jeudi 4 avril 2019

De la psychiatrie en Corée du Nord


Publié le 04/04/2019




The American Journal of Psychiatry évoque un sujet pratiquement inédit : l’état de la psychiatrie en Corée du Nord. Les auteurs font le bilan de cette discipline dans ce pays, isolé du reste du monde depuis la guerre de 1950[1], à l’exception d’influences soviétiques et chinoises.

À l’image de la psychiatrie dans l’ex-URSS, celle de Corée du Nord est influencée par « les idées d’Ivan Pavlov sur le conditionnement » et non par celles de Freud sur l’inconscient, rejetées pour « leur aspect irrationnel et une absence de matérialisme scientifique. » Fait marquant : la presse médicale en Corée du Nord accorde une place « prédominante » aux maladies psychosomatiques, plutôt qu’aux troubles dépressifs. Pour au moins deux raisons : la méconnaissance de ces troubles (sous-diagnostiqués car confondus avec des problèmes « psychosomatiques »), et la stigmatisation de la dépression par la société et les psychiatres de ce pays.

Cette stigmatisation pourrait résulter en partie de l’idéologie « marxiste-léniniste et totalitaire » : puisque la société bâtie par cette idéologie est présumée « idéale », comment concevoir que les individus ne soient pas tous à l’unisson de ce modèle « optimal » et puissent encore se dire malheureux, quand tout le peuple est censé jouir d’un bonheur parfait ? En URSS, on sait que certains sujets contestant les bienfaits du communisme pouvaient de même être considérés comme des « malades mentaux. »

Survivance de « pratiques anciennes »  et changements progressifs vers le DSM IV

L’isolement de la Corée du Nord a entraîné la survivance de « pratiques anciennes » comme le Koryo[2], une médecine traditionnelle plus ou moins teintée de « modernisme» pharmacologique : par exemple, les psychiatres peuvent prescrire une « pharmacopuncture » (injection de substances phytothérapeutiques aux points d’acupuncture) ou, contre l’insomnie, une « électro-acupuncture » (stimulation électrique en ces mêmes points). Et des citations des dirigeants exhortent les médecins à accorder leurs pratiques avec la pensée du « guide. » Exemple, avec cette citation de feu Kim Jong-il, d’ailleurs assez vague pour ne souffrir aucune contestation : « Un diagnostic scientifique devrait être nécessaire pour un traitement correct et un bon projet thérapeutique. »

Mais les choses changent progressivement. Depuis l’avènement de l’actuel dirigeant Kim Jong-un, en 2011, la presse médicale nord-coréenne commence à s’ouvrir à d’autres influences que la Chine ou l’ex-URSS, dans un contraste saisissant avec la situation antérieure où tout auteur « capitaliste » était persona non grata. On commence à voir des références à des sources longtemps tenues pour « suspectes », comme The American Journal of Psychiatry, Synopsis of Psychiatry[3], ou « l’usage du DSM-IV. »

Cette ouverture au monde extérieur augure, espèrent les auteurs, d’une époque où « des travaux communs en psychiatrie » pourront être menés conjointement entre des équipes de Corée du Nord et celles du Sud.


Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCE
Seon-Cheol Park et coll.: Psychiatric research in North Korea in the 21st Century. Am J Psychiatry, 2019; 176: 2, 96–97.

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