dimanche 10 mars 2019

Pour la journée des droits des femmes, les rues de Paris recouvertes de clitoris

Par Julia Castaing — 
Images de la campagne d'affichage organisée par @gangduclito.
Images de la campagne d'affichage organisée par @gangduclito.

De nombreux comptes Instagram font de la pédagogie avec plus ou moins d'humour pour lutter contre l'analphabétisme sexuel. Deux féministes ont notamment lancé la campagne d'affichage «It's not a bretzel».

«C’est quoi, c’est pour faire les bébés ?» s’interroge Maxime, 16 ans. «Des reins ?» enchérit son ami Corentin. «Une gousse d’ail ?» se demande Sophie, 32 ans, perplexe. «Ça m’évoque un insecte ou quelque chose en rapport avec la sexualité», doute Cylia, 42 ans. «Non, c’est un clitoris», affirment Lina, 17 ans et Françoise, 66 ansDepuis jeudi, les affiches montrant des clitoris dans les rues parisiennes ont suscité des interrogations. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, des milliers de volontaires collent des affiches de clitoris dans de nombreuses villes françaises et européennes. Jeudi soir, dans le nord-est de Paris, une vingtaine de bénévoles, armés d’éponges et de seaux de colle, ont placardé des affiches. Et des centaines de militants ont fait la même chose dans plusieurs villes de France, Grenoble, Chambéry, Lille, Tours et même en Belgique, en Espagne ou encore au Mexique.
Le contexte ? Un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles possèdent un clitoris et 83% ignorent sa fonction érogène, selon une étude du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes publiée en 2016. Sur ce constat, Julia Pietri, créatrice du compte Instagram Gangduclito, Bouchera Azzouz et Ouarda Sadoudi de l’association Féminisme populaire et Axelle Jah Njiké, administratrice du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS), lancent une campagne d’affichage où l’on peut voir un clitoris souligné d’un slogan : «It’s Not a Bretzel» (Ceci n’est pas un bretzel). Elles ont également publié vendredi une tribune dans le Monde,soutenue par Angèle, Daphné Burki, Lisa Azuelos, Lauren Bastide…

«Vrai besoin d'information»

Selon elles, seul un manuel de sciences de la vie et de la terre (SVT) sur huit représenterait correctement cet organe. Elles ont donc lancé une pétition en lignepour réclamer à Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et à Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale et de la jeunesse, l’introduction obligatoire du clitoris sur les planches d’anatomie dans tous les manuels de SVT. La pétition a recueilli près de 35 000 personnes en une semaine. «On veut inonder les rues de clitoris pour sensibiliser à l’éducation sexuelle. Les gens ne savent pas toujours ce que c’est, quel que soit leur âge. Généralement quand on leur explique que c’est l’organe du plaisir féminin, ils se sentent cons», assure Julia Pietri.
En France, des comptes sur l’éducation à la sexualité féminine fleurissent depuis plusieurs mois sur Instagram : Tasjoui, un compte de réflexion et de libération sexuelle, Clitrevolution, une série documentaire sur la révolution sexuelle, Laprediction, auteure de littérature érotique, Lecul_nu avec de courtes vidéos humoristiques et même Tubandes sur la masculinité toxique… Pour Camille, créatrice de Jemenbatsleclito, un compte de libération de la parole, en octobre 2018 – déjà suivi par plus de 160 000 abonnés – le mouvement MeToo y est pour beaucoup. «Il a provoqué une prise de conscience car les femmes avaient un vrai besoin d’information.» A seulement 22 ans, Camille répond aux questions de ses abonnés : «Si mon partenaire a envie de faire l’amour, suis-je obligée de dire oui ?» «Je viens d’avoir mes règles mais je ne sais pas ce que c’est.» Plus grave, elle reçoit aussi des témoignages de victimes d’agressions sexuelles ou de viols, qu’elle écoute et aiguille vers des associations spécialisées. Sur son compte, les personnes de 18 à 24 ans sont majoritaires, suivies de près par les 25-34 ans et les 13-17 ans. «Ils viennent chercher des réponses car ils se sentent à l’aise et compris, j’ai une responsabilité et un devoir énormes.» 48% d’hommes sont également actifs sur son compte, ce dont elle se félicite.

«Il ne manque pas une couille»

Pour elle, la méconnaissance de l’anatomie féminine provient du manque d’éducation à la sexualité dans le cadre familial et scolaire. «Les parents se doivent d’expliquer à leurs enfants comment est fait leur corps, mais dès qu’on parle de sexe, ça devient tabou.» L’école manque aussi à son obligation. Depuis 2001, l’article L312-16 du Code de l’éducation dispose qu'«une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène», ce n’est en réalité que très peu appliqué. D’après le rapport relatif à l’éducation à la sexualité (2016), le nombre de classes ayant reçu au moins les trois séances obligatoires est relativement faible : 47% en CM2, 10% en sixième, 21% en quatrième, 12% en seconde. Marlène Schiappa a publié une circulaire en septembre dernier pour faire appliquer cette mesure. Et si chacun a sans doute un vague souvenir de l’exercice gênant du préservatif sur une banane en classe de quatrième, peu d’élèves ont de réelles connaissances sur la sexualité. «Les cours s’articulent autour de la reproduction et comme le clitoris ne sert pas à faire des enfants mais uniquement au plaisir féminin, on n’en parle pas, maintient Camille. Sur l’organe génital masculin, il ne manque pas une couille, alors je ne vois pas pourquoi le clitoris est absent. On nous apprend des choses fausses.»
Elle suggère que les cours d’éducation sexuelle puissent être dispensés, chaque semaine ou chaque mois, par des intervenants. «Il n’y a pas d’âge pour éduquer à la sexualité, il faut simplement employer les bons mots. Il y a une différence entre être prêt à passer à l’acte et être prêt à en parler.» Et Séverine, 46 ans, rencontrée devant les affiches, d’ajouter : «C’est vraiment important d’éduquer les jeunes à la sexualité, c’est la meilleure arme qu’ils aient pour pouvoir se défendre».
Jüne, 35 ans est illustratrice et alimente le compte Jouissance.club. Grâce à des schémas, elle donne des conseils sur la sexualité, aussi bien à des femmes qu’à des hommes. Elle reçoit beaucoup des questions de jeunes femmes sur les orgasmes, les douleurs pendant les rapports ou la masturbation. Mais celle qui revient le plus souvent est «Suis-je normale ?» «La seule documentation à laquelle les jeunes ont accès, se trouve dans la pornographie qui véhicule des images fausses de la sexualité, souligne-t-elle. Quand on a que ça comme exemple, ça crée des complexes et on se demande si on est normal. Moi-même je pensais que je ne l’étais pas avant de me renseigner sur le sujet. J’aurais aimé avoir accès à toutes ces informations plus jeune, ça m’aurait évité de faire des bêtises.»
Pour compliquer le tout, au moins six comptes abordant l’éducation sexuelle ont récemment subi des bloquages de la part d’Instagram, les empêchant de publier du contenu comme Lecul_nulClitrevolutionLapredictionCoupdesangVoxvulva. Le compte Jouissance.club a même été suspendu par le réseau social deux fois. Après avoir contacté Instagram à de nombreuses reprises, elles ont lancé le hashtag #Sexualityisnotdirty (la sexualité n’est pas sale), partagé des centaines de fois sur les réseaux sociaux.

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