lundi 21 janvier 2019

La joie maligne, ce plaisir coupable

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« Ne te réjouis pas de la chute de ton ennemi, et que ton cœur ne soit pas dans l'allégresse quand il chancelle », nous recommande la Bible. Et pourtant, Dieu sait que les mésaventures d’autrui sont une source infinie de réjouissances. C’est à ce sentiment légèrement mesquin, que l’on appelle « joie maligne » ou « joie mauvaise », que l’historienne britannique de la culture Tiffany Watt Smith consacre son dernier ouvrage. Son titre, Schadenfreude, vient d’un mot que les anglophones ont emprunté à la langue allemande et qui est construit à partir de schaden, « dommage », et freude, « joie ». « Watt Smith envisage la question dans la longue durée. Elle retrace l’existence à travers les âges et les cultures de ce sentiment sournois », commente Heller McAlpin dans The Los Angeles Times.

Dans Schadenfreude, Watt Smith passe en revue les théories tentant d’expliquer l’origine de ce sentiment. L’un des avantages immédiats de cette émotion est qu’elle procure l’agréable impression que les autres ne nous sont pas supérieurs. Ce qui fait dire à certains anthropologues que notre appétence pour le malheur d’autrui serait un héritage des sociétés primitives. Dans celles-ci, la coopération était indispensable, rendant nécessaire un certain ethos égalitaire. D’autres chercheurs pensent que la sélection naturelle aurait favorisé cette émotion, parce qu’elle nous aiderait à trouver un partenaire pour la reproduction. Le fait de se sentir supérieur à la personne qui vient de se ridiculiser – et qui, par là même, se retrouve exclue de la compétition sexuelle –, suscite un sentiment de confiance en soi favorable à la séduction.

Ce qui est certain, c’est que notre plaisir à observer le malheur des autres ne date pas d’hier : la civilisation grecque avait déjà un mot pour le dire, forgé par Aristote, epichairekakia. Mais notre époque semble être l’âge d’or de la  joie maligne, remarque l’auteure. Les réseaux sociaux, en nous fournissant de multiples occasions de nous railler les uns et les autres, flattent certainement nos plus bas instincts. Non sans nous octroyer, au passage, quelques misérables délices.
Pauline Toulet

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