samedi 29 juin 2019

Dépression, anxiété... Le changement climatique trouble-t-il notre santé mentale ?

Par Margaux Lacroux — 

Le dérèglement climatique pèse sur les corps, et aussi sur les esprits. Les études se multiplient depuis une dizaine d’années, surtout chez nos voisins anglo-saxons et outre-Atlantique.

L’impression que la canicule vous rend zinzin ? Elle rend en tout cas plus agressif. En 2013, dans un article publié dans la prestigieuse revue Science, des scientifiques de l’université de Berkeley et Stanford faisaient le lien entre variations de température et augmentation de la violence. Lorsque la chaleur dévie d’un degré de la normale saisonnière, «la fréquence des violences entre personnes augmente de 4% et celle entre les groupes s’accroît de 14%», écrivent les trois auteurs, qui ont compilé les données de 60 études différentes. Selon eux, le changement climatique pourrait amplifier de manière considérable les conflits humains.

Une des explications possibles tient au fait que les températures inhabituelles perturbent le sommeil. «Nous avons un système de thermo-régulation dans le cerveau. Il est bien démontré que plus la température nocturne est élevée, moins la personne dort bien. Elle sera moins reposée et donc plus irritable», explique Guillaume Fond, psychiatre à l’hôpital de la conception, l’APHM, et enseignant-chercheur à la faculté de la Timone. Il est un des rares professionnels de santé français à s’intéresser au lien entre changement climatique et santé mentale. Un sujet encore peu pris en compte dans les politiques de prévention. Pourtant, les événements naturels extrêmes, amenés à se multiplier à l’avenir, n’ont pas que des conséquences physiques.

Suicides

La violence peut aussi se retourner contre soi. Le nombre de suicides augmente lors des vagues de chaleur. Une première étude l’avait démontré en 2007 pour l’Angleterre et le Pays de Galles. C’est ce qu’a confirmé un autre travail publié en 2018 dans Nature Climate Change. L’équipe de chercheurs de Stanford a comparé les températures et le taux de suicide aux Etats-Unis et au Mexique sur plusieurs dizaines d’années. Selon eux, les deux pays devraient totaliser 21 000 suicides supplémentaires en 2050 si l’on suit les projections climatiques actuelles. Une étude Australienne a de son côté conclu que l’humidité empire les effets néfastes sur la santé mentale.
L’Europe commence à prendre conscience de l’enjeu de santé publique. Les vagues de chaleur devraient être deux fois plus nombreuses dans l’Hexagone d’ici 2050, comme l’a rappelé Météo France en début de semaine. Avec le changement climatique et son lot de pluies diluviennes, tempêtes ou encore sécheresses, «les risques d’effets [sur la santé mentale] s’accélèrent et touchent de manière disproportionnée les plus marginalisés», résume un rapport du Conseil des académies des sciences européennes (Easac) dévoilé ce mois-ci. Pour le moment, la littérature scientifique permet d’affirmer que les seniors, les enfants, les femmes enceintes et les personnes souffrant déjà de problèmes de santé sont parmi les plus vulnérables. La situation géographique et les inégalités socio-économiques jouent aussi. «Il y a un manque relatif d’études à long terme et une difficulté à comparer les groupes affectés avec les groupes "témoins" pour évaluer les autres facteurs impliqués. Nous appelons à plus de recherche collaborative entre pays et disciplines», précise le Dr Robin Fears, directeur du programme en biosciences de l’Easac, qui a dirigé le projet.

Réfugiés climatiques

L’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en 2005 a été déclencheur. Il a poussé les psychologies et psychiatres à élargir leur champ d’études aux effets du changement climatique. «Il y a eu une démonstration directe des conséquences d’une catastrophe climatique pour la santé mentale de la population : suicides, troubles anxio-dépressifs, formes de stress post-traumatique», explique Guillaume Fond. Comme la guerre, les événements naturels extrêmes marquent durablement la population. Après Katrina, «les suicides et idées suicidaires ont  plus que doublé, une personne sur six a répondu aux critères de diagnostic du stress post-traumatique», résumait en mars 2017 le rapport Santé mentale et changement climatique de l’Association américaine de psychologie. La multiplication des événements extrêmes pousse aussi aux mouvements de populations. D’ici 2050, les déplacés climatiques seront 143 millions selon la Banque mondiale. Or les migrations ont elles aussi un impact sur les psychismes.
«Le risque de développer des troubles psychiatriques, et notamment de troubles psychotiques comme la schizophrénie, augmente. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : le changement d’alimentation et d’exposition solaire, le stress, la stigmatisation qui augmente le sentiment de persécution… Avec le changement climatique, l’inadaptation du corps à un changement d’environnement brutal peut déclencher des maladies. C’est à prendre en compte dans prévention pour le soin de ces personnes»,détaille Guillaume Fond.

Climato-dépression

Autre champ à explorer, plus latent : l’éco-anxiété. Sorte de climato-dépression, cette nouvelle catégorie de trouble mental a été conceptualisée par la chercheuse belgo-canadienne Véronique Lapaige. «Toutes les problématiques d’évolution entraînent une peur de ne pas être adapté, cela crée des angoisses de masse», explique Guillaume Fond. Ce blues semble plus présent chez les jeunes. «J’ai 20 ans, et tous les jours je me lève avec la boule au ventre parce que j’ai peur. J’ai peur de ce climat qu’on a transformé, j’ai peur de tout ce qui arrive et de tout ce qui est déjà là. J’ai peur des famines et des guerres, du réchauffement à 1, 2, 3 degrés, de la montée des eaux… Et je vous le demande, est-ce qu’à 20 ans, c’est normal de vivre dans la peur ?» témoignait en mars Ainhoa dans Libération
A chaque génération son angoisse. La guerre, le sida, le chômage… La peur est saine. «Nous avons raison de nous demander si on va arriver à s’en sortir, si on aura une vie de qualité dans cinquante ans. Quelque part, le sentiment d’urgence  est bon car il développe les consciences et motive. En revanche, cela peut engendrer un sentiment d’impuissance, on peut avoir la sensation de ne rien pouvoir faire», explique Guillaume Fond. Ce qui peut aboutir au développement de troubles anxieux plus inquiétants. Selon lui, le rôle des médias est en partie à interroger : les mauvaises nouvelles sur le climat sont rarement accompagnées de solutions (1).
L’Esac préconise de mener davantage de travaux pour «comprendre comment le changement climatique en tant que menace environnementale globale peut créer un stress émotionnel et anxiété pour l’avenir». L’enjeu est de taille.«La population augmente et donc le nombre de personnes concernées aussi. Nous sommes également de plus en plus urbains. Or ce type de milieu augmente les facteurs de risques tels que la pollution», ajoute Guillaume Fond. Une étude britannique publiée dans la sérieuse revue Psychiatry Research a d’ailleurs approfondi le sujet début 2019 : des enfants de 12 ans qui ont été exposés à un air riche en particules fines et en dioxyde d’azote auraient 3 à 4 fois plus de risques de développer une dépression à 18 ans. La pollution de l’air peut provoquer une réaction inflammatoire dans le cerveau, en développement à cet âge, ce qui déclencherait plus tard des troubles mentaux. Raison supplémentaire de s’attaquer drastiquement à la pollution en ville.
(1) A noter que tous les samedis, Libération publie un article «Terre d’actions», pour mettre en avant des solutions, conseils ou initiatives pratiques et écolos en France et dans le monde.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire