vendredi 17 mai 2019

Comment la Suède s’inventa un serial killer

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Publié dans le magazine Books, mai 2014. Par Daniel Müller

C’est l’histoire d’un beau scandale judiciaire et sociétal. Pendant quinze ans, un homme, solitaire, toxicomane, habitué des hôpitaux psychiatriques, revendique tous les meurtres non élucidés du pays. Trente-trois au total. Malgré l’absence de modus operandi, de preuves et de témoins, les médecins, les enquêteurs et les magistrats se laissent mystifier. Tout était faux, mais le pays voulait son tueur en série…


Ses mains sont moites et ont la blancheur du papier. L’homme est assis dans une pièce de trois mètres sur quatre. Il baisse les yeux vers ces mains. Elles tremblent. Avec elles – c’est ce que, pendant seize ans, il a fait croire –, il aurait assassiné trente-trois personnes, enlevé des enfants et abusé d’eux. Ces mains – c’est ce qu’il se racontait à lui-même encore et encore – auraient dépecé des cadavres. Elles lui auraient servi aussi à manger des morceaux de ses victimes, des phalanges, des pieds, des bras. Pour l’heure, il grignote un gâteau sec et dit : « Si j’ai inventé tout ça, c’est parce que je cherchais à me rendre intéressant. »
Hôpital psychiatrique de Säter à la fin du mois d’octobre : une barre de béton à moins de 200 kilomètres au nord-ouest de Stockholm. Le brouillard recouvre le lac de Ljustern tout proche ; dans les rues, la pluie fait fondre la première neige. Sture Bergwall, 63 ans, qui, sous le nom de Thomas Quick, passait pour le plus épouvantable tueur en série de l’histoire suédoise, regarde par la fenêtre. Il contemple la même vue que tous les jours, la clôture verte qui délimite son existence depuis vingt-deux ans déjà. Et parle du jour où le grand mensonge a commencé.

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