vendredi 8 mars 2019

Le quotidien difficile des familles monoparentales

Dans 85 % des cas, ce sont des femmes qui sont à la tête de ces foyers, quatre fois plus exposées que les autres à la pauvreté.
Par Solène Cordier Publié le 7 mars 2019
A la veille de la journée internationale des droits des femmes, la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa organise, jeudi 7 mars, à Saint-Denis, une réunion conviant des mères célibataires à exposer leurs problèmes devant « un parterre de décideurs »économiques et politiques. A la faveur du grand débat national consécutif à la crise des « gilets jaunes », le sort des familles monoparentales, qui sont environ deux millions en France (soit un quart des familles françaises) et à 85 % menées par des femmes, a gagné en visibilité. Le gouvernement devrait faire des propositions prochainement pour améliorer leur quotidien, marqué par une exposition plus fréquente au risque de pauvreté.

La réflexion, menée conjointement par les secrétaires d’Etat Christelle Dubos et Marlène Schiappa, porte notamment sur les modes de garde et les impayés de pension – qui concerne 20 % à 40 % du total des pensions. Elle vise aussi à améliorer l’accès à l’information sur les aides spécifiques destinées à ces familles, telles que l’allocation pour parent isolé et le complément de mode de garde. Beaucoup ignorent par exemple qu’elles peuvent recourir à une agence de recouvrement des pensions alimentaires en cas d’impayé.
Bien souvent, pour ces familles, chaque euro compte. Ainsi, depuis sa séparation il y a dix ans, Vanessa Camprasse, une dynamique entrepreneuse qui a fondé son studio de création graphique, note consciencieusement dans un cahier tout ce qu’elle dépense pour sa fille de 13 ans, dans l’espoir qu’un jour, peut-être, son ex-conjoint lui en reverse une partie. En attendant, elle assume seule le quotidien, y compris sur le plan financier, ce qui est en totale contradiction avec le jugement rendu par le juge aux affaires familiales.

Galères

C’est souvent le cas, à entendre les témoignages d’autres mères célibataires. Lundi 18 février, Christelle Dubos s’est ainsi rendue à un débat consacré aux familles monoparentales dans un amphithéâtre du centre-ville d’Amiens, organisé par l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS). Face à elle, plus d’une centaine de participantes ont pris place pour témoigner de leur situation. D’âges et de profils variés, pour beaucoup en grande précarité, elles ont pris la parole pour raconter leur quotidien et leurs galères.
C’est le cas de Dominique, une femme au pull coloré, qui s’est installée dans les premiers rangs. « J’ai 63 ans, j’habite Amiens Nord, j’ai eu dix enfants, je les ai élevés quasiment toute seule. Aujourd’hui, ils sont tous diplômés, au moins bac + 2, et ont tous un emploi », dit-elle en guise d’introduction, déclenchant quelques applaudissements.
« J’ai travaillé un peu mais avec dix enfants ce n’était pas facile, et j’ai eu un cancer à 52 ans, ce qui m’a forcée à arrêter pour suivre un traitement, poursuit-elle d’une voix claire. Aujourd’hui, j’ai une toute petite retraite, je peux à peine me nourrir convenablement », ajoute-t-elle, avant de conclure par une proposition : « Que le gouvernement prenne en compte, dans le calcul des points de retraite, les années que les femmes consacrent à élever leurs enfants. » Une autre, formulée par l’UNCCAS, serait de permettre à ces femmes de devenir assistantes maternelles, dans les territoires qui en manquent, en s’appuyant sur leur expérience plutôt que sur des diplômes qu’elles n’ont pas nécessairement.

« Agir sur l’emploi »

« Quand on reste trois ou quatre ans sans travailler pour s’occuper des enfants et qu’en plus on n’a pas de diplôme, comment on fait ? », interroge justement, ce matin-là, une autre dame, âgée de 52 ans. « Je me suis retrouvée seule avec quatre enfants. On est dans la précarité, dans les quartiers, isolées parce que sans mari, et souvent avec peu d’amis, une vie sociale très réduite. Alors on élève nos enfants, et on s’oublie complètement. Ça peut prendre des années de se retrouver », répète-t-elle, en évoquant dans un même élan le difficile accès à l’emploi et à la dignité.
Les mêmes empêchements sont dénoncés par Seta Touré, Fatou Faye et Miryam Koné, réunies à 200 kilomètres de là dans le local du Secours catholique d’Evry-Courcouronnes (Essonne), qui leur vient en aide. Après des divorces parfois douloureux, ces trois femmes respectivement âgées de 24, 49 et 27 ans se sont retrouvées avec des jeunes enfants à charge. Sans les aides sociales, qui représentent la majorité de leurs ressources, et leur logement en HLM, elles ne pourraient pas s’en sortir.
Toutes trois ont pourtant occupé ou occupent des emplois, mais à temps partiel, avec des rémunérations plafonnant à quelques centaines d’euros. Une situation fréquente dans les familles monoparentales, comme le relève Louis Maurin, président de l’Observatoire des inégalités. « Pour aider ces femmes, le gouvernement doit prendre le mal à la racine, ce qui consiste à agir sur l’emploi », en s’attaquant notamment aux temps partiels subis, insiste-t-il.

Chaque euro à son importance

Pendant un an, juste après son divorce, Miryam Koné a réussi à garder son travail d’agent de tri dans une boutique de vêtements. A l’époque hébergée à l’hôtel dans le Val-d’Oise, elle partait tous les matins à 6 heures pour aller travailler à Paris, rentrant épuisée s’occuper de ses deux filles dont la cadette avait à l’époque moins d’un an. A la fin de son CDD, elle a trouvé quelques heures de ménage, mais a finalement renoncé « parce que le coût de l’assistante maternelle était supérieur à [ses] revenus ».
Seta Touré, la plus jeune, titulaire d’un CAP de cuisine et mère de deux enfants de 5 et 6 ans, a été confrontée aux mêmes difficultés, amplifiées encore par les horaires de travail décalés qui caractérisent le secteur de la restauration. Elle envisage aujourd’hui une reconversion pour devenir aide-soignante et économise pour passer son permis de conduire.
En attendant, tous les mois, elle s’en sort grâce aux envois d’argent de son père et de sa sœur, qui vivent en Alsace. Pour elle aussi, chaque euro a son importance, et les loisirs sont bannis. « On n’est jamais partis en vacances avec les enfants. Chaque année je me dis qu’on va y arriver, et chaque année ça tombe à l’eau », confie-t-elle. Grâce au Secours catholique, dont c’est une des actions phares dans l’Essonne, sa fille Aïcha et son fils Oumar ont été accueillis par des familles de Loire-Atlantique l’an dernier. C’était leurs premières vacances.

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