mercredi 13 février 2019

La conscience dans tous ses états

En comparant, par IRM, la dynamique temporelle des connexions entre 42 régions du cerveau, chez des sujets sains, en état végétatif ou en état de conscience minimale, une équipe internationale est parvenue à identifier des profils spécifiques de chaque état de conscience. Une découverte stupéfiante.
Par Florence Rosier Publié le 11 février 2019
Illustration : Franck Chartron
La conscience : un puits sans fond qui défie moralistes et philosophes, psychologues et neuroscientifiques. L’Américain William James (1842-1910), pour sa part, l’envisageait comme un flux continu d’expériences. « La conscience est sensiblement continue (…). On n’y saurait marquer de jointure, elle coule », notait-il (Précis de psychologie, 1892).

Cette vision dynamique inspire aujourd’hui un nouvel outil d’évaluation des états de conscience. Validé chez 47 sujets sains et 112 patients à la conscience altérée, cet outil a été développé par une équipe internationale, coordonnée par des chercheurs de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Inserm, CNRS, UPMC), à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) à Paris. Un travail publié, le 6 février, dans la revue Science Advances.
Cet outil fait appel à l’imagerie fonctionnelle du cerveau, par IRM. Mais selon une modalité inédite : « L’originalité de notre approche tient au suivi temporel de l’activité cérébrale, explique le professeur Lionel Naccache, neurologue et chercheur à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, cosignataire de cette étude. Habituellement, lors d’un examen d’IRM fonctionnelle, on fait la moyenne des images scannées durant sept à dix minutes. » On obtient alors une « carte statistique » de l’activité du cerveau – une vision figée. « Ici, nous avons mesuré la dynamique de la communication spontanée entre les différentes régions du cerveau. »

Suivre les fluctuations

Cet outil est le prolongement d’un travail mené chez le singe par l’équipe de Stanislas Dehaene (NeuroSpin, CEA de Saclay). Publié en 2015, il avait permis d’identifier plusieurs états de connectivité du cerveau à un instant donné. Et d’en suivre les fluctuations au fil du temps. « Il nous a fallu trois ans pour adapter cet outil à l’homme », indique Jacobo Sitt, qui a dirigé la nouvelle étude.
Les 112 patients non communicants, atteints de lésions cérébrales sévères, chez qui cet outil a été évalué, étaient diagnostiqués soit « en état végétatif », soit « en état de conscience minimale ». Rappelons que les sujets en état végétatif ne montrent que des comportements réflexes, liés à la seule activité du tronc cérébral. Ceux en état de conscience minimale ont des comportements un peu plus complexes, reflets d’une activité résiduelle du cortex cérébral.
Par IRM fonctionnelle, les auteurs ont mesuré la connectivité à longue distance entre 42 régions du cerveau, représentant six réseaux-clés dans la cognition. A l’aide d’algorithmes sophistiqués, ils ont identifié quatre états de connectivité cérébrale. A un instant donné, un individu se trouve dans l’un de ces quatre états, mais cela fluctue. Dans l’état 1, la coordination entre les 42 régions est riche et complexe – avec des connexions tantôt activatrices, tantôt inhibitrices. Dans l’état 4, les communications sont très pauvres – et uniquement activatrices. Les états 2 et 3 sont intermédiaires.
Les sujets sains et les patients ont été analysés dans quatre centres de pointe pour la prise en charge des troubles de la conscience : la Pitié-Salpêtrière à Paris, le Coma Science Group du CHU de Liège (Belgique), le Weill Cornell Medical College à New York (Etats-Unis) et l’université Western Ontario (Canada). « Nos résultats ont été validés dans ces quatre centres, d’où leur robustesse », se réjouit Jacobo Sitt.
Les sujets sains passaient 30 % de leur temps dans l’état 1, 20 % dans l’état 2. Par contraste, les sujets en état végétatif étaient 70 % du temps dans l’état 4, presque jamais dans l’état 1.
Voici ces résultats. Les sujets sains (libres de penser à ce qu’ils voulaient) passaient 30 % de leur temps dans l’état 1, 20 % dans l’état 2. Par contraste, les sujets en état végétatif étaient 70 % du temps dans l’état 4, presque jamais dans l’état 1. « Plus on est conscient, plus on est dans l’état 1. Plus on est inconscient, plus on est dans l’état 4 », résume Lionel Naccache. Les sujets en état de conscience minimale, eux, se situaient entre ces deux profils. « Certains passent brièvement par des états 1 et 2, ce qui suggère qu’ils sont parfois très proches d’un fonctionnement conscient. »
Dans quelle mesure la connectivité fonctionnelle du cerveau reflète-t-elle l’anatomie des connexions cérébrales ? Les auteurs ont analysé, chez tous ces sujets, cette anatomie cérébrale. Ce, à l’aide d’une récente technique d’IRM, la tractographie, qui révèle les fibres (enrobées de myéline) reliant des aires cérébrales distantes. Conclusion : « Dans l’état 4, la connectivité fonctionnelle du cerveau reflète uniquement son anatomie. Elle est dictée par le seul câblage neuronal. » Dans l’état 1, en revanche, la connectivité fonctionnelle, riche et complexe, « va bien au-delà de l’anatomie. Sans doute parce qu’elle met en jeu des connexions inhibitrices et des interactions complexes entre plusieurs régions. »

« Fenêtres de perméabilité »

Il y a plus stupéfiant. L’imprévu est venu de certains patients diagnostiqués en état végétatif à partir du seul examen clinique. En 2006, on découvrait avec stupeur qu’une minorité d’entre eux sont capables de pensées – une observation due à Adrian Owen, de l’université Western Ontario, cosignataire de la nouvelle étude. Il demandait à ces patients de s’imaginer en train de jouer une partie de tennis.
Que révélait alors l’IRM fonctionnelle ? Eh bien, des régions s’activaient : les mêmes que celles qui s’allument chez un joueur disputant un vrai match ! Comme si, chez ces patients, « il n’y avait plus de connexions entre les pensées et les actions », explique Lionel Naccache. Ces mêmes patients ont été soumis au nouvel examen d’IRM. Verdict : ils passent bien plus de temps dans les états 1 et 2 (associés à la pleine conscience) que les autres patients en état végétatif. Et bien moins de temps dans l’état 4. Inouï, en vérité.
« Notre étude ouvre la voie à la détection, chez ces patients, de fenêtres de perméabilité à la conscience », anticipe Jacobo Sitt. Prochaine étape : « Essayer d’établir une voie de communication avec eux quand ils sont le plus réceptifs au monde extérieur. »
Sur le plan théorique, ce nouvel outil permettra d’explorer plus avant les états normaux de la conscience. « Même lorsque nous sommes éveillés, il nous arrive de passer par les états 3 et 4. Cela correspond-il à des périodes où nous ne serions pas conscients, sans le savoir ? », glisse Lionel Naccache.

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