vendredi 17 mai 2019

Dr Marcellin Meunier, médecin en EHPAD : « Depuis des mois et des années, je vois des agents pleurer à chaque pause » Martin Dumas Primbault

Martin Dumas Primbault
| 17.05.2019



  • MEUNIER EHPAD

Médecin coordonnateur de l’EHPAD de Notre-Dame-de-Monts (Vendée), le Dr Marcellin Meunier, 55 ans,dénonce le sous-effectif qui touche son établissement et conduit à la maltraitance des résidents comme des soignants. Dans une lettre ouverte publiée sur Facebook et relayée plus de 13 000 fois, il lance un ultimatum aux autorités : si rien n’est fait, il démissionnera. Le médecin explique au « Quotidien » les raisons de son action. 
LE QUOTIDIEN : Qu’est-ce qui a motivé la publication de ce témoignage ?
Dr MARCELLIN MEUNIER : Le personnel est épuisé. Depuis des mois et des années, je vois des agents pleurer à chaque pause. Il y a un certain nombre de personnes qui baissent les bras et quittent leur métier, notamment des jeunes aides-soignants. C’est malheureux.

Les choses se sont installées insidieusement. Ça ne pouvait plus durer. Début avril, j’ai demandé au personnel de m’écrire ses doléances. Devant leur intensité en termes de souffrance humaine et psychologique, j’ai décidé d’en faire un résumé pour l’exposer au maire et à la directrice le 19 avril. Cela a heurté cette dernière qui a quitté la réunion et est depuis en arrêt de travail. Le maire a avoué découvrir les choses.
À partir de ce moment-là, je ne pouvais plus me taire. Dans le désespoir, j’ai publié cette lettre, que j’ai écrite d’une traite. J’ai fixé un ultimatum au 19 juin. Si d’ici là les choses n’ont pas changé, je m’en irai. Je ne supporte pas de me sentir complice de cette situation.
Pourquoi la situation est à ce point grave ?
Soixante personnes travaillent dans l'EHPAD (dont une trentaine de soignants) mais quinze sont en arrêt-maladie. Il n'y a que quatre ETP d'infirmières, c’est une catastrophe pour les patients !
 
Récemment, un résident s’est fracturé la clavicule en tombant d’un lève-malade. La soignante était seule à ce moment-là pour manipuler une personne de 100 kg. Cela aurait pu être beaucoup plus grave ! Je ne compte plus les insuffisances de traitement de l’incontinence urinaire avec les risques d’escarres ou de mycoses que cela induit. Je ne cacherais pas sous silence non plus le fait que les aides-soignants sont obligés de faire manger les gens deux par deux, sans respecter le rythme de la déglutition, avec un risque de fausse route. On en est même à donner des douches seulement une fois toutes les trois semaines aux résidents qui en demandent. Comment le personnel peut-il vivre ça ?

Cette situation touche aussi bien les soignants que les membres de l’administration. Je voudrais leur rendre un vibrant hommage car ceux qui ne sont pas en arrêt font le grand écart pour boucher les trous dans le planning. Alors même que certains sont à 70 % d’un équivalent temps plein, gagnent à peine 850 euros par mois et font 25 km aller-retour pour venir travailler.
Même le personnel de la restauration souffre. Avec 50 personnes en fauteuil roulant sur environ 80 résidents, vous imaginez le niveau de dépendance auquel ils doivent faire face. C’est autant de couverts adaptés qu’il faut laver un par un car ils ne passent pas au lave-vaisselle. Une dame de la plonge vient depuis des mois une demi-heure de plus par jour pour avoir le temps de faire cela. Elle n’est pas payée plus pour autant !
Quelles sont les actions prioritaires à mener pour améliorer la prise en charge ?
Je demande urgemment que les quinze personnes en arrêt de travail soient remplacées. Elles nous font plus que défaut. Je propose de faire intervenir une société extérieure de façon à libérer du temps pour le personnel soignant. Mais ce n’est pas suffisant. Il nous faut aussi un minimum de quinze à vingt agents supplémentaires pour faire face à l’explosion de la dépendance.
Il y a aussi un manque de moyens flagrant ! Tous nos distributeurs de liquide hydroalcoolique sont vides pour des raisons économiques. Quand le personnel fait la toilette d’un siège souillé par un résident, il lui faut compter ses gants car ils sont rationnés. Il faut aussi revoir complètement le management des employés pour leur permettre d’avoir une vie privée et de travailler en sécurité.
Un tiers des établissements sont dépourvus de médecins coordonnateurs. Si vous partez, qui vous remplacera ? 
Je pense que la direction aura beaucoup de mal à trouver un nouveau médecin et en particulier un qui fermera les yeux sur tout ce qui a été dit. Mais je reste déterminé. Je continue à alerter la presse sur notre situation. Mercredi 15 mai, j’étais invité à participer à une réunion au conseil départemental de Vendée. Le vice-président en charge des affaires sociales et monsieur le directeur régional de l’ARS m’ont écouté, puis m'ont raccompagné vers la porte. Ça s’est arrêté là. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis. La semaine prochaine, je suis invité sur plusieurs plateaux de télévision. Mon ultimatum tient toujours. Je démissionnerai si les conditions que j’ai évoquées ne sont pas réunies.

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