vendredi 12 avril 2019

Le microbe, ce mal qui nous fait du bien

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Publié dans le magazine Books, janvier / février 2017.

Certaines bactéries provoquent des cancers dans l’estomac, mais les préviennent dans l’œsophage. Nos microbes intestinaux sont garants d’équilibre, mais potentiellement mortels s’ils parviennent dans le sang. Ces exemples l’attestent : un germe n’est jamais « bon » ou « mauvais » par nature. Tout est affaire de contexte.

  • LE LIVRE

En 1924, Marshall Hertig et Simeon Burt Wolbach trouvèrent un nouveau microbe à l’intérieur de moustiques bruns ordinaires Culex pipiens qu’ils avaient collectés dans les environs de Boston et Minneapolis. Il ressemblait un peu aux bactéries Rickettsia en qui Wolbach avait antérieurement identifié la cause de la fièvre pourprée des montagnes Rocheuses et du typhus. Mais ce nouveau microbe ne semblait responsable d’aucune maladie – et était donc pratiquement ignoré. Il fallut douze années à Hertig pour lui donner le nom officiel de Wolbachia pipientis, en l’honneur de son ami Wolbach qui l’avait découvert et du moustique qui l’hébergeait. Et il fallut attendre de nombreuses autres décennies pour que les biologistes se rendent compte à quel point cette bactérie était spéciale. Il n’est pas rare que des auteurs scientifiques qui écrivent régulièrement sur la microbiologie aient une bactérie favorite, tout comme les gens ont un film ou un musicien favori. La mienne est Wolbachia. Elle est à la fois époustouflante par son comportement et impressionnante par sa prolifération. Elle est aussi l’exemple parfait de la nature duale des microbes – de tous les microbes –, tantôt partenaires, tantôt parasites. Dans les années 1980 et 1990, après que Carl Woese eut montré au monde comment identifier les microbes en séquençant leurs gènes, les biologistes commencèrent à trouver des Wolbachia partout. Des chercheurs qui étudiaient indépendamment des bactéries susceptibles d’influer sur la vie sexuelle de leurs hôtes se rendirent compte qu’ils travaillaient tous sur la même chose. Richard Stouthamer découvrit un groupe de guêpes asexuées, toutes femelles, se reproduisant uniquement par clonage. Cette particularité était l’œuvre d’une bactérie, Wolbachia : lorsque Stouthamer traita les guêpes avec des antibiotiques, les mâles réapparurent soudainement et les deux sexes recommencèrent à s’accoupler. Thierry Rigaud trouva dans le cloporte des bactéries qui transformaient les mâles en femelles en intervenant dans la production d’hormones mâles. Là encore, des Wolbachia. Aux Fidji et aux Samoa, Greg Hurst trouva qu’une bactérie tuait les embryons mâles du magnifique papillon lune bleue, de sorte que les femelles étaient cent fois plus nombreuses que les mâles. Wolbachia, encore. Peut-être pas exactement la même souche, mais toutes étaient des variantes du microbe provenant du moustique de Hertig et Wolbach. Une raison explique pourquoi toutes ces stratégies sont défavorables aux mâles. Wolbachia ne peut se transmettre à la génération d’hôtes suivante que par les œufs ; les spermatozoïdes sont trop petits pour la contenir. Les femelles sont son avenir, les mâles son impasse évolutive. Elle a donc développé de nombreux moyens de circonvenir les hôtes mâles afin d’accroître son fonds d’hôtes femelles. 


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