mercredi 19 juin 2019

Courrier des lecteurs La psychanalyse peut aider à résoudre le désastre de la psychiatrie

Pr Gérard Pommier 11.06.2019

Dans son édition du 6 mai, le «Quotidien du Médecin» a publié un article de M. Franck Ramus, au titre polémique : « La psychanalyse a-t-elle une place dans la psychiatrie du XXIème siècle ? ». La situation est la suivante : la souffrance psychique est la première pathologie française, alors que la psychiatrie va au plus mal. M. Ramus veut-il soigner la psychiatrie ? Il n’est ni psychiatre, ni médecin, ni psychologue : c’est un psycholinguiste. Il n’a jamais suivi de cures difficiles d’enfants, ou de psychotiques en situation dramatique - ce dont j’ai l’expérience. Mais admettons qu’un chercheur peut expertiser une pratique sans l’avoir exercée.
M. Ramus condamne la psychanalyse en quelques lignes en faisant une comparaison improbable entre l’homéopathie et la technique freudienne. Il énumère ensuite ce que seraient ses échecs, en affirmant qu’elle refuserait l’évaluation de ses résultats. En effet, nos patients ne sont pas des souris que l’on peut ranger en cohortes, avec des résultats numérisés. Nos propres méthodes d’évaluation sont les témoignages de milliers de cas particuliers.

M. Ramus tient son autorité du CSEN, formé en 2018 par le ministre Blanquer. Je ne citerai qu’un seul de ses arguments : « La réussite scolaire est influencée de 30 à 50% par des facteurs génétiques… ». Cet eugénisme justifie la ségrégation sociale, comme je l’ai écrit dans une tribune du «Monde» du 7 février 2018. Dans le même quotidien du 25 avril 2018, 25 généticiens de renom (dont Henri Atlan, et Jacques Testart) s’élèvent « contre l’instrumentalisation pseudoscientifique de données génétiques conduisant à déduire des différences psychologiques entre les êtres humains ». Il existe des preuves génétiques de maladies neurodéveloppementales ou héréditaires. A ce jour, il n’en existe pas de la souffrance psychique. En revanche, les preuves des déterminations familiales et socioculturelles sont nombreuses, et la psychanalyse, qui fut la première à les traiter peut se prévaloir de résultats honorables.
Un «corps psychique»
Pour convaincre, prenons des arguments en dehors de notre champ. Le neuroscientifique Ramachandran a traité les « membres fantômes » qui continuent de souffrir alors que le membre de chair et d’os est amputé. Un « corps psychique » double l’organique. De même, les cérébrolésés voient des parties du cerveau se reconstituer grâce à des rééducations par la parole. La conversation avec les proches active les souvenirs emmagasinés dans des zones non lésées, qui reconstituent la lésion.
Et puis, les chercheurs neuroscientifiques - souvent prudents et modestes - ne savent pas localiser le sujet, ni la conscience. Elle est dans l’interrelationnel et depuis la naissance – elle est portée par la parole qui est aussi matérielle. Un neuroscientifique comme Changeux a montré dans L’homme neuronal que les neurones du nourrisson se modélisent sur les sons de la parole maternelle. Un enfant auquel sa mère ne parle pas meurt. Dans la clinique quotidienne, l’Avlocardyl ou les b bloquants ont un effet aussi bien sur l’angoisse que sur les dysfonctionnements cardiaques. En agissant sur l’angoisse, la parole a un effet soulageant sur les symptômes physiques.
Et puis soyons pratique ! Une partie de la clientèle des médecins souffre de problèmes psychiques. Des entretiens allègent la souffrance, outre quelques médicaments qui n’ont souvent qu’un effet placebo.
Oui, la psychiatrie française est en mauvais état, dont la cause ne se réduit pas à un manque de moyens. Elle tient pour beaucoup à de nouveaux diagnostics qui répondent au vœu de M. Ramus. La formation des psychiatres ne comporte plus la psychanalyse, de même que la grande psychiatrie européenne. Elles avaient les mêmes repères diagnostics, et le clinicien de terrain distinguait ainsi les cas graves de ceux qui étaient circonstanciels, soulagés par des entretiens.
Ces acquis scientifiques ont été réduits à rien en quelques décennies. La conquête du marché de la santé mentale a commencé aux USA avec le manuel DSM en 1952. Une inflation des pathologies s’en est suivie : de 60 en 1952, à 410 en 2013. Appuyée sur l’Evidence based medecine, cette classification ne distingue plus névrose, psychose et perversion. Il faut seulement cocher les cases correspondant à un comportement visible. L’entretien avec un psychiatre devient superflu s’il faut seulement répertorier des « troubles » de surface : voilà la clef de la ruine de la psychiatrie ! Les psychiatres sont désormais inutiles et coûteux. Des infirmiers les remplacent.
Les nouveaux cliniciens DSM ignorent s’ils ont affaire à une psychose ou à une névrose. Dans le doute, ils prescrivent des psychotropes... Les accidents sont nombreux, outre les effets secondaires. Ils seraient évités si les cliniciens avaient une formation pluridisciplinaire, avertie de la psychiatrie classique et des apports de la psychanalyse.
Pr Gérard Pommier, 
psychiatre, 
professeur des universités, 
Cofondateur de la Fondation Européenne pour la Psychanalyse et président de l’A.P.L.P.

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