas que c'est une panacée et encore moins que c'est une « bonne » drogue. Notamment, au regard des dommages potentiels importants, tout particulièrement chez les jeunes au plan neuro-développemental, cognitif, et psychosocial.



                                                        • En oncologie, le cannabis est-il vraiment une réponse adaptée à la douleur ? On a récemment entendu parlé d'un risque de progression tumorale exacerbée chez les patients qui prennent du cannabis. Qu'en pensez-vous ?
                                                          Dr Jean-Michel Delile
                                                          Il est proposé d'ouvrir la possibilité de prescrire du cannabis thérapeutique dans le cadre de soins de support en oncologie et en cas d'échec des thérapeutiques existantes. Néanmoins, ces possibilités devront faire l'objet d'évaluations individuelles particulièrement soigneuses, dans la mesure où certaines données indiquent que le cannabis pourrait avoir des interactions avec certaines chimiothérapies anticancéreuses, en en réduisant l'efficacité. 

                                                          Dr Jean-Michel Delile
                                                          Les indications les moins problématiques concernent les soins palliatifs où le rapport bénéfice-risque est réputé favorable.





                                                            • Ce Live chat est sur le point de se terminer. Une dernière question, Dr Delile :


                                                              • À titre personnel et en tant que médecin, êtes-vous favorable à la légalisation du cannabis et à la fin du régime de prohibition ?
                                                                Dr Jean-Michel Delile
                                                                En tant que président de la Fédération Addiction, je suis favorable à la dépénalisation de l'usage du cannabis, la prison n'étant pas une bonne solution. Et je suis favorable à une régulation de l'accès au cannabis récréatif qui nous permettrait de limiter l'impact négatif actuellement lié à la prohibition sans pour autant verser dans une libéralisation généralisée qui conduirait à des effets également négatifs en termes de santé publique, notamment auprès des jeunes comme on peut actuellement l'observer dans certains Etats des USA. 



                                                                • C’est fini pour aujourd’hui. Merci , Dr Delile, d’avoir partagé votre expertise avec les lecteurs du « Quotidien ». Le mot de la fin vous revient.
                                                                  Dr Jean-Michel Delile
                                                                  Je suis très heureux d'avoir partagé ce moment avec l'équipe sympathique du « Quotidien » et avec les nombreux confrères qui nous ont rejoints pour réfléchir ensemble à ces perspectives nouvelles qui nous sont offertes. J'ai pu observer à travers des questions que, dans bien des cas, les médecins intervenaient dans ce chat en ayant à l'esprit la situation d'un de leurs patients en difficulté par rapport à une situation difficile et nous espérons que cette expérimentation permettra de mieux répondre à ces besoins individuels.



                                                                  • Merci à toutes et à tous pour votre participation. Merci au « Quotidien du Pharmacien » d’avoir co-organisé cet évènement avec la rédaction du « Quotidien du Médecin ». À bientôt pour un nouveau Live chat.

                                                                  Aucun commentaire:

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