jeudi 20 juin 2019

En 2019, «les mythes sur le viol ont la vie dure»

Par Virginie Ballet — 
Paris, le 24 novembre 2018. Manifestation à l'appel du mouvement citoyen #NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles.
Paris, le 24 novembre 2018. Manifestation à l'appel du mouvement citoyen #NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles. Photo Marie Rouge pour Libération

Selon un sondage Ipsos rendu public ce mercredi, depuis le mouvement #metoo, les représentations sexistes semblent avoir un peu régressé dans la société française, mais la culture du viol, elle, demeure solidement ancrée.

Ce sont des chiffres qui avaient fait grand bruit  : début mars 2016, une enquête d’Ipsos, la première de cette ampleur sur le sujet, mettait en lumière le poids de la culture du viol dans la société française. Ainsi, il se trouvait encore des Français relativement nombreux pour minimiser l’ampleur de ce qui est un crime au regard de la loi, décrédibiliser la parole des victimes ou chercher des excuses aux violeurs. Depuis, les mouvements #MeToo et #Balancetonporc sont passés par là. Alors les Français ont-ils revu leur copie en matière de violences sexuelles ? A en croire la nouvelle enquête de l’institut de sondage sur le sujet, la réponse est plutôt non. Intitulés «les Français et leur représentation sur le viol» (1), ces travaux, menés comme les précédents pour le compte de l’association Mémoire traumatique et victimologie, démontrent une fois de plus que la culture du viol continue de peser dans la société française.
Certes, le tableau n’est pas tout noir  : 83 % des interrogés jugent ainsi que #MeToo a eu un impact positif sur la libération de la parole des femmes, et 57 % d’entre eux estiment que le mouvement peut contribuer à améliorer les relations entre les sexes.
Mais malgré la forte médiatisation des thématiques liées aux violences sexuelles, les «fausses représentations et les mythes sur le viol, qui constituent le déni et la culture du viol, ont la vie dure», souligne Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et ­victimologie, dans une note ­jointe à l’enquête. Ainsi, pour 42 % des Français ­(contre 40 % en 2016), la responsabilité du violeur est ­atténuée si la victime a une attitude jugée provocante en public, ou si elle a déjà eu des relations sexuelles avec lui, pour près d’un tiers d’entre eux (31 %, contre 27 % en 2016). Dans cette logique, 27 % des interrogés vont jusqu’à considérer qu’il suffit de respecter certaines règles de précaution pour ne pas être violé. La ­crédibilité de la parole des victimes est également remise en cause  : 37 % des sondés estiment qu’elles peuvent accuser à tort par déception amoureuse, et 28 %, pour attirer l’attention.

«Altérisation»

Autre idée reçue qui persiste et démontre une profonde méconnaissance de la réalité des viols et tentatives de viol dans l’Hexagone  : l’espace public serait le lieu où l’on court le plus de risques d’être violé (pour 51 % des interrogés), devant la famille, pour 25 % d’entre eux. Or, selon l’enquête Virage sur les violences et rapports de genre, menée par l’Institut national d’études démographiques (Ined) et publiée en 2016, trois femmes sur quatre ayant été victimes de viol ou de tentative de viol les ont subis au sein de la sphère intrafamiliale.
Dans la même veine, pour 22 % des interrogés, les viols seraient le fait de malades mentaux ou de marginaux, ce que l’essayiste et militante féministe Valérie Rey-Robert, auteure d’un essai sur la culture du viol, qualifiait dans un récent entretien à ­Libération de «stratégie d’altérisation»  : le violeur, c’est l’autre. «On a du mal à considérer qu’il puisse être un ami, un voisin, un mari», estimait-elle encore. Or, toujours selon l’enquête Virage, «la famille et les relations avec les proches représentent 92,6 % des violences déclarées».

«Culpabilisées»

Plus inquiétant encore : la définition de ce qui est un viol selon la loi semble relativement floue. Certes, 92 % des interrogés savent que forcer une personne à avoir un rapport alors qu’elle refuse et ne se laisse pas faire est un viol (contre 96 % en 2016)  ; mais certaines ­notions, comme le viol ­conjugal, reconnu par la loi depuis 1992, semblent moins évidentes : tandis que dans la précédente enquête, 83 % des interrogés qualifiaient, à juste titre, de viol le fait de forcer sa partenaire ou sa conjointe à un rapport qu’elle refuse, ils ne sont plus que 79 % en 2019. L’association Mémoire traumatique et victimologie alerte sur les ­conséquences de tels stéréotypes sur les victimes, qui «courent un risque important de ne pas être crues, d’être mises en cause et culpabilisées».
Certains préjugés sexistes semblent en revanche légèrement reculer, même s’ils demeurent prégnants  : les Français sont 64 % à estimer que les femmes ont besoin d’être amoureuses pour envisager un rapport sexuel, contre 74 % lors de la précédente ­enquête il y a trois ans. Pour 57 % des sondés, il est plus difficile pour les hommes de maîtriser leurs désirs sexuels, ­contre 63 % auparavant. En France, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), 94 000 femmes et 130 000 filles subissent des viols et tentatives de viols chaque année, ainsi que 20 000 hommes et 35 000 garçons.
(1) Sondage réalisé par l’institut ­Ipsos pour l’association Mémoire traumatique et victimologie du 22 au 28 février 2019 sur 1  000 individus constituant un échantillon national représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

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